Si Marc Bergevin voulait faire cesser les questions sur la place qu’il accorde aux Québécois, il ne s’y serait pas pris différemment.

Une semaine après avoir repêché quatre espoirs de la LHJMQ, le directeur général du Canadien s’est de nouveau tourné vers des produits du circuit Courteau lors de l’ouverture du marché des joueurs autonomes.

Il a ainsi mis la main sur le défenseur David Savard et l’attaquant Cédric Paquette. Les plus malins ajouteront l’Ontarien Mike Hoffman qui, sans être capable de réciter (on suppose) le classique de Groovy Aardvark Le p’tit bonheur, a tout de même joué son hockey junior à Drummondville, Gatineau et Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick.

Joueurs autonomes embauchés par le Canadien mercredi (salaire annuel moyen en millions)

David Savard : 4 ans, 14 millions (3,5) Mike Hoffman : 3 ans, 13,5 millions (4,5) Cédric Paquette : 1 an, 950 000 $ Chris Wideman : 1 an, 750 000 $ Jean-Sébastien Dea : 1 an, 750 000 $ *Louie Belpedio : 1 an, 750 000 $* *Contrats à deux volets

Tout cela survient au terme d’une année où Bergevin et Trevor Timmins ont été talonnés sur le fait québécois. Ç’a commencé au repêchage d’octobre dernier, quand le CH n’avait repêché aucun joueur de la LHJMQ. Puis, le 10 mai, en l’absence de Jonathan Drouin et Phillip Danault, le Tricolore a disputé, pour la première fois en 110 ans d’histoire, un match sans aucun Québécois dans sa formation.

Danault parti, Savard et Paquette s’ajoutent néanmoins à Drouin en tant que Québécois dans l’équipe. C’est sans oublier Paul Byron, un Ontarien qui a appris le français, qui a joué pour les Olympiques de Gatineau et qui demeure à Montréal à l’année.

Alors, cette récolte de la dernière semaine, est-ce une coïncidence ? Ou a-t-on plutôt revu les priorités dans l’organisation ?

« Non, ça n’a jamais changé. On est conscients qu’on aime nos francophones ici au Québec. L’an passé, il y a eu plus de matchs dans la LHJMQ qu’en Ontario et dans l’Ouest », a rappelé Bergevin, en visioconférence.

Le directeur général a ensuite rappelé qu’il avait besoin d’un droitier « pour remplacer Shea Weber » et, tiens donc, David Savard tire de la droite. Paquette ? « Je me souviens de lui avec l’Armada, j’ai toujours aimé comment il se comporte sur la patinoire, sa robustesse dans les coins, ce qu’il apporte à une équipe de hockey…

« C’est peut-être plus par coïncidence. Mais on est très conscients du fait qu’à Montréal, on regarde pour des joueurs francophones. […] Ça peut arriver que nos trois Québécois soient blessés. Mais ce n’est pas par manque de respect envers nos partisans du Québec. Ce sont les circonstances. »

Bergevin a ainsi embauché des joueurs enthousiastes de rentrer à la maison. Savard racontait qu’il a souvent incarné Patrick Roy, Jocelyn Thibault ou José Théodore quand il était gamin. Aujourd’hui, l’homme de 30 ans a trois enfants ; ses deux plus vieux auront 6 et 5 ans dans les prochaines semaines, son plus jeune a 18 mois. « On en avait parlé, ma femme et moi, que ça serait le fun de revenir proche de nos familles si l’occasion se présentait », a mentionné Savard.

PHOTO PHELAN M. EBENHACK, ASSOCIATED PRESS

David Savard

Paquette, lui, aura 28 ans le mois prochain. « Pour un p’tit gars de Gaspé, je ne pouvais pas dire non. Mon agente avait parlé à d’autres équipes. C’est ici que je voulais jouer, pour me rapprocher de ma famille », a dit le fougueux attaquant.

