Dominique Ducharme n’est pas du type émotif, du moins pas devant les caméras. Il dégage une image très froide, celle d’un homme plutôt analytique.

Le nouvel entraîneur-chef par intérim du Canadien est resté fidèle à son image au cours de sa première conférence de presse, un exercice de 35 minutes auquel il s’est prêté mercredi, à l’arrivée de l’équipe à Winnipeg.

Il y est resté fidèle, sauf lorsqu’il a été question de ce que représentait cette nomination pour un homme qui a gravi un à un les échelons du hockey, de l’Action de Joliette jusqu’au poste le plus convoité qui soit pour un coach du Québec.

Ducharme a parlé de son père, qui est mort subitement pendant le Championnat du monde junior de 2016.

« J’aimerais ça qu’il soit là aujourd’hui. Je ne sais pas ce qui se passe en haut, après, mais il y en a un qui doit avoir un gros sourire », a dit Ducharme.

En réponse à une autre question, il s’est exprimé ainsi : « Si tu m’avais dit d’écrire un scénario de film où je finis entraîneur-chef du Canadien, je n’aurais peut-être pas choisi ce scénario-là. Aujourd’hui, j’ai des sentiments partagés. Je perds deux collègues que j’appréciais beaucoup. Claude, une personne extraordinaire qui m’a ouvert la porte. Kirk, que j’ai appris à connaître. Mais je suis enthousiaste pour le défi. »

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S’il y en a un dans le monde du hockey qui a le sens de la formule, c’est bien Brian Burke. À l’époque où il était directeur général des Maple Leafs de Toronto, il avait congédié son entraîneur Ron Wilson.

« On aurait dit que l’équipe ne portait plus attention au banc, avait-il alors expliqué. Les entraîneurs ont une durée de vie. C’est comme si tu allais chez quelqu’un qui habite près de l’aéroport. Tu lui demandes comment il vit avec le bruit. Il te répond : “Quel bruit ?” »

C’est cette idée qui a visiblement mené Marc Bergevin à congédier Claude Julien et son entraîneur associé, Kirk Muller. Décision qu’il dit avoir prise dans la nuit de mardi à mercredi, dans les heures qui ont suivi la défaite de 5-4 en tirs de barrage du Tricolore à Ottawa.

« J’ai parlé à Claude dernièrement. Ce qu’il disait aux joueurs et ce qui se passait, ce n’était pas la même chose. Parfois, les joueurs ont besoin d’une nouvelle voix », a-t-il expliqué.

À vue de nez, le moment choisi était pour le moins particulier, car le Canadien aurait très bien pu quitter Ottawa avec les deux points, n’eût été une décision des officiels à Toronto en fin de match que le Tricolore a jugée discutable.

Mais cette défaite était aussi la sixième en huit matchs. Trois de ces défaites ont été subies contre les Sénateurs d’Ottawa, une équipe qui présente une fiche de 3-13-1 contre ses adversaires autres que Montréal. Marc Bergevin a beau avoir minimisé ce fait – il devait faire attention de ne pas manquer de respect aux Sénateurs –, il y avait là un indice d’une équipe qui dérape, comme celle de l’an passé qui a été battue quatre fois par les très mauvais Red Wings de Detroit.

Le match de mardi a-t-il été la goutte de trop ?

« L’effort a toujours été là. Ça prouve que Claude n’avait pas perdu son vestiaire, a rappelé Bergevin. Mais moi, j’ai vu une équipe perdue, qui manquait de sens de direction. »

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Les joueurs avaient congé des médias mercredi. Mais ces derniers jours, leur inconfort était palpable.

Nick Suzuki, par exemple, nous avait donné le pouls du vestiaire après la défaite de dimanche à Ottawa. « On est vraiment trop dans notre tête, on pense trop, on joue pour ne pas perdre et il ne faut jamais faire ça », avait décrit le jeune centre.

Le lendemain, c’était au tour de Shea Weber d’être interrogé sur l’état d’esprit des joueurs. « On sent beaucoup d’énergie négative en ce moment, que ce soit pendant les matchs ou à d’autres moments », avait-il dit. Relancé sur l’énergie négative, le capitaine du Tricolore avait nuancé ses propos.

