Les Bruins de Boston devaient retirer son chandail cette semaine. La cérémonie officielle a finalement été reportée au 18 janvier 2022. Mais Willie O’Ree, premier joueur noir à avoir évolué dans la Ligue nationale de hockey, continue de faire parler de lui.

Jeudi, c’était au tour des Penguins de Pittsburgh d’annoncer la création d’une école de hockey à son nom pour les jeunes joueurs des communautés noires de la région.

Pour la Montréalaise Laurence Mathieu-Léger, qui a réalisé un documentaire sur O’Ree en 2018, il était temps que de tels honneurs arrivent pour cet homme de 85 ans. « Je suis contente qu’il soit encore en vie pour voir ça », dit-elle.

Willie O’Ree a grandi à Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Sportif talentueux, il s’était donné comme défi, à l’âge de 14 ans, de jouer un jour dans la LNH.

Le 18 janvier 1958, il évoluait dans les ligues mineures avec les As de Québec quand il a été rappelé par les Bruins de Boston pour un match contre le Canadien. C’est ainsi qu’il est devenu le premier joueur noir à évoluer dans la LNH. Ce qui lui a valu d’être surnommé le « Jackie Robinson du hockey ».

Mathieu-Léger rappelle à quel point la seule présence d’un joueur noir dans la LNH était importante à l’époque. « En 1958, dans le sud des États-Unis, on était encore dans les lois Jim Crow… », dit-elle. La réalisatrice raconte que Willie O’Ree s’est maintes fois fait lancer des insultes racistes durant les matchs.

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Willie O’Ree en novembre 1960 au Madison Square Garden de New York

O’Ree a joué avec les Bruins jusqu’en 1961. Il a ensuite évolué dans d’autres ligues professionnelles avant de prendre sa retraite en 1979.

O’Ree avouera plusieurs années plus tard qu’il est totalement aveugle d’un œil. Il a perdu l’usage de son œil droit après avoir été atteint par une rondelle en 1955. Une condition qu’il a cachée même à ses parents. « Le fait qu’il ait réussi à briser cette barrière malgré tout ça, ça inspire beaucoup les gens », affirme Mathieu-Léger.

De l’oubli au Temple de la renommée

Après sa retraite, Willie O’Ree est tombé dans l’oubli. Il a travaillé dans le domaine de la construction, a été vendeur de voitures et gérant de restaurant. Jusqu’à ce que la LNH lance un programme pour encourager la diversité au hockey, dans les années 1990.

C’est Bryant McBride, premier Noir à occuper un poste de direction dans la LNH, qui dirigeait le programme. Il a consulté Lou Vairo, de USA Hockey. Ce dernier se souvenait d’avoir vu jouer O’Ree en 1961 contre les Rangers de New York. Il a alors proposé à McBride d’impliquer O’Ree dans le programme.

« Mais personne ne savait où était rendu Willie O’Ree. Bryant a demandé l’aide d’un ami du FBI qui a retrouvé Willie. Il était responsable de la sécurité dans un hôtel de San Diego », raconte Mathieu-Léger. O’Ree a alors quitté son emploi et a accepté de travailler pour la LNH.

Quelques années plus tard, à Fredericton, des amis d’enfance de Willie O’Ree se sont organisés. Ils estimaient que O’Ree devrait être intronisé au Temple de la renommée. Ils ont récolté des témoignages et construit un dossier.

En février 2018 à New York, Mathieu-Léger venait de passer plusieurs années à travailler comme journaliste-réalisatrice pour le Guardian. Elle avait remporté de grands honneurs pour des reportages sur les inégalités dans le système carcéral américain et sur la bataille menée par différentes communautés contre le projet d’oléoduc Keystone XL.

Un jour, elle discutait avec son voisin de palier, qui se trouvait à être Bryant McBride. Ce dernier lui a raconté l’histoire de ce groupe d’aînés de Fredericton qui militaient pour que Willie O’Ree fasse son entrée au Temple de la renommée. « Je me souviens à l’époque d’avoir pensé que je trouvais ça bizarre de ne pas savoir qui c’était, Willie O’Ree. Et j’étais aussi surprise du fait qu’il n’était pas déjà au Temple de la renommée », raconte Mathieu-Léger.

Immédiatement, elle a voulu documenter le sujet. Elle a convaincu McBride d’être coproducteur du documentaire. « Les portes se sont ouvertes rapidement. L’histoire se passait en temps réel. Il ne fallait pas manquer l’occasion », dit la journaliste-réalisatrice.

Quelques jours plus tard, Mathieu-Léger rencontrait Willie O’Ree à San Diego. « Je suis allée manger du mexicain avec lui et sa femme. J’avais envie qu’il me fasse confiance. Mon but, c’était de lui rendre honneur. […] Willie est super humble. Mais quand tu le rencontres, tu sais qu’il a été important. Il a une aura de superhéros. »

Une histoire d’actualité

Dans son documentaire, Mathieu-Léger suit Willie O’Ree et ses amis durant toute l’année 2018. Jusqu’au jour où on lui annonce qu’il sera intronisé au Temple de la renommée.

Le documentaire montre que si l’exploit d’O’Ree est à célébrer, son histoire reste d’actualité. Le hockeyeur Devante Smith-Pelly apparaît entre autres dans le film. « On a d’autres joueurs dans le film qui parlent du contexte actuel. On voulait dire que ce n’est pas fini, tout ça », dit la réalisatrice.

Grande sportive dans sa jeunesse, Mathieu-Léger a aussi tenu à inclure dans le documentaire des joueuses de hockey. « Et si j’avais eu le temps, j’aurais aussi parlé dans le documentaire des héros autochtones et d’autres personnes qui tentent de se démarquer dans le monde du hockey, mais aussi dont on doit entendre plus la voix partout », dit-elle.

Pour la réalisatrice, l’histoire d’O’Ree est totalement d’actualité et touche beaucoup les gens. « Le fait qu’il ait été oublié pendant des années, ça surprend. C’est une histoire de persévérance. Il n’y a pas eu un autre joueur noir dans la LNH avant 20 ans après Willie », ajoute-t-elle.

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Willie O’Ree en janvier 2018

Mathieu-Léger ne peut s’empêcher de penser qu’il est « dommage » que ça ait pris près de 65 ans avant de célébrer Willie O’Ree. « Mais il n’est jamais trop tard », dit-elle.

Elle croit que « l’éveil collectif » qui a émergé après l’assassinat de George Floyd a pu mener à la reconnaissance dont O’Ree fait aujourd’hui l’objet.

« Je pense que c’est aussi en lien avec tout ce qui s’est passé l’année dernière avec l’éveil collectif. C’est malheureux que ça se soit passé autour de George Floyd. […] Mais si tout le monde embarque dans le train de la diversité, tant mieux. […] Je suis juste contente que ça se passe pendant que Willie est encore en vie. Trop souvent, des gens qui ont brisé des barrières, on les célèbre après leur mort et ils ne sont pas là pour vivre le moment. »

Après avoir consulté Willie O’Ree et les Bruins, la LNH a annoncé le 11 février que la cérémonie du retrait du chandail numéro 22 de Willie O’Ree serait reportée au 18 janvier de l’an prochain, dans l’espoir de pouvoir célébrer « dans un TD Garden plein à craquer », a indiqué la ligue.

Le documentaire Willie est actuellement offert sur Crave.