(Detroit) Les Red Wings de Detroit, c’est bien connu, traînent la vieille réputation de laisser leurs joueurs mûrir avant de les envoyer dans l’arène.

Cette réputation est on ne peut plus fondée : de tous les joueurs qu’ils ont repêchés au cours de la décennie 2000, aucun n’a disputé une saison complète dans la LNH avant l’âge de 22 ans. La tendance a légèrement fléchi au cours des années suivantes, alors que Riley Sheahan et Andreas Athanasiou ont percé la formation à 21 ans. Ce n’est qu’en 2015 que Dylan Larkin a créé un précédent en décrochant un poste à 19 ans.

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Dylan Larkin

Depuis, certains espoirs du club ont commencé à se faire valoir plus jeunes, au gré de la longue reconstruction du club – les Wings ont été la pire équipe de la LNH de 2016-2017 à 2020-2021. Or, jamais encore n’avait-on confié les clés de la ville à deux vertes recrues au cours d’une même saison.

Voilà toutefois Lucas Raymond et Moritz Seider. Choix de premier tour des Red Wings en 2020 et 2019, respectivement, ils n’ont chacun que 15 matchs d’expérience dans la LNH. Mais ils s’imposent déjà comme des éléments clés du succès inattendu de l’équipe jusqu’ici – 7-6-2, au 3rang de la division Atlantique.

Raymond, 19 ans, domine les recrues du circuit avec 14 points, dont 11 à ses 10 derniers matchs. Seider, 20 ans, est le suivant sur la liste, avec 11 points. L’Allemand est en outre le défenseur de première année le plus utilisé de la ligue.

Les deux ont toutefois ceci en commun : malgré leur jeune âge, ils ont fait leurs classes chez les pros hors de la LNH. Raymond a passé la dernière saison en Suède, son pays natal, disputant une deuxième campagne avec Frölunda, en première division. Seider a lui aussi joué au pays des trois couronnes, après avoir évolué dans la Ligue américaine et en Allemagne au cours des deux années précédentes.

« Il y a des moments où j’aurais bien voulu compter sur lui, la saison dernière, mais c’est pour ça que les directeurs généraux sont là, a ricané l’entraîneur-chef Jeff Blashill, vendredi midi. Steve [Yzerman] a bien fait les choses. On ne savait pas si Moritz aurait été dans une bonne situation avec nous, s’il aurait pu jouer beaucoup. »

Prendre le temps

Il est beaucoup question ces jours-ci, notamment à Montréal, des bénéfices de laisser du temps aux jeunes joueurs pour gagner en expérience et en maturité avant de passer au « grand club ». À Detroit, on en a fait une religion : même si les recrues ont « rajeuni » depuis quelques années, aucune n’a fait le saut dans la LNH l’année de son repêchage. Le premier choix de l’équipe en 2021, Simon Edvinsson, ne fait pas exception. Le défenseur suédois joue actuellement à Frölunda, pas à Detroit.

La raison en est bien simple. Et là encore, elle vient d’en haut de la pyramide.

« C’est une chose sur laquelle Steve insiste : on ne veut pas que les gars viennent ici pour survivre, mais pour réussir », résume Blashill.

Beaucoup de gars peuvent jouer dans la LNH, mais ça ne veut pas dire qu’ils vont avoir du succès. On veut des gars qui gagnent leur place dans l’équipe. En raison de leurs capacités, mais aussi de leur confiance. […] On ne veut brusquer personne. On veut s’assurer que nos joueurs puissent avoir un impact réel quand ils arrivent avec nous.

Jeff Blashill, entraîneur-chef des Red Wings de Detroit

Dans le cas de Raymond et de Seider, Blashill est conscient qu’il a affaire à deux clients hors norme. L’entraîneur ne savait pas trop à quel point les succès de Lucas Raymond en Suède feraient le voyage avec lui en Amérique du Nord.

« Certains gars font des tonnes de points [en Europe], mais ne peuvent le faire dans la LNH ; ils doivent tricher pour créer de l’attaque, ils n’ont pas assez la rondelle, ils perdent la confiance du coach et finissent dans les ligues mineures. »

Or, la « maturité » dans le jeu de Raymond le rendait optimiste. Et il n’est pas déçu jusqu’ici.

« Avec un peu de recul, je crois que c’était le bon choix pour moi de rester en Suède l’an dernier à 18 ans », constate le jeune homme en entrevue avec les représentants des médias montréalais.

« Parfois, c’est bon de se relaxer un peu et d’y aller une étape à la fois », ajoute-t-il. En riant, il se dit toutefois conscient que « c’est plus facile à dire aujourd’hui ».

Quant à Seider, « on dirait qu’il est dans la LNH depuis longtemps », constate l’attaquant, vantant ainsi sa maturité ainsi que ses talents de passeur et de tireur.

