Guy Lafleur ne pense pas remettre les patins un jour. De toute façon, il n’est pas sûr qu’il en serait capable. Certains jours, dit-il, c’est déjà difficile de sortir du lit et de marcher. « Et en plus, les patins d’aujourd’hui sont un peu trop raides pour moi ! », ajoute-t-il avec un sourire dans la voix.

Au bout du fil, cette voix, la voix de Guy Lafleur, est la même, ou à peu près. Elle n’a pas trop changé. Ce qui a changé, ce sont les circonstances, et sa réalité à lui, qui n’est plus la même depuis trop longtemps.

Autrefois, celui qui portait le numéro 10 cheveux au vent déjouait avec aisance tous les gardiens de la Ligue nationale. De nos jours, il doit plutôt essayer de déjouer un autre ennemi, autrement déloyal : le cancer du poumon.

Le verdict est tombé de manière lourde, comme les mauvaises nouvelles ont l’habitude de le faire. Un premier coup dur est survenu en novembre 2019, quand il a dû subir une opération pour retirer le lobe supérieur de l’un de ses poumons et procéder à l’ablation de ganglions. Un autre coup dur est survenu en octobre 2020, quand une récidive de son cancer a été annoncée.

Depuis, il doit subir des traitements de manière régulière au CHUM.

Il y a des bonnes semaines et il y a des moins bonnes semaines. En général, ça va. J’ai des traitements trois fois par mois dans le cadre d’un programme de recherche. Je me sens comme un cobaye, un peu, mais j’ai beaucoup d’espoir…

Guy Lafleur

C’est ce Guy Lafleur là, celui que l’on connaît très bien et qui alliait fougue et ténacité sur la glace, qui se retrouve face à ce défi de taille. Au fil de la conversation, il nomme un site nouvellement créé, joueuretoile.ca, qui vise à sensibiliser les gens aux risques du cancer du poumon. « C’est un site qui est très important à consulter, parce qu’il permet de comprendre les signes, les symptômes… La plupart des gens reçoivent un diagnostic de grade 4, qui est déjà très tardif. »

Guy Lafleur n’est certes pas le premier hockeyeur de sa génération à devoir mener un tel combat, et cela n’est peut-être pas étranger au style de vie préconisé naguère par les stars de la LNH. Au fil des ans, plusieurs récits folkloriques ont circulé sur le mode de vie des années 1970 dans les arénas de la LNH, des joueurs qui fumaient entre les périodes aux joueurs qui avaient l’habitude de caler quelques bières en plein vestiaire après les matchs.

L’ancienne gloire du Canadien reconnaît que les temps ont bien changé.

« Dans mon temps, le club envoyait une lettre trois semaines avant le début du camp, pour nous suggérer de commencer à faire des exercices assez primitifs à la maison avant d’arriver. À cette époque, dans les vestiaires, il y avait un vélo stationnaire, une couple de poids et haltères, et c’était tout !

« Fumer, pour nous autres, c’était une mode. Il devait y avoir 10 gars qui fumaient avec le Canadien. Les Islanders avaient eux aussi une dizaine de gars qui fumaient. Je me souviens, quand j’ai rencontré Wayne Gretzky au camp d’entraînement de la Coupe Canada en 1981, il fumait un peu lui aussi. C’était comme ça. Moi, je ne fumais pas tant que ça, peut-être un paquet en deux jours. Ça pouvait augmenter quand il y avait plus de pression dans les séries… ça ne m’affectait pas. »

C’est sûr qu’aujourd’hui, quand on pense aux causes d’un cancer, la cigarette est là-dedans. C’est pour ça que Merck Canada a décidé de passer à l’action avec la campagne Soyez le joueur étoile, et le site qui y est associé au joueuretoile.ca.

Guy Lafleur

C’est donc tout ce qui va occuper le quotidien de Guy Lafleur dans l’immédiat : cette bataille, cette guerre qu’il doit mener contre un ennemi hypocrite. Et puis si on ne le revoit plus jamais sur patins, il nous restera toujours les images, ces formidables images, d’un démon blond qui fonce droit devant, qui monte la lame de son bâton vers l’arrière et vers le haut, et qui décoche l’un de ces tirs frappés magiques, dont lui seul avait le secret.

Un tir comme celui des séries de 1979, dans le septième match contre Boston…

« Ce but-là, on m’en parle encore chaque année ! Ça avait l’air d’être terminé pour nous, et à la toute fin, j’ai marqué, ça nous a permis d’égaliser la marque. J’ai été un peu chanceux ; des tirs de même, j’essayais ça une couple de millions de fois à chaque année. Ça ne marchait pas toujours… »

Mais ça avait marché en 1979, et ses nombreux fans souhaitent que ça marche encore cette fois-ci, en 2021. Après tout, ce ne serait pas la première fois que Guy Lafleur tire son épingle du jeu.