En 2002, Eric Hinske a été nommé recrue de l’année dans la Ligue américaine de baseball. Un grand honneur. Le joueur des Blue Jays de Toronto était heureux, mais préoccupé. « Avec un peu de chance, confiait-il, j’espère éviter la guigne de la deuxième année. »

Ses craintes étaient justifiées.

La guigne l’a happé.

Hinske n’a plus jamais retrouvé le niveau d’excellence de ses débuts.

Non, le syndrome de la deuxième année n’est pas une lubie des athlètes. Ni une vue de l’esprit. C’est un phénomène réel, documenté, qui touche autant les sportifs que les étudiants ou les artistes.

Plusieurs recherches prouvent qu’un grand nombre d’étudiants de deuxième année, à l’université, traversent une léthargie. En musique, le deuxième album d’un artiste est généralement moins apprécié que le premier.

Pour le démontrer, des chercheurs ont compilé les notes des critiques pour les 100 meilleurs premiers albums de l’histoire, sélectionnés par le magazine Rolling Stone. Puis ils ont comparé ces notes à celles du deuxième album du même artiste. Résultat : les deux tiers subissaient une décote. Dans certains cas, comme Guns N’ Roses et The Police, de plus de 25 %.

Comment expliquer ce phénomène ?

C’est nébuleux. Mais on sait que les attentes sont plus élevées. La pression et les responsabilités aussi. Et dans le sport, après un an, vos adversaires reconnaissent vos feintes. Vos tics. Vos préférences. Ils s’adaptent, et peuvent vous forcer à modifier votre style de jeu.

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L’attaquant du Canadien Nick Suzuki dispute justement sa deuxième saison dans la LNH. Par moments, c’est difficile, a reconnu mardi le directeur général Marc Bergevin. « [Nos jeunes centres] ont connu un bon début, puis ils ont vécu une période creuse, comme le reste de l’équipe. »

Combien creuse ?

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Nick Suzuki, du Canadien de Montréal

Lundi, Suzuki a récolté une mention d’aide en supériorité numérique. C’était son premier point en surnombre depuis 57 minutes. La pire séquence de la LNH, après celle d’Evgeni Dadonov, des Sénateurs d’Ottawa. Suzuki en arrache aussi au cercle des mises en jeu.

La guigne est-elle en train de s’abattre sur lui ?

D’abord, il faut établir si le syndrome existe au hockey. Ou pas. Vérifions cela ensemble.

J’ai compilé la liste de toutes les recrues de la LNH depuis le lock-out de 2005. Puis j’ai isolé celles qui ont obtenu au moins un demi-point par match lors de leur première saison (minimum de 25 parties). Pourquoi ? Pour tenir compte uniquement des joueurs établis. Après tout, comparer Nick Suzuki à Jakub Jerabek ne nous mènera pas à grand-chose. Ça nous donne un échantillon de 146 joueurs.*

Ensuite, ça nous prend une mesure étalon. Les buts ? Les points ? Les minutes jouées ? Je suggère les points par match (PPM). Ça enlève les distorsions statistiques attribuables aux blessures ou aux rappels de mi-saison.

Maintenant, mettons tout ça dans le mélangeur. En mode turbo, pendant une minute. Brrrrrrrrrrrrrrrrr. Voilà. Ça donne quoi ?

De la première à la deuxième saison :

– 33 % des joueurs se sont améliorés ;

– 5 % se sont maintenus ;

– 62 % ont régressé.

C’est significatif. Assez pour conclure que la guigne de la deuxième année existe bel et bien au hockey. Alors, frappe-t-elle autant Suzuki que les autres ?

Étonnamment, non. Le centre du Canadien s’en tire même plutôt bien. Mine de rien, il produit davantage cet hiver (0,64 PPM) que lors de sa première saison (0,58). Ce que seulement le tiers des hockeyeurs de notre échantillon est parvenu à faire.

Quels sont les joueurs avec un début de carrière comparable au sien ? J’ai sorti le gros objectif. Et zoomé. J’en ai trouvé cinq.

Comparatifs pour Nick Suzuki :
Kyle Okposo (0,60/0,65)
Derek Stepan (0,55/0,62)
Brandon Saad (0,59/0,60)
Anthony Mantha (0,60/0,60)
Dustin Penner (0,55/0,57)

De la belle compagnie. Mais peut-être pas les noms que vous auriez souhaité lire. J’en connais qui préféreraient voir Suzuki dans le peloton de tête, plutôt que dans la poursuite. Aux côtés de Brayden Point et de Sebastian Aho, plutôt que de Kyle Okposo.

Pour cela, il faudrait que Suzuki explose dès cette année. Ce qui est rarissime pour des joueurs ayant connu une première saison semblable à la sienne. En 15 ans, seulement une dizaine d’attaquants y sont parvenus.

La norme, c’est plutôt une régression. Alors le simple fait que Suzuki produise aujourd’hui à un rythme supérieur à celui de sa première saison est encourageant pour la suite.

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Au fil des ans, la guigne s’est acharnée sur les espoirs du Tricolore. Plusieurs jeunes formés au club en ont souffert. Notamment Max Pacioretty. Alex Galchenyuk. Brendan Gallagher. Artturi Lehkonen. Et plus récemment, Jesperi Kotkaniemi.

Est-il possible de s’en remettre ?

La réponse courte : oui.

La réponse longue : oui, mais pas toujours. Pour environ 45 % des joueurs qui ont régressé après leur première saison, le déclin se poursuit. Jusqu’à ce qu’ils quittent prématurément la LNH. Des exemples : Andrew Ebbett, Nic Bergfors, Rob Schremp, Cory Conacher, Petr Prucha.

La clé, c’est vraiment d’éviter deux années consécutives de décroissance en début de carrière. Une chute qui pardonne très, très, très rarement.

Heureusement pour le Canadien, le joyau de l’organisation, Kotkaniemi, est en train de sortir du trou dans lequel il était engouffré. Sa progression (0,43/0,22/0,54) est fascinante. Tellement que je n’ai trouvé aucun comparable parmi les joueurs ayant connu une première saison semblable à la sienne.

Dans le palier supérieur, j’ai repéré cinq attaquants avec des courbes en V aussi prononcées : Jordan Staal, Jonathan Huberdeau, Jake Guentzel, Craig Smith et R.J. Umberger.

Encore là, peut-être pas les noms que vous auriez souhaité voir. D’autant que ces joueurs étaient plus productifs que Kotkaniemi à chacune de leurs trois premières saisons.

Sauf que ces attaquants sont tous devenus des joueurs établis. Huberdeau et Guentzel ont même participé au match des Étoiles. Aussi, Kotkaniemi a amorcé sa carrière à 18 ans. Guentzel, Smith et Umberger, à 22 ou 23 ans. Sa marge de progression est donc plus grande.

Il reste qu’aligner deux jeunes centres sur les deux premiers trios, ça fait grisonner les tempes. C’est stressant. Vertigineux. Les périodes d’instabilité sont inévitables. On le constate d’ailleurs match après match cet hiver. Mais c’est un passage obligé vers les jours meilleurs, a expliqué Marc Bergevin, mardi, lorsqu’on lui a demandé s’il cherchait du renfort au centre.

« La position de centre est très difficile à combler. On a des bons jeunes. On va vivre avec les périodes les plus difficiles. Parce qu’on croit qu’à long terme, ce seront de très bons joueurs de hockey. »

* 147, en fait. Mais j’ai enlevé Pavel Vorobiev, retourné en Russie après sa première saison.