(Tampa) Ils ont surpassé les attentes de tous. Sauf les leurs.

Mais pour les joueurs du Canadien, battre le Lightning de Tampa Bay était l’épreuve de trop, dans une saison qui en a compté plusieurs. Les hommes de Jon Cooper ont conclu cette finale en l’emportant 1-0 dans le cinquième match, pour soulever la coupe Stanley pour une deuxième année de suite.

Malgré un parcours plus que digne du Tricolore, parcours perçu par bon nombre comme une victoire en soi, les mines étaient abattues après le match. Carey Price, qui ne montre jamais le moindre soupçon d’émotion, devait couper ses réponses, prendre des respirations entre ses phrases, tellement la douleur était vive. Il joue depuis 14 ans dans la LNH pour se rendre là et ne sait pas s’il y retournera.

« C’est incroyablement décevant, a d’abord dit le gardien. On est seulement déçus du résultat. On a des jeunes qui ont gagné de l’expérience. On va panser nos plaies. »

Ce qu’il dirait à ses coéquipiers : « Que je suis fier d’eux. On a fait tout un parcours. C’est tout ce qu’il y a à dire. »

PHOTO PHELAN EBENHACK, AP

Carey Price

Shea Weber en est un autre qui cache bien son côté chaleureux. Mais il aura 36 ans cet été et lui non plus ne sait pas s’il aura une deuxième chance de soulever le gros trophée. C’est bien beau de dire que les jeunes gagnent en expérience, mais le temps ne s’arrêtera pas comme par magie pour les plus vieux.

« Plusieurs d’entre nous sont à court de mots. C’est dur, a dit Weber. Tu joues pour cette raison, t’arrives très proche, et on n’a pas pu finir notre travail. »

Brendan Gallagher était à fleur de peau, comme il l’est souvent. « C’est dur en ce moment, je suis désolé », a-t-il dit après avoir formulé sa première phrase.

« En début d’année, on s’est assis et on s’attendait à être ici, peu importe ce que les gens pensaient, a poursuivi le courageux numéro 11. On a peut-être surpris bien des gens, mais on s’attendait à être ceux qui célèbrent en ce moment et c’est pourquoi ça fait si mal. »

Des ajouts et des obstacles

Marc Bergevin, lui aussi, s’attendait à voir son équipe veiller aussi tard. « We mean business », cette remarque prononcée au début du camp qu’on lui a souvent remise sur le nez. Mais il avait une vision.

Cette vision était animée par la confiance qu’il avait en son vieux noyau qui commence par les vétérans Price, Weber et Jeff Petry, qui se poursuit avec des joueurs dans la force de l’âge comme Gallagher, Phillip Danault et Ben Chiarot, avec des jeunes en pleine progression comme Nick Suzuki et Jesperi Kotkaniemi. Groupe auquel il a greffé Tyler Toffoli, Josh Anderson, Joel Edmundson, Corey Perry et un adjoint digne de ce nom pour Price, Jake Allen.

Ce groupe a survécu à un changement d’entraîneur-chef pendant la saison, à un autre pendant les séries. À un calendrier chamboulé en raison de la COVID-19. À d’inquiétants creux de vague de celui qui a finalement été un roc pendant les séries. Malgré ces embûches, ils ont obtenu leur billet pour les séries.

Une fois en séries, ils se sont retrouvés en retard 1-3 contre les Maple Leafs de Toronto. Ces mêmes Maple Leafs qui, avant la saison, étaient vus comme les favoris de la division Nord. « Le Canadien n’a aucune chance de sortir de sa division en séries », entendait-on.

« Et si le Canadien, par miracle, se rend en demi-finale, il n’aura aucune chance parce qu’il joue dans la pire division de la LNH », entendait-on ensuite. Le CH a répondu en battant les Golden Knights de Vegas, une des puissances de la LNH.

