Le Canadien a conclu le premier quart de sa saison de belle manière, samedi. Or, si sa victoire contre les Predators de Nashville a fait du bien, elle n’efface pas la fiche misérable de 5-13-2 que le club a compilée au cours des six dernières semaines. Retour, en 10 mots-clés, sur les 20 premiers matchs du calendrier.

« Mêmes »

On commence avec le mot le moins sexy et on utilise des guillemets puisqu’il est tiré d’une citation. En entrevue avec La Presse, au cours du week-end, le directeur général Marc Bergevin a dit, pour défendre son entraîneur-chef Dominique Ducharme, qu’il comptait sur « les mêmes joueurs qu’en finale, moins trois ou quatre et les blessés ». La légèreté de l’affirmation détonne un peu avec la gravité de la situation. En réalité, quand on compare les deux effectifs, ce sont 11 joueurs qui manquent à l’appel par rapport aux dernières séries éliminatoires. Ceux-ci ont quitté l’organisation, pris leur retraite ou sont blessés à long terme. En compilant les minutes disputées par chacun des joueurs du Canadien en séries, on constate que ce sont 41 % des attaquants de l’été qui manquent à l’appel, tout comme 53 % des défenseurs et 100 % des gardiens (Price). Les « mêmes joueurs », donc ? Pas vraiment.

Ajustement

Avec tous ces départs, il a bien fallu trouver des remplaçants. Les nouveaux visages ont été nombreux. Christian Dvorak, Mike Hoffman et David Savard étaient les plus connus. Une période d’ajustement était néanmoins inévitable. Hoffman n’est pas un as du jeu à cinq contre cinq, mais en avantage numérique, il est une menace évidente. Savard a mis du temps à se mettre en marche. Souvent pris hors position, il s’était forgé un triste différentiel de - 7 à ses 14 premiers matchs. À ses 6 dernières sorties (0), il a fait mieux que Ben Chiarot (- 4), Jeff Petry (- 3) et Brett Kulak (- 4). Quant à Dvorak, c’est encore laborieux, surtout en défense. Parmi les 161 attaquants du circuit qui ont joué plus de 200 minutes à cinq contre cinq cette saison, il est 160e pour les tirs accordés par 60 minutes de jeu, 149e pour les buts accordés et 134e pour les chances de marquer de qualité accordées.

Chaise

Ceci expliquant cela, plusieurs joueurs ne sont plus dans la « bonne chaise », a récemment illustré Ducharme. L’exemple le plus flagrant est certainement Jeff Petry. La saison dernière, les droitiers Petry et Shea Weber se séparaient à peu près équitablement la couverture des meilleurs attaquants adverses à cinq contre cinq. Cet équilibre est totalement rompu. La Presse a compilé le temps de glace de Petry et de David Savard, qui le suit dans la hiérarchie en défense, contre les 10 meilleurs marqueurs parmi les attaquants que le Canadien a affrontés cette saison. Le résultat est saisissant. Petry a disputé 55 % plus de minutes que son coéquipier en pareilles circonstances, et ce, alors que les deux joueurs ont un temps de glace relativement semblable. Résultat : l’Américain n’est plus l’ombre de lui-même : seulement 2 mentions d’aide en 20 matchs, et 28 revirements, un sommet dans la LNH.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jeff Petry

Profondeur

Le terme est complètement galvaudé, mais ce qu’il incarne est néanmoins névralgique. Toutes les équipes se félicitent de leur « profondeur », c’est-à-dire l’abondance de ressources à une position donnée. Surtout au centre, là où la situation du Canadien est… intéressante. Après à peine 20 rencontres, le CH y a déjà utilisé huit joueurs différents : Nick Suzuki, Christian Dvorak, Jake Evans, Cédric Paquette, Adam Brooks, Mathieu Perreault, Jonathan Drouin et Ryan Poehling. Des blessures ont forcé certains choix, mais c’est surtout l’organigramme flou derrière Suzuki qui a créé cette instabilité – voir la rubrique « Chaise ». Dvorak est-il un deuxième ou un troisième centre ? Et Evans, un troisième ou un quatrième ? Poehling a-t-il enfin trouvé sa place ? On s’en reparle au bilan de mi-saison.

Spéciales

Les unités spéciales ne fonctionnent pas, mais pas du tout. Le CH croupit au 28e rang de la ligue en avantage numérique (efficacité de 14,8 %) et au 29e en désavantage numérique (69,2 %). À court d’un homme, l’explication se trouve essentiellement sur le plan du personnel disponible. Phillip Danault parti, et en l’absence de Shea Weber, Joel Edmundson et Paul Byron, c’est un quatuor complet qui est passé à la trappe. En avantage numérique, c’est plus surprenant, puisque trois des quatre meilleurs pointeurs de l’an dernier sont de retour. On ne peut lui imputer l’entière responsabilité des déboires de son club, mais encore là, Jeff Petry est un candidat évident au bonnet d’âne. Meilleur marqueur du club en avantage numérique en 2020-2021, il cherche encore son premier point cette saison. Ses lacunes lui ont coûté sa place sur la première vague au profit de Chris Wideman.

