Même à la toute fin, lorsqu’il lui restait seulement un filet de voix et qu’il pouvait à peine remuer les lèvres, Derek Aucoin voulait s’assurer du bien-être de ses proches venus le visiter à l’hôpital.

« Je vais toujours me rappeler la dernière fois où j’ai eu un contact avec lui, les derniers jours, raconte avec émotion Joël Bouchard, présent aux côtés de son grand ami jusqu’au dernier instant. Je me suis mis dans son champ de vision, il a souri.

« Et juste pour expliquer quel genre d’homme il était, il m’a demandé si j’étais correct. Je lui ai répondu de ne pas s’inquiéter pour moi. Je me suis tourné vers Isabelle [la femme de Derek] et je lui ai dit : ‟Il me demande si je suis correct…” »

Bouchard a hésité avant d’accorder cette entrevue. D’abord parce qu’il ne voulait pas se mettre de l’avant dans cette histoire aussi poignante.

Sauf que Joël et Derek étaient indissociables depuis une quinzaine d’années. Aussi proches que des frères soudés pourraient l’être. « Je le fais d’abord pour Dawson, son garçon », dit l’entraîneur-chef du Rocket de Laval, club-école du Canadien.

Derek a eu beaucoup d’hommages, mais les paroles s’envolent et les écrits restent. Je veux que Dawson puisse se rappeler quel type d’homme était son père.

Joël Bouchard

L’ancien lanceur des Expos devenu animateur d’une tribune sportive sur les ondes du 98,5 FM est mort d’un cancer du cerveau à seulement 50 ans, le 26 décembre.

Il a croisé Joël pour la première fois à New York, en 2002. Bouchard jouait pour les Rangers, Aucoin avait son académie de baseball à New York.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Derek Aucoin à l’antenne du 98,5 FM, en septembre 2017

« Il venait souvent aux matchs des Rangers, relate Bouchard. [Mon coéquipier] Sylvain Lefebvre nous a présentés. On est devenus des chums instantanément. Comme un coup de foudre d’amitié. On se voyait souvent, les deux Québécois à New York.

« J’ai joué deux ans pour les Rangers, puis deux autres saisons avec les Islanders, donc quatre ans à New York. Quand je suis rentré au Québec, il a commencé à venir à Montréal plus souvent. Big Guy [Derek Aucoin mesurait 6 pi 7 po] est rentré vite dans notre gang de chums. »

Aucoin était non seulement son grand ami, mais aussi un allié et un confident.

« Il m’a toujours soutenu dans tout ce que j’ai fait, l’Académie [Joël Bouchard], le show de télévision, le Centre d’excellence. Il était là pour moi quand je me suis cassé l’omoplate, quand j’ai coaché mon premier match de l’Armada. Quand j’ai lancé l’Académie, il a sauté dans l’avion sans me le dire pour me faire une surprise. Il avait la clé de la maison. Il m’a appelé de l’aéroport pour me dire qu’il ne me laisserait pas faire ça tout seul… »

Ils ont beaucoup voyagé ensemble : Sainte-Lucie, Miami, Los Angeles, Las Vegas.

C’était tout le temps le fun avec Derek. On ne s’est jamais chicanés. Il n’y a jamais même eu de mésentente. Je l’aimais parce que c’était quelqu’un de sain qui voulait le bien de tout le monde. Même quand ça marchait moins bien, il était toujours là. C’était quelqu’un de très, très, très loyal envers ses amis, sa famille.

Joël Bouchard

Bouchard a appris le soir même la nouvelle du cancer de son grand ami, en juillet 2019. Dix minutes plus tard, il était chez Derek, Isabelle et leur fils Dawson. « Les épaules me sont tombées sur le coup, mais je me suis vite mis en mode positif. Au départ, ça n’était peut-être pas censé être aussi agressif. »

Aucoin a su un mois plus tard qu’il n’allait pas en guérir. « Il m’a déjà dit : ‟Joël, j’essaie de faire de mon mieux, mais il n’y a pas de cours pour savoir comment gérer le cancer. J’y vais avec tout ce que je peux.” Je lui ai dit : ‟Buddy, tu fais tellement une bonne job, non seulement pour gérer la maladie, mais pour le monde qui est autour de toi…” »

« Des moments magiques »

Malgré la tragédie, ils ont vécu une relation privilégiée dans les derniers mois.

« J’ai dû passer 30, 40 jours à dormir avec lui à l’hôpital – on se relayait avec Isabelle et ses proches –, ç’a été des moments magiques. C’est drôle, j’étais bien, je n’aurais pas voulu être nulle part ailleurs. J’étais installé sur une chaise, on appelait ça le bobsleigh, ça se dépliait. On trouvait le moyen d’avoir du fun. On avait des fous rires. Il était extrêmement drôle et vif d’esprit. Ça n’est jamais devenu sombre malgré le caractère dramatique de tout ça. Il était tellement fort moralement. »

Bouchard le dit avec émotion, Aucoin a aimé et a été aimé jusqu’à la fin. « Isabelle a été extraordinaire là-dedans, avec les deux grands-mamans. C’était fait dans l’amour. Le plus plate, c’est la COVID-19, qui, comme pour beaucoup de gens, nous a empêchés de faire toutes les choses qu’on aurait voulu faire. »

Aucoin a reçu de nombreux hommages à sa mort. Bouchard a retenu celui de Ron Fournier, entre autres.

« Ron a souligné que Derek avait joué pour les Expos, que c’était remarquable, mais que le baseball avait été uniquement un prétexte pour apprendre à le connaître. Il touchait le monde, c’était un gars de terrain. Quand c’est arrivé, même mes chums qui l’avaient croisé seulement une fois me textaient pour me parler du Big Guy. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Derek Aucoin au Stade olympique, le 1er avril 2017

Bouchard songe souvent à Dawson, le fils de 8 ans de Derek.

« Il fallait voir son regard à l’endroit de Dawson. Quand ils venaient me voir à l’Armada, ils prenaient des bâtons et ils pouvaient jouer ensemble pendant une heure sur la petite glace synthétique. Ils étaient proches, c’était des buddies

« Il a toujours été super impliqué. Il était le premier dans la cour d’école et il connaissait les noms de tous les petits jeunes, il leur donnait des surnoms. C’est cruel de perdre une belle relation comme ça. Il s’est investi dans son fils aussi loin que ses capacités lui ont permis [l’automne dernier]. »

L’été dernier, Dawson Aucoin a disputé un match de baseball sur le terrain nommé en l’honneur de son père, à Boisbriand. Bouchard y était. « Dawson Aucoin a joué un match sur le terrain de balle de son père, et le petit maudit, il a frappé un circuit ! »

Le garçon a frappé la balle par-dessus la clôture, à l’endroit où son père avait frappé son premier circuit, en 1977.

Un scénario digne d’un film. Un beau film, sur un homme bon et digne.