Qui ont été les athlètes québécois les plus influents des 40 dernières années ? L’équipe des sports de La Presse en a identifié huit, de tous les horizons, et vous présentera des portraits toute la semaine. Aujourd’hui : Patrick Roy.

Quand on lui parle de Patrick Roy, Jean-Sébastien Giguère se souvient de bien des choses, mais en haut de la liste, tout en haut, il y a ce vieux classique : le clin d’œil.

« Avant Patrick, il n’y a aucun gardien qui aurait osé faire ça ! », lance Giguère en riant au bout du fil.

La liste de ce que Patrick Roy a légué aux générations futures est longue, mais aux yeux de Giguère, lui-même gardien le temps de 16 saisons dans la Ligue nationale, l’essence même de Roy se retrouve dans ce clin d’œil. Dans ce geste pourtant banal, immédiat, qui a eu un impact sur lui et sur bien d’autres jeunes qui portaient les jambières au début des années 1990.

« Il faut se souvenir un peu des gardiens avant Patrick, comment ils étaient, explique Giguère. Avant Patrick, le gardien de but, c’était le bouffon du groupe. C’était le gars pas trop athlétique, pas trop en forme, qui avait de la misère à patiner. Mais Patrick a brisé cette image-là. Quand il a fait son clin d’œil à [Tomas] Sandstrom des Kings, ça a marqué pas mal de monde… »

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La scène en question, survenue en plein match numéro quatre de la grande finale de 1993, a fait le tour de la planète hockey. Giguère n’a pas été le seul qui en a été marqué.

Parce qu’on ne voyait jamais un gardien de but faire quelque chose comme ça… Qu’un gardien étale cette confiance-là, cette arrogance, c’était du jamais vu. Patrick, il était super confiant, il se plaçait lui-même sur la sellette et il devenait encore plus fort par la suite. C’est comme s’il avait permis aux gardiens de devenir arrogants !

Jean-Sébastien Giguère, au sujet de Patrick Roy

Au-delà des chiffres, au-delà des quatre bagues de la Coupe Stanley et des trois trophées Vézina, les fils spirituels de Patrick Roy ont tous retenu cet aspect de son jeu, indissociable du personnage : la force psychologique. Combinée aux résultats souvent spectaculaires sur la glace, cette force de caractère a permis à Roy de devenir plus grand que nature.

« Patrick Roy, à son apogée, il était aussi gros que Guy Lafleur dans les années 1970, estime Frantz Jean, entraîneur des gardiens chez le Lightning de Tampa Bay. J’étais ado quand il a gagné sa première Coupe Stanley en 1986, et je me souviens qu’ensuite, dans les camps d’entraînement au hockey mineur, il y avait un paquet de petits gardiens qui se présentaient sur la glace, souvent avec le même équipement : les jambières Lefebvre, le bloqueur Ferland, la mitaine Brian’s… parce que c’est ça que Patrick portait. Ensuite, quand il s’est mis à porter du Koho, tout le monde a fait pareil ! »

Frantz Jean, lui-même gardien dans son jeune temps, a aussi remarqué l’évolution de Patrick Roy au fil du temps, en compagnie de son entraîneur et mentor François Allaire. Ensemble, les deux hommes ont peu à peu entrepris de repenser la position.

« Si tu regardes le Patrick de 1986 et celui de 1993, c’est deux gardiens complètement différents, ajoute-t-il. Il a développé un style, qui a ensuite été enseigné aux jeunes à l’école de François et de son frère Benoit Allaire. Les choses qu’on apprenait là, les techniques de jeu, le positionnement, je dirais que le reste du monde a mis 15 ans avant de pouvoir nous rattraper là-dessus. »

Fan des Nordiques, le jeune Martin Biron avait l’habitude de maudire Patrick Roy devant son téléviseur, mais entre deux ou trois mauvais mots, il avait aussi l’habitude de prendre des notes.

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Joe Sakic, des Nordiques, tente de déjouer Patrick Roy. Nous sommes le 28 avril 1993, au Forum de Montréal. Le Canadien élimine ce soir-là son grand rival de Québec, par la marque de 6-2.

« Je me souviens surtout d’un entracte à la télé entre deux périodes, raconte-t-il. Patrick avait montré à Manon Rhéaume sa technique de recouvrement de rondelle sur un rebond, de gauche à droite, et sa façon de se déplacer en poussant de la jambe, sans perdre du temps à se relever au complet. C’était comme une petite révolution. »

Une petite révolution qui a ensuite mené à un débarquement massif de gardiens québécois devant les filets de la Ligue nationale. Par exemple, lors de la saison 2001-2002, 23 gardiens québécois ont pris part à au moins un match… y compris Roy lui-même.

« Après lui, tu as vu des gars comme Patrick Lalime, José Théodore, Martin Biron ou moi-même arriver chez les pros, ajoute Jean-Sébastien Giguère. Avec la Coupe Stanley de 1993, son style papillon est devenu super populaire chez les gardiens de ma génération. Tout le monde s’est mis à essayer de jouer comme lui : les déplacements, l’art de se placer devant la rondelle pour qu’elle nous frappe, les façons d’améliorer ses chances de faire l’arrêt. Ça a fait époque. »

À ce jour, Patrick Roy n’est peut-être pas pleinement conscient de cet héritage — il a d’ailleurs préféré ne pas participer à ce dossier —, mais il s’agit d’un legs qui ne saurait être remis en doute, même pas après toutes ces années.

« Son influence a été telle que je ne sais pas si on va pouvoir revoir ça un jour, conclut Frantz Jean. En fait, je suis pas mal certain qu’on ne reverra plus jamais ça ! »