« On sent que c’est différent d’un camp normal. C’est étrange. »

Tomas Tatar aurait difficilement pu trouver des mots plus justes. Ça prend une année bien étrange pour que Corey Perry passe à deux victoires de remporter la Coupe Stanley, en septembre, puis soit soumis au ballottage en janvier.

Ou pour que son nouvel entraîneur, Claude Julien, « croise les doigts » pour ne pas perdre un joueur qu’il n’a pas retenu dans sa formation de départ en vue du match inaugural de mercredi soir.

La fin des camps d’entraînement a entraîné d’impressionnants mouvements de personnel aux quatre coins de la ligue. Ce n’est pas tant le nombre de joueurs soumis au ballottage qui détonne que les noms sur la liste. Les équipes sont prises à la gorge financièrement ; il n’y a presque plus d’amitié qui tienne.

Michael Frolik, vétéran de 13 saisons et 850 matchs. Mathieu Perreault, 11 saisons et 627 matchs. Tyler Johnson, qui soulevait la Coupe Stanley il y a trois mois à peine. Derek Ryan, Luke Schenn, Jacob De La Rose, Luca Sbisa…

Pas forcément des vedettes, mais des joueurs qui ne devaient pas manquer de boulot et qui se dirigent pourtant vers la très peu attrayante escouade d’urgence de leur équipe respective. Là où l’on s’entraînera pour demeurer en « condition de match », pour citer Julien, sans pour autant avoir de certitude qu’on disputera une rencontre bientôt.

Prévisible

Le fait que le Tricolore a placé Perry et Frolik au ballottage n’a strictement rien de surprenant. Ils avaient été avertis de la situation dès le départ, a confirmé Julien.

En acceptant des contrats au bas prix (750 000 $ chacun) à quelques jours du début du camp, ils se savaient destinés à l’escouade d’urgence. Malgré leur longue expérience, c’est le plus près d’un poste régulier dans la LNH qu’ils pouvaient trouver cette année. Et le ballottage n’est qu’un passage obligé, administratif, entre le Canadien et l’équipe de réserve – les règles encadrant les allées et venues entre les deux instances sont les mêmes qu’entre la LNH et la Ligue américaine.

Cela n’empêche pas que de voir des noms aussi connus se résigner à ce sort marque l’imaginaire. Et présentera ses enjeux de gestion pour les entraîneurs du circuit.

Julien a lui-même avoué qu’il s’aventurait en territoire inconnu. « On va gérer au fur et à mesure qu’on avance », a-t-il résumé.

Il a surtout mis l’accent sur l’importance de la préparation physique. Mais le défi ne s’arrêtera pas là.

Prenez Jordan Weal, par exemple. Tel un supplice, chaque jour de la saison morte semblait l’éloigner d’un poste dans l’équipe principale. La marge de manœuvre du club s’est amincie rapidement avec les acquisitions successives de Jake Allen, Joel Edmundson, Josh Anderson et Tyler Toffoli. Et à 1,4 million, le salaire de Weal devenait un handicap pour un joueur de soutien comme lui.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Jordan Weal

Dès le premier jour du camp d’entraînement, on l’a assigné au groupe B. Celui dont tous les membres, sans exception, ont été retranchés. Il y a un an, son poste n’était pas en jeu, et il obtenait même son tour en avantage numérique – au grand désarroi des partisans, il est vrai. On se doute donc qu’il n’est pas emballé par son sort aujourd’hui.

« Marc [Bergevin] et moi, on a eu une bonne discussion avec lui, a indiqué Julien. Je ne pense pas que ce soit un gars qu’on ait effacé. Par contre, son salaire est assez élevé par rapport à l’espace qu’on a sous le plafond salarial. Mais il est encore avec nous. Si on a besoin de ses services, il peut intégrer l’équipe. On pourrait le revoir. »

Pas de malaise

S’il se joint bel et bien comme prévu à l’escouade d’urgence, Weal passera donc ses grandes journées avec ses coéquipiers du « vrai » club, tout comme Perry et Frolik, d’ailleurs. Et Xavier Ouellet, dont on se doute aussi que le plan de carrière ne prévoyait pas de parcourir les arénas de la LNH pour assister à des matchs depuis les gradins.

On suppose que les relations de travail pourraient être teintées d’un certain malaise. Tomas Tatar a toutefois assuré qu’on n’en est pas là du tout.

« Il y aura beaucoup de mouvement, cette saison, a-t-il prévenu. On est contents d’avoir Corey, Michael et Jordan autour de nous. On aura besoin de leur expérience. »

Perry est probablement celui qu’on risque de voir apparaître le plus rapidement dans l’uniforme tricolore. Il n’a plus les jambes ni la touche offensive de ses 20 ans, mais il a fait une forte impression auprès de ses nouveaux coéquipiers. « Il a une grosse présence, il est bon avec la rondelle », a soutenu Jeff Petry, reprenant en substance ce que ses coéquipiers ont dit au sujet du nouveau numéro 94 au cours des derniers jours.

Julien a abondé. Au camp, « il a été un joueur d’impact », a-t-il dit. « Il apporte des éléments qu’on peut utiliser dans notre équipe. On croise les doigts pour qu’il ne soit pas réclamé au ballottage. »

Vu les circonstances qui ont amené Perry à Montréal, il serait surprenant que les autres équipes acquièrent une passion soudaine pour l’ancien des Ducks d’Anaheim et des Stars de Dallas.

Ce serait même plutôt étrange, pour reprendre un thème à la mode, mais néanmoins cohérent avec cette saison qui s’annonce hors du commun.

On saura ce mardi midi si la logique a été respectée.