Le Canadien a laissé échapper le premier match, une leçon de hockey du Lightning de Tampa Bay. Il n’y a pas à dire, c’est dans ces moments qu’on comprend d’où vient la réputation du « trophée le plus difficile à gagner au monde ». C’est quand on voit Brendan Gallagher le visage couvert de sang. Yves et Léa, jusqu’au bout, deuxième partie.

Le trésor

Mon cher Yves,

Les enfants sont en vacances. Je leur ai donné une semaine de répit entre la fin des classes et le début des camps de jour. Canadien ne se repose pas, je ne vois pas pourquoi moi, je le ferais.

Ma fille de 6 ans m’a fait une chasse au trésor ce matin. Le trésor (je te le dis sans que tu fasses la chasse), c’était qu’elle avait écrit à la craie sur le mur de notre façade son prénom et Maman dans un grand cœur. Quand on n’a pas encore Facebook, on écrit son amour sur le vrai mur des gens. Tu l’aurais vue m’amener d’indice en indice qu’elle avait soigneusement rédigé à la main au crayon à mine sur des feuilles.

« Aller chercher den les petit placare de la cuisine ». J’aurais pu fondre. C’était long, en plus, comme chasse ! Elle a travaillé vraiment fort à exécuter chaque morceau de l’énigme. Je devais de surcroît trouver des lettres qu’elle avait cachées partout dans la maison et qui formaient l’indice final. Bref, je ne t’en dis pas plus, ma fille est un génie.

Tu sais quoi d’autre est une chasse au trésor interminable pour laquelle il faut beaucoup travailler ? … La Coupe. Il est gros, notre Graal, on pourrait boire pas mal plus que le sang du Christ dedans, on pourrait s’y baigner. Ce qui, par cette chaleur, ne serait pas de refus.

T’as une piscine, toi ? Moi, non. Je parie que t’as une piscine. Tu t’occupes du pH et tout ? De mettre les pastilles de chlore ? Ça me rappelle mon papa des années 80. Quand j’étais petite, on avait une piscine et un terrain de tennis dans notre cour. C’était pas normal. Mais moi, je pensais que si, parce que j’étais petite. Et quand t’es enfant, tu penses que tout le monde vit comme toi. Je me souviens que je voyais mon père dans son short de tennis aller vérifier la chimie de la piscine.

Maintenant, j’ai un mari qui ne peut pas faire ça, mais qui peut démarrer la clim avec son téléphone. Alors il en parle au voisin.

Tu sais comment c’est, vieillir. T’as remarqué, regarder une finale de Coupe, c’est un peu comme regarder les autres parties, en fait. J’ai pas changé grand-chose. Je plie encore nerveusement du linge et je couche les petits qui s’en foutent (2 sur 3) à la 2période. Ils préfèrent dormir, ils font bien. Ils se sauvent du trouble.

Et puis, il faut de l’énergie pour penser à des indices de chasse au trésor, ou des armures de bonshommes de jeu vidéo. Ma fille m’a dit qu’elle a eu l’idée de créer sa chasse aux toilettes. On sous-estime le nombre de bonnes idées qui ont été trouvées sur le bol. On dit qu’Archimède a crié « Eurêka » en sortant du bain, mais qui te dit qu’il n’était pas sur un cabinet d’aisances ? Et que dire du penseur de Rodin… L’ordinaire chez l’Homme, on ne peut jamais le dissocier de l’extraordinaire.

C’est bien pour ça que je continue de croire qu’on peut gagner notre gros bol. Ça reste des petits gars qui jouent au hockey. Oui, je vois tous les pronostics, et toutes les prédictions, vous êtes tannants à toujours vouloir savoir à l’avance. C’est comme les sondages avant les élections… Un moment donné, t’as beau prendre toutes tes équerres et tes rapporteurs d’angle, faire tous les calculs savants qui permettent d’envoyer un humain sur la Lune, on ne sait pas ce qui va se passer !

