Tous les signes pointaient dans cette direction. Le début de saison atroce de son équipe. Le refus de son patron de prolonger son contrat. Les entrevues qui étaient en cours pour préparer sa succession. La confirmation est finalement venue : Marc Bergevin a été congédié de son poste de vice-président et directeur général du Canadien de Montréal.

Trevor Timmins, directeur général adjoint, ainsi que Paul Wilson, vice-président principal, affaires publiques et communications du groupe CH, sont aussi relevés de leurs fonctions.

Dans un communiqué, le propriétaire et président de l’organisation, Geoff Molson, a écrit que le prochain directeur général serait embauché « dans les meilleurs délais », et que celui-ci parlerait français. Il a aussi annoncé l’ajout de Jeff Gorton à titre de vice-président exécutif, opérations hockey.

Après avoir vanté le « travail acharné » qui a « permis à nos partisans de vivre des moments mémorables », M. Molson a écrit que « le moment [était] venu de procéder à un changement de leadership dans notre département hockey qui sera porteur d’une nouvelle vision ».

Bergevin en était à sa dixième saison à la barre de l’équipe. Sous sa gouverne, le CH a maintenu une fiche de 344 victoires, 265 défaites et 81 revers en prolongation ou en tirs de barrage, une récolte bonne pour le 15rang de la LNH dans l’intervalle.

La présente campagne était la dernière prévue à son contrat. Son avenir à Montréal semblait déjà incertain après les séries éliminatoires de l’été dernier, une situation amplifiée par cette nouvelle saison amorcée sans entente à long terme. Et la position catastrophique dans laquelle se retrouve le Tricolore au classement – déjà à 10 points d’une place en séries éliminatoires après à peine le quart de la saison – n’a pas contribué à solidifier sa légitimité. Au contraire.

Les évènements se sont accélérés, samedi soir, lorsque des journalistes ont révélé que Geoff Molson avait rencontré des candidats pour les postes de directeur général et de président du club. Scott Mellanby, bras droit de Bergevin, aurait été considéré pour les deux postes, mais a démissionné après avoir appris que sa candidature n’avait pas été retenue.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DU CANADIEN DE MONTRÉAL

Scott Mellanby

Bergevin laisse derrière lui un bilan en demi-teinte. La participation de son équipe à la dernière finale de la Coupe Stanley demeure un indéniable fait d’armes. Mais si le Tricolore rate les séries éliminatoires cette saison, ce qui semble inévitable, ce serait la quatrième fois en cinq ans, et la cinquième en sept ans – la participation surprise aux séries de 2020 était attribuable à une exception réglementaire.

Va-tout

Le DG a joué son va-tout à la veille de la saison 2020-2021 en ajoutant à sa formation les vétérans Josh Anderson, Tyler Toffoli, Joel Edmundson, Jake Allen et Corey Perry. « Nous n’entendons pas à rire » [we mean business], avait-il même lancé à l’amorce de la campagne.

Son pari a été payant, car malgré une saison difficile, au cours de laquelle il a notamment congédié l’entraîneur-chef Claude Julien pour le remplacer par Dominique Ducharme, le parcours de son club vers la finale a été galvanisant autant pour l’organisation que pour les partisans.

Le charme s’est toutefois rapidement rompu. L’été dernier, on a appris que le défenseur Shea Weber ferait l’impasse sur la saison 2021-2022, peut-être même sur sa carrière, et que Carey Price raterait les premières semaines du calendrier après avoir adhéré au programme d’aide de la LNH. Phillip Danault et Jesperi Kotkaniemi ont quant à eux quitté l’équipe, laissant le CH affaibli à la position de centre. Des blessures ont également privé l’équipe de bons éléments en début de saison.

Cela n’empêche pas que bien peu d’observateurs avaient vu venir une telle débâcle. Jamais, en 112 ans d’histoire, le bleu-blanc-rouge n’avait été en si mauvaise posture après 22 matchs.

À l’évidence, Geoff Molson croyait que le temps était venu d’apporter des changements dans son personnel hockey. Bergevin et Timmins en ont payé le prix.

Succès rapides

C’est au cours du premier tiers de son mandat que Bergevin a connu le plus de succès.

Nommé DG en mai 2012, cet ex-défenseur a hérité d’un club désorienté qui venait de connaître une saison catastrophique. Le Québécois était rapidement passé à l’action, et la première saison sous la nouvelle administration s’est soldée par une première place dans la division Nord-Est.

L’équipe a fait encore mieux la saison suivante. Profitant du fait que les jeunes joueurs les plus prometteurs de l’organisation – Carey Price, P. K. Subban et Max Pacioretty – arrivaient à maturité, le CH a atteint la finale de l’Association de l’Est.

