L’entraîneur-chef du Tricolore sait communiquer avec les joueurs, et ceux-ci le lui rendent bien

Il y a de ces moments qui peuvent définir le printemps d’une équipe.

Ce sont les 53 arrêts de Jaroslav Halak dans le sixième match contre les Capitals de Washington en 2010. Cette même année, c’est le temps d’arrêt demandé par Peter Laviolette quand ses Flyers de Philadelphie perdaient 3-0 en première période du septième match contre les Bruins de Boston.

Les moments hors glace sont plus durs à déterminer, pour la simple et bonne raison que ce qui se dit dans un vestiaire y reste, en général. Sauf qu’au fil des entrevues, on en vient à en savoir plus sur certains de ces épisodes.

Ces moments ne débouchent pas forcément sur une Coupe Stanley — les deux exemples cités précédemment n’ont pas mené à un couronnement —, mais peuvent néanmoins aider une équipe à faire un bout de chemin.

Visiblement, celui du Canadien ce printemps est survenu à la veille du cinquième match contre les Maple Leafs de Toronto, quand le Tricolore venait de subir trois défaites de suite, et était en arrière 1-3 dans la série.

Ça sentait le roussi pour le Tricolore. On se demandait alors comment Patrick Roy allait négocier le prochain contrat de Phillip Danault, avec qui André Tourigny ferait jouer Cole Caufield en octobre et, surtout, après combien d’entraînements du Kraken de Seattle Carey Price fracasserait son premier bâton.

Ce moment, c’est une réunion d’équipe lors de laquelle les vétérans Eric Staal, Corey Perry et Shea Weber ont raconté leurs expériences. Le Canadien a gagné ses sept matchs depuis, sans jamais même se retrouver en retard au pointage.

Nick Suzuki a d’abord évoqué les paroles de Staal et de Perry, le 27 mai, après la victoire dans le cinquième match. Deux jours plus tard, Perry était interrogé sur le sujet, et ajoutait que Weber avait livré un témoignage. Jesperi Kotkaniemi y a aussi fait référence et après la victoire de lundi, c’était au tour de Dominique Ducharme d’en parler.

« J’ai demandé à certains vétérans combien de fois ils ont eu l’occasion de faire quelque chose de spécial, a indiqué l’entraîneur-chef du Canadien. […] Je crois que tout le monde a réalisé que ce n’était pas facile d’être dans les séries dans la LNH. Quand on en a la chance, il faut se rendre le plus loin possible. »

La joute oratoire

On ne confondra jamais Ducharme avec Paul Maurice ou Jon Cooper. L’entraîneur-chef n’a pas l’aisance et le charisme — devant les caméras — de ses homologues de Winnipeg et de Tampa, même s’il peut être très généreux dans ses réponses. Mais ce serait une erreur que de prendre un raccourci, fait par plusieurs gens du public, et d’associer ses « performances » en entrevue et sa tenue devant un groupe de joueurs. De toute évidence, lors de cette fameuse rencontre d’il y a deux semaines, il avait trouvé les bons mots pour lancer la discussion.

Trevor Letowski a été l’assistant de Ducharme quand ce dernier était à la barre d’Équipe Canada junior au Championnat du monde de 2018. Il l’a vu aller de l’intérieur, a gagné la médaille d’or avec lui, et l’observe maintenant de l’extérieur.

« Je l’ai vu en entrevue, il va droit au but et ne permet pas d’en décoder beaucoup, soumet Letowski, aujourd’hui entraîneur-chef des Spitfires de Windsor (OHL). Mais il a une présence dans un vestiaire. Ce n’est pas du tout un criard. Mais il a une intensité dans ses messages. Ils ne sont pas longs, mais tu en ressors avec quelque chose. Et il est très confiant quand il les livre. »

Il croit en ce qu’il dit, au plus profond de lui-même, et ça se voit. C’est ça, sa présence.

Trevor Letowski, assistant de Dominique Ducharme avec Équipe Canada junior

Stefan Fournier, lui, était le capitaine des Mooseheads d’Halifax sous Ducharme, lors de la conquête de la Coupe Memorial de 2013. « Il est vraiment intelligent, il a une bonne personnalité et il est capable de parler à tout le monde. Il parle quand il veut et quand il le fait, tu l’écoutes ! », souligne l’attaquant, aujourd’hui joueur-entraîneur avec le Thunder de Wichita (ECHL).

Comme Fournier, Alexandre Grenier a disputé une seule saison avec Ducharme à Halifax, en 2011-2012. Grenier avait alors 20 ans. Ils n’ont pas gagné de championnat ensemble, mais ont réalisé l’exploit de combler un retard de 0-3 au deuxième tour des séries éliminatoires de la LHJMQ pour éliminer les Remparts de Québec.

« Quand il parle, son idée est faite et c’est clair et précis, affirme Grenier, engagé avec Langnau (Suisse) la saison prochaine. Au lieu de l’expliquer de huit façons, il a une façon de l’expliquer et c’est très clair. Ensuite, tu l’appliques comme tu veux. »

La place des vétérans

L’expérience de Grenier avec Ducharme est particulièrement pertinente. Les Mooseheads de 2012 comptaient beaucoup sur trois jeunes talents de 16 ans : Nathan MacKinnon, Jonathan Drouin et le gardien Zachary Fucale. « Amener au plus haut niveau des joueurs de 16 ans, ce n’est pas évident », se souvient-il.

À l’autre extrémité, Halifax comptait sur quelques vétérans, dont Grenier lui-même, qu’il responsabilisait. « Ça commence à l’entraînement, se souvient Grenier. Il te prenait dans un coin et disait : ‟Tu dois t’appliquer pour montrer aux jeunes comment faire les choses comme il faut. Tu ne peux pas prendre ça mollo parce qu’on joue seulement dans trois ou quatre jours. Les jeunes te regardent, ils regardent les plus vieux." »

Ses propos nous ramènent à l’importance que Ducharme a accordée à ses vétérans depuis qu’il a succédé à Claude Julien. Il a annoncé ses couleurs en laissant de côté Jake Evans, son joueur le moins expérimenté, à son premier match en février. En séries, Staal était dans la formation du premier match, malgré une fin de saison très quelconque, pendant que Kotkaniemi et Caufield attendaient leur tour. Perry n’a pas manqué un seul match sous Ducharme, même s’il n’a pas marqué à ses 20 dernières rencontres de la saison.

Letowski a surtout noté le cas de Staal, son bon ami de Thunder Bay et avec qui il a joué en Caroline.

« Quand arrivent les moments importants, il a confiance en ses joueurs. Et Eric est une très bonne personne, qui fait les bonnes choses au quotidien, à l’entraînement. Dom le sait et il lui fait confiance. »

Tu le vois dans leur langage corporel, les gars sont soudés et ils aiment jouer ensemble. Ça, ça vient de l’entraîneur.

Trevor Letowski

Entre les jeunes et les vieux, il y a aussi les joueurs au rôle plus niché. Brett Kulak a été laissé de côté pour un match, et a eu un temps de jeu limité quand il a été employé. Lundi, Ducharme lui en a donné plus et il a bien répondu. Erik Gustafsson a d’abord été employé comme spécialiste, mais a joué 13 minutes lors des deux derniers matchs.

« Dom a compris que dans une équipe, tout le monde a un rôle à jouer, et il veut que tout le monde soit heureux, estime Stefan Fournier. Il s’assurait d’identifier un rôle pour chaque joueur et il s’assurait que chaque joueur se sente important. »

Visiblement, sa recette fonctionne encore.