Pourquoi ? Parce que quand Bergevin a fait sa déclaration, il savait son équipe bâtie sur mesure pour les séries. « Ça a pris du temps pour trouver notre game, a admis Danault. Mais on l’a trouvée en séries. Je suis vraiment fier de la façon dont on a poussé. On a accompli quelque chose de gros. »

PHOTO DOUGLAS DEFELICE, USA TODAY SPORTS

Phillip Danault (24) effectue une mise en échec sur Ondrej Palat (18)

À peu de choses

Dominique Ducharme était lui aussi attristé. « C’est difficile à prendre. On arrive si proche, dans un match si serré. »

C’est effectivement sur une défaite par un petit but d’écart que la saison du Canadien a pris fin. Un but que le Canadien aurait pu aller chercher, par exemple, quand Anderson est parti en échappée en fin de match.

Mais ce serait oublier qu’un si long parcours tient à peu de choses. Rappelez-vous la prolongation du sixième match contre Toronto. Cette prolongation pendant laquelle Toronto menait 13-1 aux tirs au but, quand Kotkaniemi a déjoué Jack Campbell. Les piles semblaient à plat. Et pourtant.

Que dire de la série contre Vegas ? Et si Marc-André Fleury ne gaffe pas avec la rondelle pour permettre à Anderson de créer l’égalité, que serait-il advenu de cette série ? Ça se joue sur de petites choses.

C’est aussi vrai pour les épreuves rencontrées par le Canadien. Où serait cette équipe si Petry ne se coince pas deux doigts dans un trou de la baie vitrée ? Le meilleur défenseur offensif du CH a fini ses séries sans le moindre but en 20 matchs.

Idem pour Toffoli et Gallagher, deux joueurs qui ont joué malgré des blessures à l’aine, a révélé Ducharme après le match. Ni l’un ni l’autre n’a été en mesure de livrer son plein rendement. Ça explique en partie pourquoi le Canadien s’est contenté de huit buts en cinq matchs en finale. Parce que ça se joue sur de petites choses.

Ça se joue sur de petites choses, sur des nuances. Mais le résultat final, lui, est sans nuance : le Lightning soulève la coupe Stanley, et le Canadien devra recommencer à zéro l’automne prochain. Prenez cette dure réalité, ajoutez-y les attentes qu’avait ce groupe, et vous avez les ingrédients qui expliquent pourquoi Price, Weber et Gallagher refoulaient les sanglots, ou presque.

« Les attentes de l’extérieur n’étaient pas élevées, a rappelé Ducharme. Mais nous, c’est ici qu’on voulait être. Si on en avait parlé avant les séries, on se serait fait traiter d’idiots. Mais on aurait voulu aller chercher trois victoires de plus. »

Finalement, les idiots, c’était peut-être nous.

Dans le détail

Encore Vasilevskiy !

PHOTO KIM KLEMENT, USA TODAY SPORTS

Andrei Vasilevskiy (88)

Peut-on assurer sa place au Temple de la renommée dès l’âge de 26 ans ? C’est essentiellement ce qu’Andrei Vasilevskiy a accompli ce printemps. D’une part, il soulève sa deuxième Coupe Stanley à titre de gardien titulaire. D’autre part, il a maintenant terminé les cinq dernières séries du Lightning par jeu blanc : les quatre tours cette année, et le sixième match contre les Stars de Dallas l’an dernier. Même s’il n’a pas été très occupé durant les deux premières périodes, il a dû se signaler notamment devant Josh Anderson en échappée en fin de match. Son ultime jeu blanc lui a valu le trophée Conn-Smythe ; on devine que ce jeu blanc lui a permis de doubler son coéquipier et compatriote Nikita Kucherov au scrutin.