Ce n’est pas tant de l’énergie négative qu’une lourdeur, une pression que l’on s’impose.

Shea Weber

Il était prévisible que les séquences de défaites engendrent une telle pression. Bergevin lui-même a préparé le terrain à l’ouverture du camp d’entraînement avec son fameux « we mean business » (« nous sommes sérieux »), message qu’il lançait à son vestiaire comme au reste de la LNH. Au moment où plusieurs équipes ont réduit leurs dépenses, Bergevin a eu le feu vert du patron pour dépenser les 81,5 millions de dollars disponibles sous le plafond salarial.

À son point de presse de mercredi, c’est d’ailleurs quand il a parlé des attentes, du message à son groupe, que Bergevin s’est le plus emporté.

« Je ne veux pas avoir l’air d’un gars enragé, mais je “mean business”. Les attentes sont élevées, mais je m’attends à ce qu’on vire le bateau de bord », a-t-il lancé.

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Les joueurs du Canadien n’avaient pas seulement congé des médias mercredi ; ils avaient aussi congé d’entraînement. Même qu’au moment de son point de presse, Dominique Ducharme n’avait pas encore rencontré les joueurs. Il prévoyait le faire en soirée.

Les matchs vont arriver vite. D’ici la fin du calendrier, le Canadien jouera continuellement des matchs une journée sur deux, quand ce ne sera pas deux soirs de suite. Seulement trois fois, l’équipe aura plus d’une journée entre deux matchs, mais les voyages « d’un Atlantique à l’autre », dixit Claude Ruel, grugeront en partie ces congés. « Le calendrier sera un défi pour Dominique », a convenu Bergevin.

Ils sont donc là, les défis du nouvel entraîneur-chef. Composer avec un calendrier écourté. Ranimer une équipe qui doit faire preuve de discipline, qui doit moins réfléchir. Assainir l’atmosphère. Trouver des solutions pour un gardien vedette qui cherche ses repères. Relancer des joueurs en fin de contrat qui n’offrent pas le rendement attendu.

Pour y arriver, Bergevin va à l’encontre de ce que le Canadien a fait ces dernières années. Les trois derniers entraîneurs du CH en étaient tous à un troisième ou quatrième mandat d’entraîneur-chef dans la LNH : Claude Julien, Michel Therrien, Jacques Martin.

L’adjoint le plus expérimenté, Kirk Muller, a lui aussi été remercié. On greffe au groupe d’entraîneurs Alex Burrows, un adjoint grandement respecté de tous, mais qui en sera à son premier emploi derrière le banc dans la LNH. Luke Richardson devient donc le doyen du groupe.

L’ampleur de la tâche ne semble toutefois pas embêter Ducharme.

Je me sens préparé. Quand tu es préparé pour ton examen à l’école, tu te fous des questions, tu es prêt à répondre. Tu es nerveux si tu n’as pas étudié. J’ai confiance en notre groupe, dans les gars avec qui je travaille.

Dominique Ducharme

Marc Bergevin croit que ce sont les nouvelles voix dont ses joueurs ont besoin. « Dominique est aussi un bon communicateur. Selon ce que j’ai vu, c’est ce dont les joueurs ont besoin », a dit Bergevin.

« Pas que Claude ne l’était pas [bon communicateur]. Ce sont des genres différents. Communiquer de façon différente. Souvent, c’est le même message, d’une autre façon, un petit tweak ici et là qui fera la différence. Je ne veux pas que ça sorte que Claude était un mauvais communicateur. En français, en anglais, en tchèque, en russe, écrivez-le comme vous voulez ! »

C’est donc un pari que fait Bergevin, pour ce qui est sa troisième embauche pour le poste d’entraîneur-chef. On peut se demander si Geoff Molson le laissera en embaucher un quatrième, si l’intérim de Ducharme ne se passe pas comme prévu. Là-dessus, Bergevin est resté impassible.

« Moi, comme DG, je prends des décisions et je vis avec les conséquences. Je n’ai aucun problème à mettre ma tête sur la bûche. J’ai confiance en Dominique. Je n’ai jamais eu peur de faire des échanges. Je suis un grand garçon et j’assume à 100 % mes décisions. »