Le surprenant différentiel de Joel Edmundson fait-il de lui un joueur défensif exceptionnel ? Ou survole-t-il une catégorie statistique obsolète ? Discussion.

C’est le souffre-douleur des gourous des statistiques avancées. Même Brian Burke, administrateur issu de la vieille école, l’a qualifié de « horse shit » (littéralement : de la merde de cheval) il y a quelques années.

Le différentiel a déjà connu des jours meilleurs.

Les biais de cette statistique, longtemps l’une des seules références connues pour qualifier le jeu défensif d’un patineur, sont évidents : attribuer + 1 à un joueur présent sur la patinoire pour un but de son équipe ou - 1 pour un but de l’adversaire ne décrit pas l’implication du joueur en question dans le sort de sa formation. Était-il au cœur de l’action ou était-il à une enjambée du banc des joueurs ? Évolue-t-il au sein d’une équipe dominante ou en difficulté ?

Pourtant, avec les buts, les mentions d’aide, les points et les minutes de pénalité, le différentiel figure toujours dans la fiche de base d’un joueur. Celle qui apparaît en premier lieu quand on saisit son nom dans un moteur de recherche ou qui figure au dos des cartes de hockey.

Si la saison 2021 s’était conclue dimanche, c’est Joel Edmundson qui aurait terminé au premier rang pour les plus et les moins dans la LNH. En 31 rencontres, il revendique une récolte de + 24, devant Leon Draisaitl (+ 23) et Darnell Nurse (+ 21).

L’enthousiasme des partisans du Canadien est compréhensible : à quand remonte la dernière fois où un joueur de l’équipe qui n’est pas un gardien de but a dominé une catégorie statistique ? La surprise est d’autant plus grande qu’Edmundson, en cinq saisons complètes dans la LNH, avait vu sa fiche osciller de - 1 à + 11. Son explosion est donc surprenante.

Or, qu’en penser ? En l’acquérant des Hurricanes de la Caroline en retour d’un maigre choix au repêchage, le directeur général Marc Bergevin a-t-il réalisé un vol ? Ou bien les chiffres sont-ils trompeurs ?

Tentons d’y voir plus clair.

Boni Petry et + 1 gratuits

« Je crois que, comme beaucoup de statistiques, ça n’explique certainement pas tout, mais ça ne signifie pas que ça vaut rien pour autant. »

Sheldon Keefe, entraîneur des Maple Leafs de Toronto, n’est pas contre le différentiel a priori. « Mais il y a beaucoup de déchets à enlever », croit-il.

Trop sévère ? Peut-être pas. Les plus et les moins sont comptabilisés dans toutes les situations d’égalité numérique, au sens le plus large, c’est-à-dire dès que les deux équipes ont le même nombre de joueurs sur la glace, y compris le gardien.

En plus du cinq contre cinq, cela inclut donc le quatre contre quatre, le trois contre trois ainsi que le cinq contre six et le six contre cinq. Tous les buts inscrits dans un filet désert valent donc - 1 aux patineurs de l’équipe perdante. Les buts inscrits en désavantage numérique sont aussi comptabilisés.

« Ça n’a aucun sens pour moi, tranche Keefe. On doit s’en tenir au cinq contre cinq. »

Regardons donc la situation chez les défenseurs du Canadien. Lorsqu’on conserve uniquement les plus et les moins à cinq contre cinq, on constate que le différentiel d’Edmundson est amputé de 9 points.

La raison est bien simple : Edmundson a profité d’un ajout de + 4 « gratuit » parce qu’il était sur la glace alors que l’adversaire avait retiré son gardien et que le Tricolore a marqué dans un filet abandonné. Il était également présent pour quatre buts inscrits par son équipe en désavantage numérique, même s’il n’a eu d’impact sur aucun d’entre eux.

En outre, le Canadien n’a pas marqué un seul but en prolongation cette saison, mais en a encaissé cinq. Edmundson n’est pas employé en prolongation. Il n’est pas davantage mis à contribution en toute fin de match lorsque l’équipe cherche à égaler le pointage ; il n’est donc pas à risque de subir un - 1 dans un filet désert.

