« Les minorités existent dans votre monde. Elles sont là. On est là. Et on est capables. On devrait recevoir exactement les mêmes chances que tous les autres. »

Le 8 décembre, le Montréalais Andrea Barone a arbitré son premier match dans la Ligue américaine. C’était à la Place Bell, à Laval. Dans les gradins derrière un des buts, sa famille, ses amis et son copain l’encourageaient. Ce soir-là, il est devenu le premier homme ouvertement gai à arbitrer un match dans la Ligue américaine.

Ce n’est pas la première barrière que Barone fracasse. Voilà déjà six ans qu’il a fait son coming out, devenant le premier homme gai à œuvrer dans le hockey professionnel. Il arbitrait à l’époque dans l’ECHL.

Barone, « Dre » pour les intimes, a grandi dans le quartier Saint-Léonard. Jeune, il a fait comme bien des Québécois : il a traîné sa poche de hockey d’aréna en aréna pendant des années. À 14 ans, il a commencé à arbitrer, voyant là une meilleure chance de faire carrière dans la LNH.

À l’époque, le langage homophobe et sexiste était encore beaucoup utilisé dans le sport. Barone l’admet : lui-même employait certains mots « sans savoir ce que ça voulait vraiment dire pour la communauté gaie ».

Et il ignorait encore qu’il était gai. Alors que ses homologues masculins commençaient à voir les filles différemment, lui était plongé dans ses passions : le hockey et la musique.

« Maintenant, avec le recul, il y avait quelque chose de différent, raconte-t-il. Mais je ne comprenais pas. Je ne connaissais personne qui était gai. J’ai toujours joué au hockey, j’ai grandi dans les arénas, et ce n’était pas quelque chose qui existait. »

À 18 ans, Barone a arrêté le hockey pour se concentrer sur l’arbitrage. Ce n’est que trois ans plus tard, à 21 ans, qu’il a compris qu’il était homosexuel. Il en a parlé à sa famille, à ses amis. Quand des collègues arbitres lui posaient des questions, il le leur disait. Mais ce n’est qu’en 2015, à sa première saison dans l’ECHL, qu’il a fait son coming out au grand public.

Il l’a fait pour la cause, lui qui est une personne « très privée ».

« Je n’ai pas de réseaux sociaux, je les ai tous enlevés, ça ne m’intéresse pas, dit-il. Avoir vécu dans la culture du hockey, j’avais presque honte de dire mon histoire. Pas parce que je suis gai, mais parce que ça met un spotlight sur moi et que, dans la culture du hockey, c’est quelque chose qu’on essaie de ne pas faire. »

Deux situations

À deux reprises pendant ses quatre années et demie dans l’ECHL, Barone a eu affaire à des commentaires homophobes. Les deux fois, ces mots sont sortis de la bouche d’entraîneurs, dans les couloirs après un match.

La première fois en 2017, lors des séries éliminatoires. Il n’y a eu aucune suspension.

« Il y avait un match d’élimination la soirée d’après et elle [l’équipe] avait besoin de son coach. Mais [la Ligue a dit que] si ç’avait été la saison, elle l’aurait suspendu. Moi, je faisais le match de la même équipe le lendemain, en plus. Elle m’a mis dans une situation qui n’était pas idéale, et je ne me sentais pas soutenu.

« Il y avait quand même une grosse partie de moi qui comprenait la décision, ajoute-t-il. Mais maintenant, le temps a passé, j’ai décroché du hockey pendant presque deux ans, et maintenant, je vois ça différemment. Ce n’est pas correct, comment elle a géré ça. Elle ne m’a pas soutenu, même si elle disait qu’elle me soutenait. »

La même chose est survenue en 2018. « J’ai eu un appel de mon boss deux heures avant un autre match où j’allais et il m’a dit : ‟Je veux juste te laisser savoir qu’on va suspendre le coach deux matchs, mais il faut que je te dise qu’il [l’entraîneur] disait que tu sacrais envers ses joueurs, donc c’est pour ça.” En anglais, on dit victim blaming – mettre le blâme sur la victime. Je ne me sentais pas à l’aise, pas soutenu, encore. »

« Tout le monde le sait que je ne sacre jamais envers les joueurs sur la glace, poursuit-il. Je vais sacrer une fois de temps en temps, mais jamais envers un joueur. Disons que je l’aurais fait, est-ce que ça justifie ce qu’il a dit ? Pas du tout. »

Ils ne comprennent pas. C’est un manque d’éducation, ce n’est pas parce qu’ils sont homophobes. Ce sont des personnes qui n’ont jamais eu à gérer des situations comme ça parce qu’elles n’ont jamais été une minorité dans leur vie.

Andrea Barone

Après quatre ans et des centaines de matchs à arbitrer dans l’ECHL, Barone n’avait toujours pas eu sa chance dans la Ligue américaine, contrairement à bien d’autres arbitres. « Pour sa santé mentale », il a pris une pause du hockey pendant plus de deux ans, d’avril 2019 à novembre 2021. Il avait besoin de prendre du recul.

C’est grâce à l’aide de Kim Davis, vice-présidente exécutive, impact social, initiatives de croissance et affaires législatives de la LNH, qu’il a décidé de recommencer à arbitrer et qu’il a finalement obtenu son premier match dans la Ligue américaine.

« [Kim Davis], c’est un mentor pour moi, dit-il. Elle m’a vraiment aidé. […] On a travaillé ensemble avec les deux ligues pour que j’aie ma chance. Sans elle, je n’étais pas là. »

Le « vrai problème »

De l’avis de « Dre », les choses ont beaucoup évolué depuis le temps où il était joueur. Mais selon lui, le « vrai problème », encore à ce jour, c’est la culture.

« Vers 15 ans, quand les jeunes sont toujours ensemble et facilement impressionnables, c’est là que ça se passe, explique-t-il. Ils ont tous les mêmes vêtements, les mêmes cheveux. Ils parlent de la même manière. »

Barone raconte son histoire publiquement non seulement pour donner de la visibilité à la communauté LGBTQ+, mais aussi pour aider tous ceux qui se sentent différents, quelle que soit la façon.

Le plus une personne peut s’exprimer à 100 %, le mieux elle va se sentir sur la glace. Parce qu’elle va se sentir soutenue et mieux dans sa peau.

Andrea Barone

« J’ai plein de messages de personnes qui me disent qu’elles ont vu mon histoire et vont faire un coming out à leurs parents. J’en ai eu de l’Europe, à travers les États-Unis, le Canada. J’ai eu deux ou trois messages de joueurs qui me disaient que le lendemain, ils allaient faire leur coming out à leur équipe. »

En juillet dernier, six ans après le coming out de Barone, un espoir des Predators de Nashville, Luke Prokop, a annoncé publiquement son homosexualité. S’il atteint la LNH, il pourrait devenir le premier joueur actif à avoir affirmé son homosexualité.

« J’ai contacté [Luke Prokop], je l’ai félicité, raconte Barone à ce sujet. J’étais très content, je suis fier de lui. »

Le Montréalais n’entretient pas de rancune à l’endroit de quiconque pour ce qu’il a vécu. Tout ce qu’il veut, c’est « être sur la glace, arbitrer, être à [son] meilleur, [se] faire superviser et regarder par la Ligue nationale ».

Mais « tout est une question de visibilité », rappelle-t-il. « C’est une chose de parler, de dire qu’on veut de la diversité, être inclusif. C’est une autre chose d’investir. Souvent, c’est ce qu’il manque. »