La boîte de courriels débordait mercredi matin. Comme elle n’avait pas débordé depuis longtemps.

Des lecteurs réagissaient à cet article sur Jonathan Drouin. Pas un seul commentaire positif à son endroit. Il ne jouait pas si bien, il n’allait pas dans les coins, le CH avait perdu Sergachev, ses passes n’étaient pas méritées, il ne produisait pas comme un troisième choix au total…

Pas facile d’être francophone chez le Canadien de Montréal. Drouin connait pourtant un bon début de saison. L’attaquant de 25 ans a 11 points à ses 15 premiers matchs. Il complète un formidable trio avec Nick Suzuki et Josh Anderson.

Il affiche une hargne qu’on n’avait pas vue chez lui à ses premières années à Montréal. Il se replie avec fougue. Il est le premier dans les coins de patinoire pour récupérer des rondelles. Ce qui n’était pas nécessairement le cas ces dernières saisons.

Est-il parfait ? Non. Le Canadien serait-il supérieur avec Sergachev dans la formation ? Probablement. Mais il demeure un actif important au sein de l’organisation.

Aucun autre joueur du CH n’a obtenu autant de passes cette saison, dix. Et pourtant, on s’acharne sur le fait qu’il a marqué un seul but. Chez les joueurs ayant disputé au moins cinq matchs, seuls Jake Evans, Carey Price et Jake Allen ont moins de passes que Josh Anderson. Est-ce qu’on embête le colosse du Canadien avec son total de passes ?

Jonathan Drouin vit ce que beaucoup de francophones ont vécu avant lui à Montréal. La haine n’est pas généralisée, mais les dénigreurs sont nombreux et ils gueulent fort. Ce sont pourtant les premiers à déplorer le trop peu de francophones chez le Canadien.

Patrice Brisebois a vécu des années traumatisantes à Montréal. On lui en demandait trop en défense, il était mal entouré, il avait signé un gros contrat, il a même quitté l’équipe en pleine saison pour une semaine parce qu’il n’en pouvait plus de ce concert de huées au Centre Molson.

José Théodore a été pris en grippe par une portion importante de fans malgré des trophées Hart et Vézina remportés en 2001. Les médias n’ont pas toujours été mieux. Une équipe de télévision a même cogné à sa porte pour vérifier s’il se déplaçait bel et bien en béquilles…

Le plus grand gardien de l’histoire du hockey, Patrick Roy, a été chassé de Montréal pour une dispute avec son entraîneur Mario Tremblay, mais aussi parce qu’il venait de lever les bras au ciel par dépit après avoir été ridiculisé par les fans du Forum. Un sondage à l’époque aurait sans doute révélé qu’une proportion supérieure à 50 % était favorable à son départ.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Roy lors de son dernier match avec le Canadien, en 1995.

La prochaine bribe d’information fait mal à entendre : de nombreux joueurs francophones ont souvent révélé sous le couvert de l’anonymat, au fil des décennies, ne jamais vouloir signer un contrat avec le Canadien sur le marché des joueurs autonomes à leurs années de gloire. La pression eut été étouffante. Ceux qui l’ont fait étaient en fin de carrière.

On se demande souvent pourquoi le Canadien repêche si peu de francophones. Il y a plusieurs facteurs. D’abord l’équipe est en compétition avec 30 autres clubs. On peut difficilement repêcher Marc-Edouard Vlasic au 35e rang en 2005 quand on a choisi Carey Price au 5e et que le prochain choix ne vient pas avant le 45e (on a quand même opté pour Guillaume Latendresse à ce rang). On ne peut repêcher Jonathan Huberdeau au 3e rang en 2011 quand on ne choisit pas avant le 17e rang.

Il y a toujours des erreurs, évidemment, mais on ne peut repêcher que des francophones non plus. En 2015, le Canadien croyait avoir davantage besoin d’un défenseur droitier comme Noah Juulsen que d’un attaquant de petite taille comme Anthony Beauvillier.

On a repêché Louis Leblanc en première ronde en 2009. Première question d’un collègue à son arrivée au camp de développement de l’équipe : « Penses-tu que la pression d’être un choix de première ronde francophone de l’équipe sera trop lourde à porter ? »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Louis Leblanc au repêchage de 2009.

Le kid sort à peine de l’adolescence. Et on parle de lui comme du prochain Guy Lafleur alors qu’il n’a pas les outils pour réaliser les aspirations d’une légion de fans.

Croyez-vous vraiment que Michael McCarron, Nikita Scherbak ou Danny Kristo ressentaient autant de pression que Louis Leblanc ? Scherbak n’avait pas une mère ou un oncle pour lui rappeler ce qu’un tel avait dit sur lui à la radio ou à la télé…

Alexis Lafrenière a un point à ses 14 premiers matchs à New York, et une fiche de - 7, la pire chez les Rangers. Un premier choix au total. Imaginez s’il avait été repêché par le Canadien ? Vous voyez le cirque d’ici ?

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Alexis Lafrenière

On est parfois dur envers Jesperi Kotkaniemi. Mais le jeune ne se branche probablement pas sur les tribunes radiophoniques dans l’auto et n’écoute sans doute pas les émissions sportives de fin de soirée. Du moins n’a-t-il sûrement personne pour lui rappeler les commentaires à son sujet…

On cible les francophones plus librement parce qu’ils sont peu nombreux, disent certains. Peut-être. Mais les temps ont changé. Le hockey s’est internationalisé. Le nombre d’équipes a augmenté.

Huit francophones ont été repêchés en première ronde depuis 2016. On parle de cinq cuvées, de 154 choix, partagés entre 31 clubs (un taux de 5 %). Au cours de ces mêmes années, on a repêché 32 Américains en première ronde (21 %), 18 Suédois (12 %), 15 Finlandais (10 %) et 11 Russes (7 %). Dans les trois dernières années, on a d’ailleurs repêché autant d’Allemands que de francophones en première ronde, soit quatre !

Entre 1984 et 1988, il y a eu 15. Sur 105 choix. Presque 15 %. Seulement 11 Américains sur la centaine de choix, aucun Russe, évidemment, trois Suédois, un Finlandais, et pas d’Allemand, sans surprise.

Faites le calcul. De moins en moins de Québécois dans la LNH, de plus en plus d’équipes rivales au Canadien lors des repêchages, et les rares francophones de talent à Montréal (On ne parle pas ici des travailleurs honnêtes comme Steve Bégin, Nicolas Deslauriers ou Francis Bouillon) qui subissent une pression éhontée par rapport à leurs coéquipiers.

On comprend mieux pourquoi la proportion de francophones au sein de la direction chez le Canadien est disproportionnée par rapport au nombre de joueurs. Avec Marc Bergevin, Martin Lapointe, Claude Julien, Dominique Ducharme, Joel Bouchard, Alexandre Burrows, Francis Bouillon, Daniel Jacob, Stéphane Waite, Mario Leblanc, Pierre Allard et Marco Marciano, on ne peut pas dire que ça manque.