Ça se passe le 27 décembre. Norm Maciver est seul à la maison qu’il loue à Pittsburgh, hockey oblige. Sa femme et leurs trois enfants sont à leur résidence de Duluth, au Minnesota, pour le temps des Fêtes.

Les Penguins ne jouent pas ce soir-là, donc Maciver file au cinéma. « J’avais une auto sport et ma femme, une minifourgonnette. Comme il y avait beaucoup de verglas, j’ai pris la fourgonnette », raconte-t-il à La Presse.

Mais voilà : il sort du cinéma et le véhicule ne démarre pas ! Incapable de trouver une dépanneuse, il rentre à la maison en taxi.

« Le lendemain, l’entrée de garage est couverte de glace, et comme elle est en pente, ç’aurait été dangereux que je tente de sortir la voiture sport. Glen Murray et Bryan Smolinski viennent donc me chercher pour l’entraînement. »

Une fois à l’aréna, vers les 10 h 10, il est convoqué. Le DG Craig Patrick et l’entraîneur Eddie Johnston lui annoncent qu’il est échangé à Winnipeg, et les Jets jouent à Chicago ce soir-là. Son vol est réservé pour 13 h. « Mais j’ai un problème de voiture ! », leur lance-t-il.

« Finalement, Craig m’amène au comptoir de location d’auto. Je dois aller chez moi ramasser mes affaires et filer à l’aéroport. J’embarque dans l’avion, mais on est cloués au sol en raison de la météo. Je n’ai rien mangé encore de la journée. On finit par atterrir à Chicago à 17 h 30.

« De l’aéroport O’Hare au United Center, à 17 h 30, c’est un embouteillage monstre. Et je n’ai toujours pas mangé ! Je saute dans un taxi, j’arrive vers 18 h 30 pour un match à 19 h 30. J’enfile mon équipement et finalement, je joue ! »

Maciver et les Jets s’inclinent 4-3. L’ancien des Sénateurs obtient une aide, mais termine le match à - 3.

« On rentre à Winnipeg, et à la séance vidéo le lendemain, le coach, Terry Simpson, se met à me ramasser devant les gars ! Je me dis : “Est-ce qu’il a la moindre idée de la journée que j’ai eue ?” »

Un gel des transactions pour les Fêtes

Maciver en rit aujourd’hui, d’abord parce qu’il s’en est remis, passant les deux dernières années dans cette organisation, d’abord à Winnipeg, puis à Phoenix. Et puis, ce genre de scénario catastrophe, empiré par le temps des Fêtes, a moins de chances de se produire aujourd’hui.

Les joueurs de la LNH sont en effet protégés par un gel des transactions pendant les Fêtes, en vertu de l’article 16.5(d) de la convention collective. Cet article stipule qu’il est interdit, du 19 décembre, à 11 h 59, jusqu’au 28 décembre, 00 h 01, d’échanger un joueur ou de le soumettre au ballottage.

Théoriquement, Maciver pourrait encore être échangé dans la réglementation actuelle, puisqu’il a été échangé un 28 décembre, mais l’histoire donne une idée des conséquences d’une transaction si près de Noël.

C’est en 1971 que la LNH a cessé de tenir des matchs de saison le 25 décembre, mais les transactions restaient permises. Il n’est pas clair en quelle année le gel des transactions a été établi – aucun intervenant consulté pour cet article ne le savait –, mais selon le confrère Stephen Whyno, d’Associated Press, la convention collective signée en 1995 est la première à inclure la mention d’un gel.

Don Maloney, qui a été échangé des Rangers aux Whalers le 26 décembre 1988, et qui deviendra ensuite DG des Islanders et des Coyotes, reconnaît le bien-fondé de la mesure, pour avoir connu les deux côtés de la médaille.

« C’est bien pour les joueurs et les familles. Dans mon temps, tout était permis ! », s’esclaffe-t-il, croisé sur la passerelle à Los Angeles en octobre.

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Don Maloney, en juin 2018

Noël, les anniversaires, peu importe. Personne ne se disait : “Ils ne peuvent pas nous faire ça à Noël.” Ça faisait simplement partie du métier.

Don Maloney, ancien joueur et directeur général de la LNH

Brian Burke, lui, a travaillé comme directeur des opérations hockey des Canucks de 1987 à 1992. « J’ai instauré notre propre gel, à l’interne, qui commençait juste avant Noël.

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Brian Burke, en 2009

Une année, on l’avait même fait commencer le 1er décembre ! raconte-t-il au bout du fil. Si on ne le faisait pas, les Européens ne pouvaient pas vraiment inviter leur famille. C’était bon pour les joueurs, bon pour le moral de l’organisation. Mais très peu d’équipes avaient emboîté le pas. »

Échangé le lendemain de Noël

Décidément, Norm Maciver n’a pas été chanceux. En 1988 aussi, celui qui est aujourd’hui directeur du personnel des joueurs du Kraken de Seattle est échangé, cette fois le 26 décembre. En fait, c’était la même transaction que celle évoquée ci-dessus avec Maloney. Les deux partaient ensemble à Hartford, en compagnie de Brian Lawton, contre Carey Wilson.