Blashill n’a pas besoin lui non plus de se faire tordre un bras pour parler en bien de l’Allemand. Il en a déjà fait son quart-arrière en avantage numérique et lui confie aussi, dans une moindre mesure, des missions avec un homme en moins. Après « trois ans de hockey professionnel à jouer contre des hommes », Seider était résolument prêt pour l’étape suivante. « Il y a des défis propres à la LNH et il apprend encore, nuance l’entraîneur. Mais il apprend vite. »

Terre-à-terre

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Jeff Blashill, entraîneur-chef des Red Wings de Detroit

Détail amusant : alors que Lucas Raymond soulignait l’humour de son coéquipier, Seider, qui n’avait pourtant rien entendu de la discussion, est passé derrière lui et a frappé amicalement la casquette qu’il portait à l’envers. À l’évidence, les deux recrues s’amusent ferme, sur la glace comme dans le vestiaire.

Au sein d’une équipe somme toute jeune, mais tout de même pas aussi jeune qu’eux, donner autant de responsabilités aux deux derniers arrivés représente-t-il un défi de gestion pour le groupe d’entraîneurs ?

Pas vraiment, répond Jeff Blashill.

D’une part en raison de la personnalité des deux joueurs – « ils sont terre-à-terre, ne tiennent rien pour acquis et savent qu’ils doivent chaque jour mériter leur place ».

D’autre part en raison de l’état d’esprit qui règne au sein du groupe.

Blashill, encore : « Si on mettait de l’avant des joueurs parce qu’ils sont des choix élevés au repêchage, les autres seraient frustrés. Mais les gars dans le vestiaire le savent quand des joueurs sont très bons, et s’ils sont très bons, ils veulent qu’ils jouent beaucoup. En fin de compte, ce qu’on veut, c’est gagner. »

Les entraîneurs s’assurent toutefois que l’engouement que suscitent Raymond et Seider demeure hors des murs du vestiaire. Et que les deux surdoués ne s’assoient surtout pas sur leurs lauriers.

« S’ils arrêtaient de s’améliorer, ce serait déjà deux bons joueurs, conclut Blashill. Mais je ne veux pas qu’ils soient juste bons. Je veux qu’ils soient d’excellents joueurs dans une excellente équipe. »

Il faudra peut-être encore un peu de temps avant que ce dernier souhait se concrétise. Mais à l’évidence, à Detroit, on marche dans la bonne direction.

En bref

Bertuzzi, finalement

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Tyler Bertuzzi

Ce samedi soir, le meilleur marqueur des Red Wings, Tyler Bertuzzi, disputera finalement un premier duel cette saison contre le Tricolore. Dernier joueur de la LNH à refuser de se faire vacciner contre la COVID-19, le neveu de Todd ne peut disputer les matchs de son équipe au Canada puisqu’il devrait observer une quarantaine de deux semaines chaque fois qu’il traverse la frontière. Il a donc regardé les deux défaites des Wings contre le CH (6-1 et 3-0) dans le chaud confort de son salon. Avec 15 points en 12 matchs, il représentera toutefois une nouvelle menace avec laquelle devront composer les joueurs du Canadien.

Des fleurs pour Tanguay

La nouvelle n’a pas fait grand bruit dans la province, et ce, bien qu’il s’agisse d’un Québécois et d’un ancien joueur du Canadien, mais Alex Tanguay a été embauché au cours de la saison morte comme entraîneur adjoint chez les Red Wings. Il s’agit de sa première expérience derrière un banc de la LNH, après deux saisons passées dans un rôle similaire dans la Ligue américaine avec le Wild de l’Iowa, club-école du Wild du Minnesota. Les demandes d’entrevue avec Tanguay nous ont été refusées, mais son patron, Jeff Blashill, a décrit son adjoint comme un homme « intelligent, travaillant et passionné par le coaching ». Peu d’entraîneurs du circuit ont connu une carrière très prolifique comme joueurs, a-t-il fait remarquer. Avec 863 points en 1088 matchs, Tanguay apporte ainsi une « perspective » différente. « Il a joué pour d’excellentes équipes et pour d’excellents entraîneurs. Il comprend ce qu’il faut pour gagner. »

Des fleurs pour Norlinder

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Mattias Norlinder

À Frölunda, la saison dernière, Lucas Raymond a été le coéquipier de Mattias Norlinder, défenseur appartenant à l’organisation du Canadien. Après s’être blessé pendant le camp d’entraînement, Norlinder a disputé trois matchs avec le Rocket de Laval, dans la Ligue américaine, et a ensuite rejoint le Tricolore. Il accompagne le club à Detroit, mais on ne sait pas encore s’il disputera ce samedi son premier match dans la LNH. Raymond a été élogieux envers son compatriote, le décrivant notamment comme « le meilleur patineur » qu’il ait vu en action avant d’atteindre la LNH. « Il est un très bon gars, a ajouté Raymond. Il est humble, il travaille fort et il veut réussir. J’aimerais ça jouer contre lui samedi soir. » À vue de nez, les chances semblent faibles, mais sait-on jamais…