Un gros vide à combler

Une bonne partie de la controverse sur la faible représentativité québécoise s’est estompée au printemps, à mesure que le Canadien empilait les victoires jusqu’en finale. « Le peuple québécois va te laisser gagner en anglais, mais il ne te laissera pas perdre en anglais », dit souvent Serge Savard.

Alors, cette équipe gagnera-t-elle ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais ce qui est clair, c’est que les nouveaux venus auront de gros trous à combler.

Commençons par David Savard : « Je voulais avoir un rôle assez important dans l’équipe à laquelle je vais me joindre. J’en ai encore beaucoup à donner. Le fait qu’ils aient perdu Shea pour une bonne période, ça a pesé dans la balance. »

Mais Weber jouait près de 23 minutes par match la saison dernière, une moyenne que Savard n’a pas atteinte depuis 2015-2016. La saison dernière, le Maskoutain a joué en moyenne 20 minutes par match – presque jamais en avantage numérique – et en séries, il était employé au sein du troisième duo.

La brigade défensive du CH ne devrait donc pas battre de records offensifs, mais ça ne semble pas embêter Bergevin, même s’il reconnaît que la présence de Weber dans le vestiaire est « irremplaçable ».

« Avec David, on voit un joueur similaire pour le désavantage numérique. Il a un très bon gabarit, il est vraiment intense, il amène un peu de robustesse devant le filet. On veut garder le pattern qui nous a donné du succès en séries avec notre top 4. »

La ligne de centre

Hoffman devrait pouvoir remplacer Tomas Tatar à l’aile gauche. Hoffman est même légèrement plus productif que le Slovaque et compte cinq saisons de plus de 25 buts, dont une de 36 filets.

Paquette apportera son lot d’énergie au sein du quatrième trio, et se dit capable de jouer au centre comme à l’aile. Wideman, lui, est un défenseur offensif qui « va se battre pour un poste », dixit Bergevin, un peu comme le faisait Erik Gustafsson en fin de saison.

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Cédric Paquette

Reste l’éléphant dans la pièce : Danault. Lui n’a pas été remplacé, si bien que c’est fragile derrière Nick Suzuki. Si la saison commençait maintenant, Jesperi Kotkaniemi et Jake Evans piloteraient les deuxième et troisième trios.

Bergevin se sent-il à l’aise avec sa ligne de centre derrière Suzuki ?

« À l’aise, c’est un gros mot. On a encore des jeunes. Jake Evans a fait de gros pas dans la bonne direction l’an dernier. On regarde de près les joueurs autonomes, mais il y en a beaucoup moins à l’heure actuelle, ou une transaction.

« Mais si on commence la saison avec ce noyau-là de centres, je reviens toujours à Jake. À un moment donné, il faut donner une chance à un jeune et Jake a très bien joué, surtout en deuxième moitié de saison. Donc on serait confortables avec ça. Mais je vais toujours regarder si on peut s’améliorer là aussi. »

Pas un seul mot dans cette réponse, donc, sur Kotkaniemi, troisième choix au total en 2018. De hauts choix au repêchage, après trois saisons dans la LNH, peuvent souvent jouer des rôles d’impact. Mais le jeune de 21 ans a assisté aux deux derniers matchs de la finale de la Coupe Stanley en veston-cravate. Bergevin ne sait visiblement pas à quoi s’attendre de lui, donc lui confier le rôle de deuxième centre semble être un grand pas.

« C’est une très bonne question que je me pose tous les jours depuis deux semaines, a admis Bergevin. On aime son potentiel, on aime son jeu quand il est au sommet. Mais même moi, parfois, je veux des choses rapidement. Il est encore jeune, il vient d’avoir 21 ans. Je veux qu’il soit constant, qu’il soit à son mieux tous les soirs.

« Si je n’ai pas le choix, je vais devoir me fier à lui, et tu espères que le jeune va prendre la prochaine étape. Je ne le sais pas avec certitude, mais ça pourrait être le cas avec Kotkaniemi. »