« Ma femme était encore à l’université. Je ne l’avais pas vue depuis le camp, raconte Maciver. Elle est arrivée le 25 décembre, à 23 h. Je l’ai ramassée à l’aéroport. Le lendemain matin, à 7 h, le téléphone sonne. On a un seul téléphone, qui est dans la cuisine. Je réponds, c’est Phil Esposito. Il me dit que je suis échangé aux Whalers, et qu’ils jouent le soir même. J’ai donc dû récupérer mon équipement à l’aréna et conduire deux heures jusqu’à Hartford. Ma blonde est restée seule à New York, car les Whalers partaient ensuite sur la route. »

C’est finalement la femme de Maloney, qui n’avait pas suivi non plus, qui s’est occupée de la conjointe de Maciver. « Elle a passé le jour de l’An chez les Maloney ! »

Don Maloney se souvient encore de sa conversation avec Phil Esposito ce jour-là.

« Phil me dit : “Les Bruins te voulaient aussi, mais on s’est dit que tu préférerais Hartford parce que ce n’est pas très loin de New York.” Et je me suis dit : “Boston ? Mais les Bruins sont vraiment bons, j’aurais aimé ça là-bas aussi !” Ce n’était rien contre Hartford, et ça s’est bien passé finalement. Avec le recul, c’était une bonne chose. Ça m’a revigoré. »

Pat Boutette a quant à lui été échangé des Maple Leafs aux Whalers en 1979. Le 24 décembre selon HockeyDB, le 25 selon ses propres souvenirs. « On s’entraînait le jour de Noël dans le temps, nous raconte-t-il. J’arrive à l’aréna. Le préposé à l’équipement me dit de m’en retourner à la maison. Ce n’était pas la façon la plus professionnelle de m’annoncer que j’étais échangé ! Mais ça a prolongé ma carrière de cinq ans et ça m’a permis de jouer avec Gordie Howe, Dave Keon et Bobby Hull. Ça a bien tourné ! »

Incrédule 30 ans plus tard

Rick Vaive a un bébé de 26 mois et sa femme est enceinte quand il apprend, le 26 décembre 1988, que les Blackhawks l’échangent aux Sabres.

« Mike Keenan [l’entraîneur-chef des Blackhawks] me dit : “Je sais que tu veux aller à Toronto pour la fin de ta carrière, car c’est proche de ton coin de pays.” Je lui réponds : “Premièrement, je viens de l’Île-du-Prince-Édouard, et deuxièmement, je ne suis pas en fin de carrière !” », peste-t-il, toujours incrédule 30 ans plus tard.

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Rick Vaive, dans l’uniforme des Maple Leafs, en mars 1982

Les parents de ma femme étaient venus à Chicago pour les Fêtes, ils n’avaient pas vu leur petit-fils depuis longtemps. Et j’ai dû partir ! Donc ce n’était pas la meilleure chose au monde.

Rick Vaive, ex-joueur de la LNH

Vaive est encore plus outré lorsqu’il parle d’Alan Eagleson, qui était alors le directeur de l’Association des joueurs, avant de se retrouver en prison.

PHOTO GARY HERSHORN, ARCHIVES REUTERS

Alan Eagleson, en 1987

« C’était Alan, seul, qui rencontrait les propriétaires et qui revenait en nous disant ce qu’il avait obtenu. Il n’y avait aucune transparence. Et quand on le confrontait, il nous attaquait comme si on était stupides. Et finalement, on n’avait rien de ce qu’on demandait ! »

Après le départ d’Eagleson, en 1992, les joueurs ont pu obtenir un gel.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB HOCKEY DATABASE

Norm Maciver

C’est mieux aujourd’hui, les joueurs sont mieux protégés. Les familles des joueurs viennent souvent à Noël. Les Européens peuvent inviter leur famille sans craindre une transaction soudaine. Ça devrait être une période festive et les joueurs devraient en profiter et passer du temps en famille.

Norm Maciver, directeur du personnel des joueurs du Kraken de Seattle et ex-joueur de la LNH

Brian Burke, lui, rit dans sa barbe en repensant à son propre gel à l’interne, qui était au bout du compte en avance sur son temps.

« Je ne crois pas avoir déjà manqué de transactions en raison de ce gel, parce que c’est assez tranquille à ce temps-là de l’année. C’est pourquoi ça me fait rire. Avec notre gel, j’offrais la paix d’esprit à mes joueurs, et ça ne me coûtait rien ! »