Enrico Ciccone a longtemps eu l’impression de prêcher dans le désert. Avec Gilles Lupien, son patron à l’agence, ils étaient les rares à avoir le courage de dénoncer les abus sous toutes leurs formes dans le monde du hockey.

Aujourd’hui député libéral au provincial, et plus détaché du hockey depuis la fin de sa carrière d’agent de joueurs, qui a suivi celle de hockeyeur, Ciccone voit les langues se délier peu à peu. Que ça soit dans le dossier des abus à l’endroit de Kyle Beach ou des dépendances aux drogues et aux opioïdes révélées par d’anciens hockeyeurs. Cela le réjouit et l’attriste à la fois.

L’épisode Beach lui a rappelé un triste souvenir.

« Il y a un endroit où j’étais, des gens s’étaient confiés à moi. Je vais me contenter de dire que c’était un cas d’abus. J’avais des preuves à l’appui, des courriels, des textos. J’étais allé voir le boss en lui demandant de faire quelque chose. Je lui ai proposé de lui montrer les courriels, mais il a refusé de les voir. Je l’ai prévenu : “Quand ça va sortir, ça ne va pas toucher seulement l’organisation, mais toi aussi !” Après, tu fais quoi ? Je suis retourné à mes petites affaires en me disant que ça n’avait pas de bon sens que les gens en position d’autorité n’aient rien fait. »

L’ancien redresseur de torts de la LNH, qui a joué au Minnesota, à Tampa, à Vancouver, à Montréal, en Caroline, à Washington, mais aussi à Chicago, se réjouit de voir la culture du hockey changer peu à peu.

« C’était la loi du silence. L’histoire de Beach a été rendue publique, mais imagine-toi combien d’autres choses ont été balayées sous le tapis. Aujourd’hui, au moins, avec la façon dont les jeunes sont élevés et la sensibilisation sur la santé mentale, les abus physiques et psychologiques font en sorte que ces histoires sortent, même dix ans plus tard. »

Il espère que la leçon des Blackhawks changera les mentalités pour de bon.

C’est l’exemple du contrôle d’une organisation sur son staff. Ça descend jusqu’en bas. La peur de te faire mettre dehors, d’être le mouton noir te contraint au silence.

Enrico Ciccone

« À un moment donné dans un groupe, tu te dis qu’il va y en avoir au moins un qui va lever la main pour dire qu’on ne peut pas laisser ça aller. Ils sont tous responsables directement et indirectement. Ils n’ont pas dit que ce gars-là était un prédateur. C’est ça qui est épouvantable.

« On parle des Blackhawks, mais il y a plusieurs équipes comme ça. Entendre en plus que les joueurs, l’année d’après, lui lançaient des craques, ça me dérange. »

Des Voltaren à volonté

Une semaine avant, autre dossier percutant, l’ancien hockeyeur Colin Wilson a avoué sur le site Player’s Tribune sa dépendance aux drogues et aux opioïdes. Sa sortie suivait de quelques semaines les dénonciations du gardien Robin Lehner à ce chapitre.

« Je suis content que Colin Wilson ait parlé, que les gars le disent publiquement. Encore là, ça lui a pris un deuxième texte avant de se sentir bien et le dire. Mais il avait beaucoup de poids sur les épaules et il était en mode guérison. »

Ciccone dénonce le manque d’encadrement et de rigueur dans la distribution des médicaments au sein des équipes.

« Ça m’a troublé, ce que Lehner a dit sur les pilules. Je n’en suis plus là depuis 20 ans et je me demandais s’ils avaient réglé le problème. Combien de fois on s’est fait donner des médicaments par les soigneurs ?

« J’avais des Voltaren à volonté quand je jouais. Ces anti-inflammatoires doivent pourtant être prescrits par un médecin. Les soigneurs en ont des pots en grande quantité dans le vestiaire. Mais ils ne sont pas médecins. Quand tu vois les soigneurs passer dans l’allée de l’avion t’offrir des pilules pour dormir et des anti-inflammatoires… voyons, c’est le soigneur ! »

Notre homme est assommé par le manque de contrôle dans la distribution des médicaments au sein de la LNH en comparaison de sa vie de tous les jours.

« Quand tu vas chez le médecin et qu’il te prescrit quelque chose, il te pose une série de questions de santé, si tu fais de la haute pression, si tu prends d’autres médicaments, etc. Ça se poursuit quand tu vas chercher ta médication chez le pharmacien. Lui aussi va vérifier tes antécédents.

« Je me suis cassé la jambe [cette année], poursuit Ciccone. J’ai reçu des anti-inflammatoires et il y a trois jours, je me suis barré le dos solide. Je vais voir le médecin, il me donne une prescription.

« Puis à la pharmacie, le préposé au comptoir me dit : “Monsieur Ciccone, vous avez encore du Dilaudid à la maison ?” J’ai dit qu’il m’en restait trois ou quatre pour mon pied. Il me les a déduits de la prescription. Il vérifie ! »

La solution ? « C’est d’abord aux organisations à y voir avec ses médecins et ses soigneurs, répond l’ancien hockeyeur devenu politicien. Ensuite, la Ligue doit avoir des critères clairs. Ils ne doivent pas être au-dessus des codes de la profession. »

En temps normal, un soigneur ne peut pas donner des médicaments.

Enrico Ciccone

Dans un tout autre registre, le député de Marquette est heureux de voir que les jeunes peuvent à nouveau pratiquer leur sport après un an et demi de pandémie. Il a été au front quotidiennement pour exiger des scénarios de rechange pour les jeunes pendant cette période difficile.

« Je suis content qu’ils puissent enfin faire du sport, mais un dommage considérable a déjà été fait. Ça me fait de la peine parce qu’on avait soulevé un drapeau rouge au début du confinement. On avait prévenu des risques de problèmes de santé mentale, de décrochage scolaire. Combien de fois je l’ai dit ?

« Les pédiatres aussi l’ont dit. La santé collective va toujours passer avant les libertés individuelles, je le comprends, mais quelles sont les solutions pour éviter le décrochage scolaire, la dépendance à la drogue, aux jeux vidéo, les problèmes alimentaires chez les jeunes filles ? On n’a rien offert, et aujourd’hui, on en a perdu une cristie de gang. Ça me brise le cœur. Le sport était une manière d’en garder à l’école. Il y a eu beaucoup de dommages collatéraux. »