Aide

Le public montréalais connaissait peu le programme d’aide aux joueurs de la LNH. Ça a bien changé depuis que Carey Price y a adhéré afin de combattre des problèmes de consommation de substances. Voilà le gardien de retour dans l’entourage de l’équipe, mais la direction a été claire : on ne précipitera pas son retour, lui qui se remet en outre d’une opération à un genou. Aucune date n’est évoquée, au point où on se demande s’il jouera avant Noël. En 2015-2016 et en 2017-2018, deux saisons qui ont vu Price s’absenter pendant de longues périodes, son équipe a raté les séries éliminatoires par une marge considérable. La tendance semble en voie de se maintenir.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Carey Price

Gardiens

Sans Price, le fardeau du premier gardien a naturellement échu à Jake Allen. Avant de se blesser, ce dernier était d’ailleurs le portier le plus occupé du circuit. Qu’on pointe ou non sa surutilisation, Allen n’a pas été sensationnel. On pourrait dire la même chose de Samuel Montembeault et de Cayden Primeau (cédé au Rocket de Laval dimanche). On a beau souligner à gros traits à quel point les patineurs du club peinent à marquer, les gardiens ont eux aussi leurs torts. Ensemble, Allen, Montembeault et Primeau ont maintenu un taux d’arrêts de ,918, au 21e rang de la ligue, ce qui n’est pas si mal. Par contre, cette efficacité chute à ,776 sur les tirs à haut danger (29e rang). Et, au total, le modèle mathématique du site NaturalStatTrick établit qu’ils ont accordé de 3 à 4 buts en trop (3,32, en fait) vu la qualité des tirs qu’ils ont affrontés. Transposée sur une saison complète, cette tendance pourrait faire très mal.

Incapacité

On vient de l’effleurer : les joueurs d’avant n’ont pas donné beaucoup d’amour à leurs gardiens. L’avantage numérique est à plat, et à forces égales, l’attaque souffre d’une incapacité chronique à convertir ses chances de marquer de qualité. L’équipe se classe en effet en 17e place pour ses chances, loin devant le 29e rang que lui confère sa maigre moyenne de 1,81 but par 60 minutes. C’est encore pire pour le pourcentage de réussite sur les tirs à haut danger : à peine 10,66 % d’entre eux deviennent des buts, en 32e et dernière position. La différence entre les buts marqués et les buts anticipés est également de taille : le Tricolore devrait avoir marqué de 6 à 7 buts de plus (6,82). Il y a donc de l’espoir ici : la loi de la moyenne laisse entrevoir des jours meilleurs.

Contrat

La question est posée quasi quotidiennement : quel est l’impact réel de l’incertitude entourant l’avenir de Marc Bergevin ? Le DG écoule la dernière année de son contrat, et son patron, Geoff Molson, tarde à lui offrir une nouvelle entente. Bergevin assure ne pas se sentir limité dans son travail. Or, invariablement, plus le temps avancera, plus ce paramètre entrera dans l’analyse des gestes qu’il fera ou non. Si le CH continuait de s’enfoncer d’ici à la date limite des transactions, se permettrait-il des initiatives audacieuses si son poste devenait plus précaire que jamais ? Ce n’est évidemment pas le contrat du DG qui dicte la tenue de l’équipe sur la glace. Mais la situation alimente l’instabilité ambiante.

Trou

On a gardé le plus déprimant pour la fin. Plusieurs fois, déjà, Brendan Gallagher a parlé du « trou » dans lequel son équipe s’est enfoncée depuis le début de la saison. L’image est forte, mais juste. Tous les indicateurs jouent contre le Canadien. On évalue généralement qu’à l’Action de grâce américaine, qui sera célébrée jeudi, environ 12 des 16 équipes déjà en position de participer aux séries consolideront leur place avant la fin de la saison. Voilà le CH à sept points des séries, avec plusieurs matchs de moins à disputer que les clubs qui le devancent. Par ailleurs, il semble établi qu’un minimum de 95 points soit requis pour participer aux séries. Avec 62 matchs à disputer, il en manque 83 au Tricolore, soit 66,9 % des points disponibles. Évidemment que rien n’est impossible. Mais pour un club qui n’a toujours pas gagné deux parties de suite, ça s’annonce… comment dire ? Difficile ? Probablement, oui.

– Avec les données de NHL.com et de NaturalStatTrick, avant les matchs de dimanche