Peut-être inspiré par l’absence inédite de huées à son endroit, Gary Bettman a trouvé des mots d’une grande justesse pour résumer l’effort et le dévouement qui ont été nécessaires pour remporter la Coupe Stanley cette année.

Le seul achèvement de cette finale, « à cet endroit, en ce moment et dans ces circonstances », a été à ses yeux « remarquable ». L’histoire, croit-il, s’en souviendra comme l’un des championnats « les plus difficiles à gagner de tous les temps ».

Force est d’admettre que le commissaire mal-aimé a bien raison. Après presque 9 semaines passées isolés de leurs proches, et au terme d’un tournoi ayant mis aux prises 24 équipes reposées et affamées, le Lightning de Tampa Bay a été sacré champion, presque un an après le début de cette étrange saison 2019-2020.

Les hommes de Jon Cooper ont pris l’avance tôt dans ce sixième duel de la finale et l’ont jalousement protégée grâce à une exécution soignée et hermétique, en route vers une victoire de 2-0 contre des Stars de Dallas qui n’avaient franchement plus grand-chose à offrir.

Une conclusion parfaite, en somme, pour une équipe qui est probablement ce qui se rapproche le plus de la perfection dans son essence.

Un gardien d’exception. Une défense équilibrée, polyvalente, menée par Victor Hedman, lauréat méritant du trophée Conn-Smythe, et au sein de laquelle tout le monde peut contribuer. Le flanc droit manque un peu de profondeur ? Bof.

Et que dire de l’attaque, dont chaque poste semble occupé par un spécialiste ? Ce groupe, rappelons-le, a su faire oublier l’absence sur la glace de Steven Stamkos, probable futur membre du Temple de la renommée.

Le capitaine du Lightning s’est tout de même révélé une inspiration pour ses coéquipiers. Son retour au jeu de moins de trois minutes a été un catalyseur dans le troisième match de la finale, et même s’il n’a plus joué par la suite, c’est lui qui a « rallié les troupes » après la douloureuse défaite en deuxième période de prolongation dans le cinquième match, a raconté son ami de longue date Victor Hedman.

Le duo de Nikita Kucherov et Brayden Point, avec 67 points combinés, vient d’égaler la récolte la plus fructueuse d’un duo en séries depuis un quart de siècle. Anthony Cirelli, à 23 ans seulement, apparaît comme un futur abonné au trophée Selke. Yanni Gourde est sans doute payé bien trop cher pour un joueur de troisième trio, mais qui aurait levé le nez sur sa fougue et son réveil offensif ?

Patrick Maroon est devenu le premier joueur depuis Cory Stillman en 2004 et 2006 (les séries de 2005 ont été annulées)1 à remporter la Coupe Stanley deux fois de suite avec deux équipes différentes. On l’a senti moins inspirant que l’an dernier avec les Blues de St. Louis, équipe de son enfance, mais son jeu robuste a été payant et il a préparé de belle façon, lundi, le but de Blake Coleman, habile marqueur qui a mené le circuit pour les mises en échec en séries éliminatoires.

Et il y a le fameux Barclay Goodrow, qui a valu des railleries à Julien BriseBois à la date limite des transactions après que le DG du Lightning eut cédé un choix de premier tour au repêchage de 2020 pour en faire l’acquisition. Au final, l’observateur averti a pu assister depuis deux mois au travail de l’un des meilleurs joueurs « de profondeur » du circuit. Et un collègue a fait valoir, sur Twitter, que BriseBois avait également reçu un choix de troisième tour (celui des Flyers) dans le même échange. Résultat des courses : Tampa a simplement reculé de 54 rangs, soit du 31e au 85e, pour s’assurer des services de Goodrow. Pas une vilaine journée au bureau.

« Tout le monde a eu droit à son moment », a résumé Brayden Point, très à propos.

Stars usés

Évidemment que l’exécution, elle, n’a pas toujours été parfaite. À preuve, cette finale étirée à six parties contre un adversaire certes coriace, mais moins doué et, au demeurant, miné par les blessures – l’entraîneur-chef des Stars, Rick Bowness, a cru bon de rendre hommage à son personnel médical !

