(Montréal) Dans la Ligue nationale de hockey (LNH), verser 6,1 millions de dollars à un joueur au début de la vingtaine ne relève pas toujours de la folie.

C’est beaucoup moins que ce que touchent Miro Heiskanen et Leon Draisaitl, et c’est dans les mêmes eaux que ce qu’ont obtenu Pierre-Luc Dubois et Jonathan Drouin quand ils ont signé leur deuxième contrat dans la LNH.

Mais pour un ensemble de raisons, le cas de Jesperi Kotkaniemi n’est aucunement comparable à celui de ces quatre joueurs repêchés, comme lui, au troisième rang au total. Et c’est pourquoi Marc Bergevin qualifie l’offre hostile qu’a reçue Kotkaniemi de « démesure ».

« L’offre de 6,1 millions pour un an, c’était de la démesure, a estimé Bergevin en visioconférence, lundi. On a pris une décision là-dessus, mais aussi sur l’avenir de la masse salariale. On a de bons joueurs qui poussent et il faut être prudents. Et on a pu aller chercher [Christian] Dvorak qu’on aime bien, un joueur établi de seulement 25 ans. »

Bergevin rencontrait les médias pour la première fois depuis que les Hurricanes de la Caroline ont soumis une offre hostile à Kotkaniemi, offre que Bergevin aurait pu égaler pour garder les services du joueur. Mais le directeur général du Canadien s’est abstenu.

Son homologue en Caroline, Don Waddell, avait indiqué en fin de semaine qu’il avait cherché à obtenir Kotkaniemi par une transaction, avant de se tourner vers l’option nucléaire. Bergevin a confirmé les faits.

« La valeur de l’offre hostile était meilleure, donc on a décidé de ne pas faire l’échange avant », a précisé le directeur général. Rappelons qu’en laissant partir Kotkaniemi, le Tricolore a obtenu en compensation un choix de premier tour et un autre de troisième tour.

Des regrets

De toute évidence, la relation entre Kotkaniemi et son ancienne organisation ne s’est pas conclue dans la joie, l’harmonie et la communion. Dimanche, le Finlandais a laissé tomber que son développement à Montréal « aurait pu être mieux géré », et n’a pas vraiment abordé ses propres responsabilités dans le dossier.

Lundi, c’était au tour de Bergevin de répliquer. Il s’est permis quelques tours au bâton, que voici :

« Kotkaniemi peut répondre de son point de vue, mais nous donnons les mêmes outils à tous les joueurs pour atteindre leur plein potentiel. Certains y arrivent, d’autres prennent plus de temps. Certains joueurs ne font pas la bonne évaluation de leur propre jeu, ce qui crée différentes perspectives. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Bergevin

« Les entraîneurs ont une responsabilité face aux joueurs, et c’est de gagner des matchs. Quand les joueurs ne font pas ce qui leur est demandé, le coach doit prendre la décision pour faire gagner l’équipe. »

« On rencontre nos jeunes souvent. J’ai parlé souvent à Kotkaniemi, je lui ai expliqué les détails, ce qu’il doit faire. J’ai parlé à Romanov, les entraîneurs le font, c’est leur travail aussi. Certains prennent plus de temps à comprendre, d’autres ont du succès. Jake Evans est un choix de septième tour et il est dans la LNH maintenant. »

A-t-on fait quelque chose de différent avec lui ? Non.

Marc Bergevin

Cela dit, Bergevin a aussi reconnu ses torts, principalement au sujet de la décision de garder Kotkaniemi dans la LNH dès l’âge de 18 ans. Un an plus tard, soit en 2019, l’ancien capitaine du Canadien Saku Koivu avait d’ailleurs exprimé son scepticisme par rapport à cette approche.

« C’est toujours facile de refaire les choses trois ou quatre ans plus tard, a d’abord dit Bergevin. Il avait eu un très bon camp, une très bonne première moitié de saison. C’est en deuxième moitié qu’il avait commencé à avoir des difficultés. Je me disais que c’était peut-être son âge ou le calendrier de 82 matchs. Aujourd’hui, avec le recul, probablement que la meilleure décision aurait été de l’envoyer en Finlande une autre année. »

Il faut toutefois se rappeler que le Canadien avait un manque criant de ressources au centre au camp de 2018, derrière Phillip Danault. Le passage de Drouin au centre n’avait pas été un succès et on ignorait encore ce que Max Domi avait à offrir à cette position. Or, un bon centre, ça ne se trouve pas aussi facilement qu’une boulangerie artisanale dans Villeray.

L’équipe a donc dû se tourner vers un jeune pour combler une lacune immédiate, comme elle l’avait fait l’automne précédent avec Victor Mete, presque arrivé en sauveur – à 19 ans – au sein d’un groupe de défenseurs gauchers qui comptait Karl Alzner, David Schlemko et Joe Morrow.