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P. K. Subban avec le Canadien, en 2016

Au cours de l’été 2016, Bergevin a réalisé l’échange le plus percutant de son règne à Montréal. Il a envoyé P. K. Subban aux Predators de Nashville en retour de Shea Weber. La transaction a pris la LNH par surprise et enflammé la province. Les pro-Subban se sont navrés de voir partir un défenseur de 27 ans, gagnant du trophée Norris trois ans plus tôt, à plus forte raison contre un arrière plus âgé et détenteur d’un contrat pharaonique. Les pro-Weber ont rétorqué que Subban ne faisait pas l’unanimité dans le vestiaire et que Weber, joueur respecté et membre de l’équipe olympique canadienne deux ans plus tôt, insufflerait du leadership dans l’équipe.

L’été 2017 a constitué une charnière dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler les « années Bergevin ». En l’espace de quelques semaines, quatre défenseurs gauchers, dont Andrei Markov, ont quitté l’organisation. Bergevin les a remplacés par un groupe de vétérans, dont la plupart n’ont fait que passer. La saison qui a suivi a été l’une des pires de l’histoire du club, avec une récolte de seulement 71 points.

La saison 2018-2019 a vu le Canadien rebondir avec 96 points, mais rater les séries éliminatoires. Le même sort l’attendait au terme de la campagne suivante. Or, après que la saison eut été écourtée par la pandémie de COVID-19, la LNH a ajouté un tour de qualification aux séries de l’été 2020, ce qui a donné une chance au Tricolore.

Mené par les performances époustouflantes de Carey Price et des jeunes joueurs de centre Nick Suzuki et Jesperi Kotkaniemi, le Canadien a causé la surprise en gagnant le tour de qualification contre les Penguins de Pittsburgh, puis en offrant une performance plus qu’honnête face aux Flyers de Philadelphie.

Ce sont ces succès qui ont poussé Marc Bergevin à passer à l’attaque au cours de la saison morte suivante, changeant de façon draconienne le visage de la formation sur la glace.

Aubaines

Marc Bergevin s’est bâti la réputation d’un DG particulièrement habile pour conclure des transactions. À ce jour, parmi ses gestes importants, seul l’échange de Mikhail Sergatchev contre Jonathan Drouin, conclu en 2017, semble donner un avantage évident au Lightning de Tampa Bay.

L’échange qui a envoyé Max Pacioretty à Vegas continue de bien servir le Tricolore, qui a obtenu en retour Nick Suzuki, en plus de Tomas Tatar, qui a connu deux saisons de 20 buts à Montréal. Voilà que Suzuki, perçu comme le prochain capitaine du club, vient de s’engager à long terme avec le CH en signant une prolongation de contrat de huit ans qui lui rapportera 63 millions de dollars.

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Max Pacioretty avec le Canadien, en 2018

Son meilleur coup reste probablement celui qui a envoyé Dale Weise et Tomas Fleischmann, deux vétérans sur le déclin, aux Blackhawks de Chicago, en échange de Phillip Danault et d’un choix de deuxième tour qui a servi à repêcher Alexander Romanov.

Adepte des acquisitions à bas prix, mais assorties d’un fort retour potentiel, Bergevin a toujours démontré du flair pour les aubaines. Ilya Kovalchuk a signé un contrat au salaire minimum prévu par la convention collective. Tomas Vanek, Mike Weaver, Torey Mitchell, Nicolas Deslauriers, Mike Reilly, Nate Thompson et Marco Scandella ont tous rendu de fiers services au Tricolore tout en n’ayant coûté en retour que des choix au repêchage relativement éloignés ou encore des joueurs marginaux. Jeff Petry, Joel Armia, Brett Kulak, Jake Allen et Joel Edmundson, qui sont encore avec l’équipe, pourraient eux aussi être classés dans cette catégorie.

Bergevin et son adjoint Trevor Timmins laissent par contre une empreinte autrement plus mitigée sur le plan du repêchage (voir autre texte). Le duo a échoué à mettre la main sur des joueurs d’impact et a souvent été critiqué pour sa propension à privilégier des espoirs américains à des joueurs québécois.

La saison dernière, le Canadien, pour la toute première fois de son histoire, a disputé un match avec aucun Québécois au sein de sa formation. Le DG a toutefois fait amende honorable pendant l’été 2021 en embauchant trois vétérans – David Savard, Mathieu Perreault et Cédric Paquette – et en réclamant le gardien Samuel Montembault au ballottage.

Au dernier repêchage, le Tricolore a en outre rompu avec sa séquence des années précédentes en repêchant trois Québécois. Or, ce virage a été assombri par la sélection, au premier tour, du défenseur Logan Mailloux, dont la culpabilité dans une affaire d’inconduite sexuelle avait refait surface quelques jours auparavant.

Un vent de mécontentement s’est alors levé au sein du public, autant chez les partisans que chez les politiciens québécois et canadiens. Des commanditaires de longue date ont même menacé de larguer l’équipe avant que Geoff Molson ne prenne la responsabilité pour l’« erreur » de jugement commise par Bergevin et Timmins.

Appel à tous

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