De l’amour pour Perry

Corey Perry ne doit pas la trouver facile. Pour la deuxième année de suite, il voyait le Lightning fêter dans l’allégresse sur la patinoire au terme d’une finale. Tout au long des célébrations, d’ailleurs, il est resté sur un genou, tournant le dos au Lightning, à regarder vers son propre banc. Dans la file de poignées de main, il était le dernier joueur du Canadien, avec Josh Anderson, un autre qui a semblé très émotif quand a retenti la sirène finale. Heureusement que Perry était à la fin, car ses rivaux en avaient long à lui dire, dans le bon sens du terme. Steven Stamkos, son ancien comparse avec Équipe Canada, de même que Patrick Maroon, qu’il a côtoyé à Anaheim, lui ont notamment donné beaucoup d’amour. Malgré son âge, malgré son coup de patin qui ne s’améliore pas, Perry n’aura pas de mal à trouver un contrat cet été. Et à poursuivre sa quête d’une deuxième Coupe, après celle de 2007.

Les héros dans l’ombre

La bonne nouvelle pour une équipe en finale, c’est que les matchs sont suivis de tellement près que des héros autrefois obscurs ne le sont plus. Prenez Blake Coleman. Pendant que Brayden Point et Nikita Kucherov passaient leur printemps à réécrire le livre des records, lui faisait son bonhomme de chemin. En première période, il était carrément le meilleur joueur sur la patinoire. À lui seul, il a bousillé le premier avantage numérique du Canadien. D’abord, avec un travail incessant en échec avant qui lui a permis d’obtenir deux occasions de marquer coup sur coup. Puis en déconcentrant Josh Anderson à une mise en jeu, pour ensuite le forcer à l’accrocher et écoper d’une pénalité. Son comparse Barclay Goodrow mérite lui aussi des fleurs. Il a embêté le Canadien tout au long de cette finale et s’est sacrifié pour bloquer deux tirs en fin de match, dont un de Shea Weber. Deux très, très bonnes acquisitions d’un autre héros obscur de ce championnat, Julien BriseBois.

Ils ont dit

On a plusieurs joueurs qui ont travaillé toute leur carrière pour se rendre ici. C’est dur à digérer.

Brendan Gallagher

Je sens que j’ai appris de toutes les défaites difficiles que j’ai eues en séries. C’est douloureux en ce moment, mais t’as parfois besoin de le sentir pour devenir champion. J’aurais mieux aimé ne pas le vivre, mais ça fait peut-être partie de l’aventure.

Brendan Gallagher

Je n’ai pas assez bien joué au début de la série.

Carey Price, sur ce qui a fait la différence dans cette série

Je ne pense pas du tout que ce soit ça. On n’a pas assez bien joué devant Carey. Le Lightning était ici pour une raison : c’est la meilleure équipe.

Shea Weber, en réponse à la déclaration de Carey Price

On a un bon groupe de gars, un des groupes les plus unis que j’ai vus en 16 ans. Les circonstances de cette saison étrange nous ont rapprochés.

Shea Weber

« L’équipe qu’on a affrontée a affronté beaucoup d’adversité. Ça leur a pris du temps à apprendre à gagner ensemble. On a fait un pas dans la bonne direction.

Dominique Ducharme

Je suis déçu pour tout le monde, pas juste pour moi. Pour le groupe, pour les joueurs, pour notre staff, pour Marc et son équipe, pour Geoff. Je suis déçu pour tout le monde. Pour le reste, on verra dans les prochains jours.

Dominique Ducharme, interrogé à savoir s’il pense qu’on retirera son titre intérimaire

En hausse

Carey Price

Il a fini cette série en force. Ses trois premiers matchs en finale ont toutefois plombé ses chances de remporter le Conn-Smythe en tant que membre de l’équipe vaincue.

En baisse

Tyler Toffoli

Le prolifique marqueur en saison a été réduit au silence au cours de cette finale : zéro point en cinq matchs.

Le chiffre du match 

28

La disette des équipes canadiennes est maintenant de 28 ans. Depuis le Canadien en 1993, seules des équipes américaines ont soulevé la Coupe Stanley. Le Tricolore a toutefois brisé la séquence de 10 ans sans club canadien en finale.