Cette journée du 4 juillet 2021, Félix Guay est à la maison familiale. Il apprend par texto qu’il a été repêché par une équipe de hockey junior AAA.

Sa mère vient de sortir une tarte du four. En entendant la nouvelle, elle crie de joie, prend son fils dans ses bras, lui dit qu’elle l’aime. Puis, elle sort faire un tour de trottinette électrique avec son conjoint. « Quand on va revenir, on va manger la tarte », dit-elle à son fils avant de partir.

C’est une chaude journée d’été. Félix est en train de se faire bronzer sur le bord de la piscine de la demeure familiale, à Gatineau, quand il reçoit un appel de son père : sa mère a fait une violente chute en roulant sur une bosse.

« J’ai juste pris mon vélo et j’ai pédalé jusqu’à l’hôpital », raconte l’adolescent de 16 ans.

Sur place, on lui explique que sa mère a subi un traumatisme crânien. Félix pense à une blessure mineure ; une fracture, peut-être. On lui apprend que sa mère est plongée dans le coma. La situation est grave. Rapidement, on fait savoir à la famille qu’elle devra probablement prendre une décision. De celles que personne ne veut avoir à prendre dans une vie.

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Félix Guay fonce tête première vers ses rêves, question d’honorer sa mère.

Alors que son père décide de rester à l’hôpital ce soir-là, Félix retourne à la maison. « J’ai vu la tarte sur le four, et là, je me suis mis à brailler », se souvient-il.

Le jeune homme, son père et sa sœur de 19 ans discutent longuement dans les jours qui suivent, jusqu’à décider, le 8 juillet, de dire au revoir à la femme de 49 ans. « Elle l’avait déjà dit de son vivant que, tant qu’à être légume, elle ne voulait pas [être réveillée]… »

Avec son don d’organes, Sonia Moniz sauvera trois vies, dont celle de sa cousine, à qui elle donne un rein.

« Je vais le faire pour ma mère »

La Presse a rencontré Félix Guay le 2 octobre, alors que son équipe, les Forestiers d’Amos de la Ligue M18AAA du Québec, était en visite à Magog. Trois mois après la mort de sa mère, le jeune homme est toujours en deuil, évidemment. Mais il fonce tête première vers ses rêves, question d’honorer celle qui était et restera toujours sa plus grande fan.

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Félix Guay et sa mère Sonia Moniz

Parce que Sonia Moniz adorait le hockey. Elle n’a jamais raté un match ni même un entraînement de son fils. Quand on questionne Félix sur sa relation avec sa mère, ses yeux s’embuent. Mais il refuse de pleurer, « pas ce matin », dit-il avant de prendre une grande respiration et de dire dans un souffle : « Ma relation avec ma mère, pour vrai… c’était la meilleure. »

À peine quelques jours après la plus difficile journée de sa vie, Félix avait décidé de prendre quand même part à un camp de hockey organisé par son agence. « Elle voulait vraiment que je le fasse, alors j’y suis allé. »

Pendant les semaines qui ont suivi, il a gardé en tête son objectif de percer l’alignement de l’Intrépide de Gatineau, dans la LHM18 AAAQ. Il s’est entraîné tout l’été pour y arriver.

Ça m’a plus motivé qu’autre chose. Je me suis dit : je vais le faire pour ma mère, pour moi, pour ma famille.

Félix Guay

Il n’a finalement pas percé l’alignement de l’Intrépide, mais les Forestiers d’Amos, eux, ne l’ont pas laissé filer. Ils l’ont sélectionné et lui ont offert une audition dans un match préparatoire.

« Shawn [Lanoue, l’entraîneur-chef] m’a appelé deux jours après en me disant : « Quand est-ce que tu déménages à Amos ? » J’étais content ! Toute ma famille criait en arrière », se remémore-t-il, son polo des Forestiers sur le dos.

Il a fait ses valises, non sans penser à son père et à sa sœur, qui resteraient à Gatineau.

« C’est sûr que j’y ai pensé, admet-il. Mais ce sont eux qui me réconfortaient. Ils me disaient : « Félix, il faut vraiment que tu y ailles. Fais-le pour mom. Elle aurait voulu [que tu y ailles]. » Je pense que ça m’a juste poussé à y aller. »

Un précieux soutien

L’entraîneur adjoint des Forestiers, Nicolas Dionne, a aussi vécu le deuil de sa mère. C’était il y a sept ans, il avait 21 ans et il jouait lui aussi du hockey de haut niveau. Elle s’est éteinte à la suite d’un long combat contre le cancer.

« Un matin, mon père m’a réveillé vers 6 h. Elle était dans l’ambulance. Au début, elle s’en allait dans une maison de soins palliatifs, mais elle ne s’est pas rendue », raconte-t-il, assis aux côtés de Félix dans le restaurant de l’hôtel magogois où nous nous étions donné rendez-vous.

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Félix Guay en action avec les Forestiers d’Amos

Au moment où les Forestiers ont décidé de sélectionner Félix, Nicolas a appris ce que le jeune homme avait vécu au courant de l’été. « Je me suis dit : je sais ce qu’il vit », se souvient l’homme de 28 ans.

C’est lors d’une marche après un souper d’équipe au restaurant que Nicolas et Félix ont discuté de leur expérience respective pour la première fois.

L’entraîneur sait quels sont les moments difficiles : le premier Noël, le premier anniversaire… Il sera là pour le jeune hockeyeur s’il en a besoin.

Il sait que la porte est ouverte s’il y a quelque chose, que je l’ai vécu. Je sais comment il peut se sentir.

Nicolas Dionne, entraîneur adjoint des Forestiers d’Amos

Le jeune homme, qui fait preuve d’une impressionnante maturité, ne garde pas ses émotions enfouies. Il parle avec sa sœur et son père tous les jours. Étant d’origine portugaise, il compte sur une grande famille tissée serré. Il en a parlé à un coéquipier récemment, aussi. Et il sait qu’il a accès à son entraîneur adjoint s’il en a besoin.

« J’ai l’impression qu’il est plus proche de ses émotions que moi, je l’étais, dit Nicolas Dionne. Moi, je gardais tout ça en dedans. »

« Le fait que j’habite à Amos, c’est sûr que ça change un peu les idées, renchérit Félix. Je suis occupé avec le hockey, avec l’école. Je suis en chimie et physique, les devoirs prennent beaucoup de temps. »

« Et j’ai OD [Occupation double] le soir ! », lance-t-il en riant.

11 septembre 2021

Le 11 septembre, les Forestiers disputaient leur premier match de la saison contre le Rousseau-Royal de Laval-Montréal. La rencontre était commencée depuis un peu moins de deux minutes quand Félix a sauté sur la patinoire pour sa première présence. Il s’est emparé de la rondelle et son premier tir a terminé son chemin derrière le gardien.

But !

Un scénario à faire rêver.

« Ça va être cliché, je m’excuse, mais c’est vraiment ça qui est arrivé, je ne vous niaise même pas : avant la game, c’est la première fois que je demandais à ma mère d’être avec moi. J’ai dit : mom, j’ai besoin de toi, aide-moi pour la game. »

Une quarantaine de membres de la famille, conscients de la fierté qu’aurait ressentie Sonia Moniz en voyant son fils dans l’uniforme des Forestiers, avaient fait la route de Gatineau à Laval pour le match. Quand la rondelle a traversé la ligne des buts, l’aréna a presque tremblé sous leurs cris.

« C’était épique, dit le fougueux joueur de centre. Je pense que c’est mon plus beau moment au hockey à vie. »