Dans le cas de Kotkaniemi, cependant, on peut aussi se demander si la décision de le repêcher aussi rapidement que le troisième rang était la bonne, ou si la direction de l’équipe a été aveuglée par ses carences au centre. Il est encore trop tôt pour se prononcer, mais en trois ans depuis ce repêchage de 2018, Brady Tkachuk (4e, Ottawa), Quinn Hughes (7e, Vancouver) et Joel Farabee (14e, Philadelphie) ont eu davantage d’impact sur leur équipe parmi les joueurs réclamés après lui.

« De dire que c’était une erreur… Il y a une équipe qui pense qu’il vaut 6,1 millions, donc le potentiel qu’on a vu, la Caroline le voit aussi, a rappelé Bergevin. Ce n’est pas comme s’il était un flop. Il faudra attendre quelques années. »

Des leçons

Toujours au camp de 2018, le Tricolore faisait connaissance avec Nick Suzuki, fraîchement acquis des Golden Knights de Vegas. L’équipe avait finalement décidé de le renvoyer dans les rangs juniors, où il a mené le Storm de Guelph au championnat.

Au printemps 2020, l’organisation devait aussi se positionner sur Cole Caufield, qui se jugeait prêt à faire le saut chez les pros. Bergevin estimait alors que le petit ailier avait besoin d’une saison de plus à l’université. La façon dont Bergevin avait communiqué ses intentions avait fait grincer des dents dans le clan Caufield, mais le jeune homme a finalement remporté le trophée Hobey-Baker lors de cette saison supplémentaire au collège.

Le printemps dernier, Suzuki et Caufield ont été au cœur du parcours du Canadien jusqu’en finale, pendant que Kotkaniemi assistait aux quatrième et cinquième matchs de la finale habillé en civil. Une leçon de gestion des jeunes pour Bergevin ?

« Oui, c’est une leçon, je peux dire ça. Je ne suis pas parfait, a admis Bergevin. On ne prend pas toujours les bonnes décisions, mais on essaie de les prendre pour les bonnes raisons.

« Trois ans plus tard, tu le vois différemment. Mais depuis deux ans, il y a d’autres choses qui n’auraient peut-être pas changé, qui vont au-delà de la décision de ne pas le renvoyer en Finlande. »

Bergevin a aussi appris que laisser sans contrat un joueur autonome avec compensation peut être risqué. Et les autres équipes ont vu ce qu’elles peuvent obtenir en concoctant une offre agressive.

Suzuki sera justement joueur autonome avec compensation l’été prochain. Il sera intéressant de voir si Bergevin ressentira davantage de pression pour régler le dossier promptement, avant qu’un rival ne songe à déposer une offre hostile.

En bref

Au sujet de Logan Mailloux…

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA LIGUE JUNIOR DE L’ONTARIO

Logan Mailloux

Parlant de gestion de premiers choix… Le 2 septembre, la Ligue junior de l’Ontario (OHL) a annoncé que Logan Mailloux, choix de premier tour du Canadien cet été, était suspendu pour une période indéterminée. Le joueur pourra demander une réintégration dans la Ligue à partir du 1er janvier 2022, ce qui signifie qu’il ratera au minimum une demi-saison à un âge crucial de son développement. Bergevin a assuré qu’il était conscient qu’une sanction de l’OHL était « une possibilité » quand il a décidé de repêcher le défenseur. « Il va rester avec les Knights de London, il va s’entraîner avec eux, dans leur environnement. On s’attend à ce qu’il soit de retour en janvier », a dit Bergevin. Rappelons que Mailloux a été condamné par la justice suédoise pour un crime commis en novembre 2020. Le défenseur, qui avait alors 17 ans, avait photographié, sans son consentement, sa partenaire sexuelle, avant de distribuer la photo et de révéler l’identité de la jeune femme à ses coéquipiers. Il a payé une amende de 2000 $.

Au sujet de son avenir…

Bergevin avait fait sourciller, l’été dernier, en demeurant vague au sujet de son avenir, se contentant d’affirmer qu’il honorerait la dernière année de son contrat, qu’il écoulera en 2021-2022. Relancé sur la question, il n’a pas voulu en dire davantage. « Rien de nouveau à dire », a-t-il répondu.

Au sujet du capitaine…

Même si l’absence de Shea Weber pour la totalité de la saison a été confirmée, même si sa carrière est compromise, le Canadien n’est pas pressé de nommer un nouveau capitaine. Bergevin a répondu un « non » catégorique lorsqu’il s’est fait demander s’il envisageait de donner le « C » à un autre joueur pour la saison à venir.