Le Canadien affronte les Penguins à Pittsburgh samedi soir. Pour l’occasion, nous tournons notre regard vers Wilkes-Barre/Scranton, la filiale des Penguins, où jouent une demi-douzaine de Québécois. Parmi eux, Félix Robert se démarque par son parcours atypique. Le voici.

(Pittsburgh) À 16 ans, il n’a même pas pu se rendre au camp d’entraînement du midget AAA ; il a été retranché au pré-camp. À 17 ans, il a tenté sa chance dans la LHJMQ… et a été retranché. Il n’a jamais été repêché, ni dans la LHJMQ ni dans la Ligue nationale.

Félix Robert s’est souvent fait dire « non » dans la vie, mais il n’a jamais baissé les bras. Le voici aujourd’hui pas mal plus près de la LNH que bien des gens ne l’auraient prédit.

On lui a parlé vendredi matin, au lendemain de l’Action de grâce. Son jour férié, l’attaquant l’a passé chez son coéquipier Matt Bartkowski, un vétéran de 256 matchs dans la LNH. « Manger en écoutant le football, il y a pire que ça dans la vie ! », lance-t-il.

Robert et tous ses coéquipiers étaient conviés chez Bartkowski pour un souper d’équipe du club-école des Penguins de Pittsburgh. Avec 7 points en 15 matchs, Robert est le troisième marqueur de l’équipe.

L’athlète de 22 ans n’a toutefois pas de contrat avec le grand club, seulement un contrat de la Ligue américaine. Il ne peut donc pas être rappelé, mais quand on regarde le chemin qu’il a parcouru pour se rendre là, on le comprend de ne pas angoisser pour la suite.

C’est sûr que j’y crois, mais je sais que ça ne sera pas facile.

Félix Robert

« J’y vais un jour à la fois, dit Robert, en entrevue téléphonique. Ça peut débouler vite. Si je ne réussis pas, mais que j’ai tout donné, je sais que je pourrai être fier de moi. »

Pas de regrets

À 5 pi 9 po et 180 lb, Robert n’a pas exactement la carrure de Pierre Vercheval. « À mon année de repêchage, à 15 ans, je mesurais 5 pi 3 po. Je n’étais pas intéressant pour les recruteurs », reconnaît-il.

À 16 ans, après avoir été retranché au niveau midget AAA, il est donc parti à Québec, afin de s’aligner avec l’Académie Saint-Louis, dans le réseau scolaire. Le but : jouer éventuellement au hockey universitaire américain. « J’avais un peu mis une croix sur le junior majeur », avoue-t-il. Mais son travail au cours de cette saison 2015-2016 a attiré l’attention du Phœnix de Sherbrooke.

« Un de mes dépisteurs m’avait dit : “ On va inviter un joueur de la région de Québec, un petit travaillant ”, se souvient Stéphane Julien, l’entraîneur-chef du Phœnix. On l’a invité au camp, tout simplement. Comme il n’était pas repêché, personne ne m’en avait beaucoup parlé. »

Robert, lui, n’a pas hésité, même si sa présence à un camp de la LHJMQ lui enlevait son admissibilité à la NCAA. « J’ai dit à mon père que si je n’y allais pas, j’allais me demander toute ma vie si je pouvais jouer junior majeur », relate-t-il.

Arrive donc le camp des recrues du Phœnix.

Félix m’a tout de suite sauté aux yeux par son niveau de compétition.

Stéphane Julien, entraîneur-chef du Phœnix de Sherbrooke

Mais le verdict était toujours le même : retranché. « Quand tu renvoies des joueurs au niveau collégial, certains savent très bien qu’ils vont finir leur carrière là, rappelle l’entraîneur. Ils n’ont pas le même sens de l’entraînement. Ça leur prend une certaine vision, un caractère, pour se dire qu’ils vont revenir. »

Un peu avant Noël, Robert a été rappelé une première fois, pour ensuite se tailler un poste permanent après les Fêtes.

Il passera trois autres saisons à Sherbrooke, amassant 92 points en 46 matchs à sa dernière année, 2019-2020, la campagne stoppée par la pandémie. Mais l’héritage qu’il a laissé dans la ville de Louis Luncheonette dépasse les buts et les passes. Au camp d’entraînement du Phœnix, Robert apparaît dans une vidéo présentée aux joueurs pour enseigner la culture d’organisation.

« Comment on veut être premier sur la rondelle, en récupération, comment ne jamais abandonner, détaille Julien. Il est toujours dans nos vidéos, et ça va rester quelques années.

« C’est un exemple de joueur de petite taille, mais qui joue comme un gars de 6 pi 1 po. Je l’ai vu défier des gars pas mal plus gros qui ont frappé des coéquipiers. Des joueurs comme ça, on a beau gratter dans le midget AAA, on n’en trouve pas beaucoup. C’est un joueur exceptionnel, pas par son talent, mais par sa détermination. Il en passe un aux 5-6 ans dans une organisation. »

Direction Wilkes-Barre

À Sherbrooke, Robert avait comme coéquipier Samuel Poulin, choix de premier tour des Penguins en 2019. Ce n’est donc pas un hasard s’il a abouti dans la même organisation. Quand est venu le temps de choisir parmi les équipes — dont le Canadien ne faisait pas partie – qui le courtisaient, la présence de Poulin a pesé dans la balance. Aujourd’hui, les deux Québécois sont colocs.

PHOTO KDP STUDIO, FOURNIE PAR LES PENGUINS DE WILKES-BARRE/SCRANTON

Félix Robert (36)

Sur la patinoire, Robert s’est adapté. L’an dernier, il a inscrit 13 points (6 buts, 7 passes) en 27 matchs, et il suit un rythme semblable cette saison, même si le calibre de la Ligue américaine est plus relevé avec l’abolition de l’équipe de réserve. Son entraîneur-chef, J. D. Forrest, le décrit comme un « couteau suisse », un joueur qu’il peut employer du quatrième au premier trio, grâce à son don pour récupérer des rondelles.

L’an dernier, l’ECHL a commencé avant nous, c’est donc là que je l’ai vu jouer en premier. C’était un voleur sur la patinoire ! Il volait des rondelles partout et il le fait ici. C’est le lapin Energizer. Il n’arrête jamais.

J. D. Forrest, entraîneur-chef des Penguins de Wilkes-Barre/Scranton

Robert espère maintenant ajouter son nom à la liste des petits attaquants québécois qui ont atteint la LNH sans passer par le repêchage. « Je ne gagerais pas contre lui », prévient Forrest.

« J’aimais regarder jouer Martin St-Louis, rappelle Robert. Récemment, plusieurs personnes disent que mon parcours ressemble à celui de Yanni Gourde : jamais repêché, belle année de 20 ans dans le junior. En plus, j’ai un peu le même style de jeu.

— Aussi baveux ?

— Peut-être pas autant que lui, mais j’essaie de déranger ! »

Qu’il atteigne la LNH ou non, Félix Robert illustre bien qu’une carrière au hockey ne se définit pas à 16 ans, et que rien ne sert de se décourager.

« Tu rencontres un obstacle, c’est à toi de montrer que ça ne va pas t’arrêter, lance-t-il. C’est correct d’avoir des objectifs, de vouloir jouer au junior majeur, par exemple. Mais si tu es bon, quelqu’un va te découvrir, peu importe dans quelle ligue tu joues. »