Gérez votre anticipation, dans quelques jours, on saura enfin à QUI revient le trésor. Quant à moi, on l’a déjà reçu. Cette vague d’amour inespérée dans laquelle on baigne depuis les séries est largement suffisante. Et puis, au pire, il me restera celle du mur de ma façade. 

L’importance des plans

Chère Léa,

J’ai reçu un plan secret.

C’était cinq minutes avant le début de la partie. J’entends cogner à la porte – la sonnette ne fonctionne plus et à cause de la pénurie de main-d’œuvre, il n’y a plus de réparateurs de sonnettes en ville.

« Veux-tu ben me dire qui vient cogner cinq minutes avant le début d’une partie de finale ? », que je me suis dit, sans penser que si t’es un huissier, un soir de match en finale est le moment idéal pour trouver un débiteur furtif.

On ne voyait personne par la fenêtre. J’ai ouvert. C’était mon voisin Émile en pyjama. Il m’a tendu un papier plié en quatre, où était écrit le plan : « yves j’ai un plen pour vos fraise. Mon plan pour vos fraise c’est de acrôché un crôchè et de le m’aître dans notre cours. »

Oh le bon plan !

C’est qu’on a un petit fraisier qui a donné des dizaines de fraises, mais les foutus écureuils les ont toutes mangées. Chose que j’ignorais : chez Émile aussi, ils ont un fraisier mais, plus brillants, ils l’ont perché sur une espèce de mât glissant qui le rend inaccessible à la vermine poilue.

J’accepte le plan, Léa !

Ça me permet de revenir sur ce sujet crucial : l’importance d’avoir un plan.

Car, Léa, souviens-toi de cette maxime que j’ai entendue dans la bouche d’un homme d’affaires du Texas : « un idiot avec un plan peut battre un génie sans plan ».

Qu’il soit ou non commandité par Albi le géant, ça te prend un plan. Pour le match comme pour tout le reste dans la vie.

Je parlais justement du plan pour le défilé de la Coupe avec le beau-père, l’autre jour. Tu me diras : c’est nettement prématuré. Euh, pas pour les logisticiens municipaux ! Je suis certain que, dans un sous-sol de l’hôtel de ville, une équipe d’élite est en train d’étudier le plan optimal pour le défilé de la Coupe. Ça fait si longtemps, tu comprends, plus personne ne sait faire ça à Montréal. Ils ont sûrement sorti les vieux plans du maire Drapeau et de Camillien Houde, qui était maire avant d’être une côte de vélo.

Le beau-père préfère Sainte-Catherine. J’opte pour René-Lévesque. Question de distanciation.

J’ai d’ailleurs tenté de savoir s’il allait au défilé de la Coupe, dans le temps où le Club avec Maurice en gagnait cinq de suite, de 1955 à 1959. Il a glissé sur la question comme il glisse tout le temps et m’a appris ceci : il a lui-même été au centre d’un défilé victorieux avec sa propre équipe de hockey dans les rues de Laval-des-Rapides, quand ils avaient battu en finale l’Abord-à-Plouffe ou un autre gros club sénior B de la région.

Écoute ça, Léa : il était assis à l’arrière d’une décapotable rutilante et saluait la foule en liesse massée dans le boulevard Cartier. Et qui conduisait la décapotable rutilante ? Un éminent résidant de Laval-des-Rapides : Jacques Plante lui-même. Tu te rends compte ? D’ailleurs, pas pour le vanter, mais il a été camelot et livrait La Presse chez le légendaire gardien de but (peut-être pas l’adresse qui tippait le plus, mais j’ai juste une source). Oui, madame. Mon propre beau-père.

En tout cas.

Je sais qu’à part la reproduction frénétique des lapins domestiques à Sainte-Julienne, tu t’inquiètes surtout au sujet du match de ce soir. Si je me laissais aller, je te prédirais un autre Toronto en quatre.

Ça va prendre un plan, Léa.