L’histoire du gardien Anton Khudobin a ému tout le monde, mais sa magie n’a plus agi en fin de parcours. On peut être certain que Bowness aurait fait appel à Ben Bishop s’il avait été en santé. Et son top 4 en défense peut en donner beaucoup, mais il y a une limite à tout. L’usure a fait son effet.

« Personne ne nous voyait ici », a rappelé le doyen des entraîneurs de la ligue, qui a subi sa troisième défaite en finale en 10 ans.

« Les joueurs ont cru en eux, se sont impliqués, ont travaillé en équipe. Ils ont tout donné, même s’il nous a manqué quelque chose à la fin. C’est tout ce qu’un entraîneur peut espérer de son équipe. Je suis fier d’eux. »

Les Stars, de fait, auront causé bien des soucis au Lightning, par leur travail acharné qui leur a notamment valu une victoire à l’arraché tard samedi dernier. Mais lundi, dans ce sixième et ultime match, l’ordre établi a repris ses droits.

Malgré tout, le cœur à l’ouvrage des Texans aura fait leur fierté jusqu’à la fin. Et c’est tout à leur honneur.

Revenus de loin

Un cigare dans une main et un breuvage que l’on soupçonne alcoolisé dans l’autre, l’entraîneur du Lightning, Jon Cooper, a offert les hommages d’usage à ses troupes. Mais il n’a pas hésité à identifier deux éléments qui ont contribué au dénouement que l’on connaît.

D’abord, la défaite humiliante en quatre matchs aux mains des Blue Jackets de Columbus, au premier tour des séries l’année dernière.

Les cicatrices ont été longues à guérir, et il avait bien hâte que son équipe se débarrasse de cette étiquette de « celle qui ne réussit pas », imposée d’une certaine manière par la finale perdue de 2015. Or, a estimé Cooper, « dans un sport d’équipe, il faut vivre la défaite avant de connaître le succès ». « Ces blessures, nous les portons, elles nous gardent éveillés la nuit, mais, ultimement, elles nous transportent », a-t-il ajouté.

Il a ensuite rappelé la victoire, contre ces mêmes Blue Jackets, au tout premier match des présentes séries. La rencontre a nécessité cinq périodes de prolongation avant que Brayden Point close le débat.

Si on avait perdu ce match, le doute se serait emparé de nous. On a un groupe résilient, mais à un certain moment, il faut goûter au succès. Cette première victoire a eu l’effet d’une catapulte.

Jon Cooper, entraîneur-chef du Lightning

Sur le même thème, le défenseur Ryan McDonagh a indiqué qu’après ce moment, « on savait que peu importe ce qui nous arriverait, on trouverait un moyen de se relever ».

À la lumière de ces montages russes d’émotions, pas surprenant que Victor Hedman, encore lui, eut répété que l’ultime victoire, celle qui a été couronnée du précieux trophée, méritait qu’on prenne du temps pour la savourer.

Car le retour à la « vraie vie », pour le Lightning, ne se fera pas sans heurt.

La LNH de l’ère du plafond salarial étant ce qu’elle est, cette formation toute puissante ne pourra demeurer intacte. Mikhail Sergachev, Anthony Cirelli et Erik Cernak doivent tous signer de nouveaux contrats : aucun des trois ne coûtait plus de 900 000 $ sur la masse salariale du club cette saison. Les augmentations feront mal. Et le gardien Andrei Vasilevskiy amorcera en 2020-2021 la première année d’un long contrat qui lui rapportera 9,5 millions par an.

Des décisions déchirantes seront nécessaires. Des vétérans appréciés n’y seront plus à la reprise du jeu.

Or, personne ne peut vraiment douter que le Lightning est dans une position privilégiée pour gagner longtemps.

La route vers le sommet a été plus longue que prévu. Mais les BriseBois, Cooper, Stamkos, Hedman et tous les autres y sont enfin parvenus. Ils ne voudront plus le quitter.

1. Une version précédente du texte mentionnait, à tort, que le dernier joueur à avoir réalisé l’exploit était Claude Lemieux en 1995 et 1996.