Le constat est dur, mais bien réel : le hockey de haut niveau, pour les femmes, est un acte de foi.

Les membres des sélections nationales ont vu le Championnat mondial leur glisser entre les doigts au printemps avant que le tournoi soit sauvé in extremis. Les joueuses professionnelles canadiennes n’ont plus de ligue depuis deux ans. Et les jeunes hockeyeuses qui sortent des rangs universitaires n’ont aucune avenue concrète, ou presque, si elles veulent continuer à pratiquer sérieusement leur sport.

Dans ce contexte, bâtir pour l’avenir est plus que jamais une épreuve de volonté et de persévérance… que relève Danièle Sauvageau, contre vents et marées.

L’entraîneuse bien connue, qui était à la tête de la formation canadienne ayant remporté la médaille d’or aux Jeux olympiques de Salt Lake City en 2002, a mis sur pied le Centre 21.02, centre de haute performance établi depuis l’automne dernier à l’auditorium de Verdun et voué au hockey féminin. Un groupe de 33 joueuses s’y est entraîné tout l’hiver jusqu’à cinq fois par semaine sous la supervision d’un groupe d’entraîneurs.

Soutenu jusqu’ici quasi exclusivement par du financement privé, le Centre vient de recevoir le coup de pouce de Québec qu’il attendait depuis presque deux ans. Isabelle Charest, ministre déléguée à l’Éducation et responsable de la Condition féminine dans le cabinet de François Legault, a confirmé jeudi un investissement de 375 000 $ qui servira à boucler les travaux d’infrastructure à Verdun.

On aménagera ainsi un vestiaire de niveau professionnel, une clinique, un gymnase d’appoint ainsi qu’une salle de visionnement haut de gamme qui rendra notamment possible le suivi [tracking] des joueuses sur la glace.

Le projet est emballant. Mais – car il y a un « mais » – il est loin d’être final. La contribution de Québec est, pour l’instant, unique. D’autres investissements publics devraient suivre, notamment par le truchement des programmes de soutien aux centres unisports, mais un nouveau tour de financement privé devra être réalisé afin que le Centre puisse continuer ses activités de manière pérenne. C’est d’ailleurs grâce à l’aide de partenaires « fondateurs », comme la Sun Life et BFL Canada, que le personnel d’encadrement des joueuses, à commencer par les entraîneurs, a pu être rémunéré au cours des derniers mois.

Là encore, la foi de tout le monde a été nécessaire.

« Cette année, la plupart des gens ont travaillé sur la base de la confiance, a indiqué Danièle Sauvageau en entrevue avec La Presse. Les demandes de financement étaient faites, les négociations allaient bon train avec les partenaires financiers. À mesure que l’argent rentrait, la rémunération augmentait. »

« Si on avait attendu d’avoir toutes les cartes dans notre jeu, ça ne serait jamais parti », a illustré l’entraîneure.

Budget serré

Le coup de départ du Centre 21.02 est donné depuis un bon moment, et l’aide publique, retardée par la pandémie de COVID-19, arrive à point. Cela n’empêche pas que chaque dollar doive encore être évalué, réévalué et dépensé avec soin.

Les enjeux ne pourraient être plus près du plancher des vaches. Acheter ou louer une machine pour aiguiser les patins ? Acquérir davantage de chandails d’entraînement ou économiser jalousement des sous pour embaucher un entraîneur supplémentaire ? On en est à miser sur l’établissement d’une petite boutique de souvenirs pour payer un gérant de l’équipement à temps plein.

À la blague, Danièle Sauvageau répète qu’avec l’équivalent d’un seul salaire moyen de la LNH – quelque 3,25 millions CAN –, elle pourrait « faire rouler une équipe professionnelle et un centre d’entraînement avec des évènements à longueur d’année sans [se] casser la tête ».

N’empêche, avec les moyens du bord, son équipe et elle ont l’ambition de bâtir « la première maison de hockey féminin au Canada ». Un endroit où « tout simplement, une joueuse comme Marie-Phillip Poulin puisse laisser son équipement tous les soirs et non plus le rapporter chez elle pour le faire sécher », a résumé Mme Sauvageau.

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Marie-Philip Poulin

Déjà, les résultats concrets apparaissent. Le groupe de Montréal, sous la bannière de l’équipe Bauer, a remporté il y a quelques semaines la Coupe Secret, remise au terme d’un tournoi organisé par l’Association des joueuses professionnelles (PWHPA, en anglais). Marie-Philip Poulin a inscrit le but gagnant en finale contre la formation de Toronto.

En outre, 10 des 28 joueuses invitées à la « centralisation » de l’équipe canadienne en vue des Championnats du monde puis des Jeux olympiques, à la fin de l’été, sont issues du groupe d’entraînement de Montréal.

Écart

À terme, le Centre 21.02 se donne une mission beaucoup plus large. On pense notamment à un volet sports-études ou encore à des stages spécialisés destinés à de jeunes joueuses d’élite, en complément aux programmes de haute performance déjà offerts par Hockey Québec.

On souhaite en outre que cette concentration du talent ruisselle sur la participation générale des jeunes filles.

Car le Québec, bien qu’étant la deuxième province au pays quant à sa population, fait piètre figure lorsqu’on s’attarde au nombre de ses hockeyeuses. En 2019-2020, selon le rapport annuel de Hockey Canada, on recensait au Québec 6618 inscriptions, des données comparables à celles du Manitoba et de la Saskatchewan (6022 et 5856, respectivement), loin derrière la Colombie-Britannique (9007) et l’Alberta (12 019), et surtout à des années-lumière de l’Ontario, qui compte plus de 50 000 joueuses.

La ministre Isabelle Charest a indiqué jeudi que le coup de pouce au Centre 21.02 représente à ses yeux « un pas dans la bonne direction » afin que soit davantage valorisé le volet féminin d’un sport qui, « au Québec et au Canada, prend beaucoup de place ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Isabelle Charest, ministre déléguée à l’Éducation et responsable de la Condition féminine

Elle a par contre avoué n’avoir pris connaissance que récemment des statistiques sur la participation des filles au Québec. Elle s’est sentie particulièrement « interpellée ».

« On est une province reconnue pour le développement du sport, mais quand on regarde ces chiffres sur notre sport national, on se dit : comment ça se peut ? Il y a certainement quelque chose qui ne fonctionne pas dans l’offre actuelle. Je m’explique mal cet écart. On va certainement poser des questions et voir ce qu’on peut faire pour améliorer ça. »