Une autre raison de ses succès a patiné à sa droite pendant l’essentiel de la saison. « Jeff Petry connaît une saison de rêve, alors un gars comme Edmundson en bénéficie », souligne Dany Dubé, analyste au 98,5 FM et à RDS.

Le constat est flagrant : Petry a inscrit 11 points à cinq contre cinq jusqu’ici cette saison, un rythme de croisière de 1,26 point par tranche de 60 minutes, largement supérieur à son tempo en carrière avant cette année – 0,78 point/60 min. Son pourcentage de tirs, à 9,8 %, est lui aussi bien plus élevé que par le passé – 4,3 % avant cette saison. Au-delà des points, son impact offensif est indéniable.

Edmundson, indubitablement, profite donc d’un « boni Petry ».

La qualité des joueurs affrontés est également à considérer. Nous avons compilé la fiche des 10 attaquants qu’a affrontés le plus souvent chacun des défenseurs du Canadien cette saison.

En date du 18 mars, soit avant le programme double contre les Canucks de Vancouver, les joueurs du top 10 de Shea Weber totalisaient 270 points, contre 263 points pour Ben Chiarot. Ces totaux chutaient à 241 points pour Edmundson et à 223 pour Petry. D’une manière globale, Edmundson affronte donc des attaquants moins menaçants que ne le fait Weber, son partenaire des derniers matchs.

Ce qui n’empêche pas qu’il connaisse, défensivement, la saison de sa carrière.

Parmi les meilleurs

Comme l’a souligné Sheldon Keefe, les statistiques n’expliquent pas tout.

Il n’empêche que les chiffres font drôlement bien paraître Edmundson cette saison. À cinq contre cinq, il n’a été présent sur la glace que pour 13 buts de l’adversaire en 31 matchs.

C’est surtout sa progression générale et sa place parmi les meilleurs de la LNH qui attirent l’attention.

En comptant la saison en cours, Edmundson a joué pour trois équipes différentes en trois ans. Plusieurs de ses statistiques sont donc sujettes à être influencées par le système de jeu autour de lui.

Son amélioration est tout de même frappante. Lorsqu’il est sur la glace, son équipe marque plus de buts et en accorde moins, en plus d’obtenir beaucoup plus de chances de marquer qu’elle n’en accorde.

Edmundson se retrouve surtout parmi les meilleurs défenseurs du circuit en ce qui a trait au pourcentage d’arrêts de son équipe lorsqu’il est sur la glace. À ce compte, il surpasse de plus d’un point et demi la performance générale de son équipe (94,61 % contre 93,03 %).

Tendance

De retour à la question de base : peut-on se fier au différentiel pour conclure qu’Edmundson est un défenseur dominant défensivement ?

Les nuances sont de mise, concluent les personnes que nous avons interrogées à propos de cette catégorie statistique.

« Ça indique une tendance, souligne Dany Dubé. Oui, ça peut être représentatif. Mais il faut combiner [le différentiel] avec d’autres éléments, sinon, on est un peu hypnotisés. »

Pour avoir un portrait plus clair, selon lui, mieux vaut analyser les séquences de jeu à la pièce.

Quel rôle le joueur a-t-il joué dans cette situation ? Il faut regarder plus loin, car la statistique seule ne me dit pas si c’est un bon joueur défensif ou pas.

Sheldon Keefe, entraîneur-chef des Maple Leafs de Toronto

Exemple probant : sur le premier filet des Canucks, samedi soir, c’est le cafouillage de Nick Suzuki avec la rondelle qui a coûté à Edmundson un - 1.

> Regardez la séquence

L’entraîneur-chef du Canadien, Dominique Ducharme, a lui aussi rappelé que « ce n’est pas un indicateur parfait ». Par contre, à propos d’Edmundson spécifiquement, il a ajouté que « quand c’est aussi aussi haut, il y a une raison ».

« Ça montre à quel point [Edmundson] est constant dans son jeu, comment il est capable de bien défendre, mais aussi de faire de bonnes transitions avec la rondelle. »

Et d’ajouter : « C’est un stabilisateur pour notre défense. »

C’est aussi la conclusion vers laquelle les chiffres pointaient. Ils ne disent peut-être pas tout, mais sur ce coup, ils n’avaient pas tort.