C’est une bataille dans la bataille. Celle qu’on ne voit pas, à moins d’y porter attention.

Le duel entre Claude Julien et Mike Sullivan.

Les deux se connaissent très bien. Ils sont devenus entraîneurs-chefs chez les pros en même temps. Ils se sont affrontés lors des séries de 2004. Ils ont dirigé les Bruins de Boston, à un an d’intervalle. Ils ont tous les deux remporté la Coupe Stanley.

Je parie que Claude Julien sait quelles sont les céréales préférées de son adversaire. Et que Mike Sullivan peut vous dire combien de cubes de sucre l’entraîneur du Canadien met dans son café le matin.

Dans les circonstances, à quoi s’attendre ? À une dynamique d’action-réaction. Avec beaucoup de suranalyse. Pensez à une partie de roche-papier-ciseaux contre votre meilleur ami. Comment réagira-t-il si je fais une roche, sachant que les trois coups précédents, j’ai fait ciseaux-ciseaux-roche et qu’il a fait papier-ciseaux-papier ?

Ça ressemble à ça.

À ce petit jeu, Mike Sullivan est avantagé. Les Penguins ayant obtenu plus de points que le Canadien cette saison, ce sont eux qui profitent du dernier changement lors des mises en jeu des matchs 1, 2 et 5. Un gros atout.

Pourquoi ?

Ça leur permet d’opposer leurs meilleurs trios aux plus faibles du Canadien. Exemple : Sidney Crosby contre Jesperi Kotkaniemi. Ou encore, Evgeni Malkin contre Max Domi. Mais pour amorcer le premier match, Sullivan a choisi une stratégie différente. Il a préféré envoyer le trio de Sidney Crosby contre celui de Phillip Danault. Le centre du Canadien est pourtant l’un des meilleurs attaquants défensifs de la LNH.

Evgeni Malkin s’est retrouvé contre Nick Suzuki.

Jared McCann contre Jesperi Kotkaniemi.

Teddy Blueger contre Max Domi.

« J’ai été un peu surpris, a confié Phillip Danault. Mais [Crosby] jouait beaucoup. Il était presque double shifté. »

Claude Julien a aussi paru étonné des confrontations souhaitées par Mike Sullivan.

« Je ne sais pas quelle est sa philosophie. La nôtre est simple. Nous ne sommes pas une bonne équipe lorsqu’on tente de jumeler les trios. Lorsqu’on change sur le fly. Nous construisons notre équipe [en conséquence]. Kotkaniemi avait deux vétérans fiables à ses côtés. »

Sauf que les premières minutes du match ont donné raison à Sullivan. Les Penguins sont sortis en force. Surtout le trio de Malkin, qui écrasait celui de Suzuki. Il faut dire que la deuxième ligne du Canadien est statistiquement la plus faible en défensive de l’équipe.

BUTS ACCORDÉS PAR 60 MINUTES JOUÉES À FORCES ÉGALES

Tomas Tatar 3,1 — Phillip Danault 2,4 — Brendan Gallagher 2,9

Jonathan Drouin 3,5 — Nick Suzuki 2,7 — Joel Armia 3,1

Paul Byron 2,2 — Jesperi Kotkaniemi 3,3 — Artturi Lehkonen 2,5

Jordan Weal 2,4 – Max Domi 3,3 – Dale Weise 2,1

(Aparté : si vous vous demandez pourquoi Weal et Weise sont dans l’alignement, c’est entre autres pour pallier les lacunes défensives de Domi.)

Revenons à nos Penguins. Le temps d’aller chercher les nachos au four, ils avaient déjà tiré au but 10 fois. Le Canadien ? Une seule fois. Claude Julien devait réagir. Ce qu’il a fait — rapidement. Il a soustrait Suzuki à la couverture de Malkin, lui préférant Danault. Le Tricolore a enfin repris son souffle. À la fin de la séquence, Kotkaniemi a compté le premier but de la rencontre.

PHOTO NATHAN DENETTE, LA PRESSE CANADIENNE

Samedi soir, Claude Julien a misé sur Brett Kulak (77) et son partenaire Jeff Petry pour freiner les élans du trio de Sidney Crosby (87). Cette décision s’est avérée payante, puisque le Canadien a remporté un premier duel face aux Penguins de Pittsburgh.

Par la suite, Claude Julien a été capable d’imposer ses confrontations, même sans avoir le dernier choix. Il a misé sur Danault, Jeff Petry et Brett Kulak — trois patineurs mobiles — pour freiner le trio de Crosby. C’était voulu, a reconnu Claude Julien. « Sans entrer dans tous les petits secrets de ce qu’on veut faire, c’est de la façon dont on veut faire ça. Il y a des raisons spécifiques pour ce choix-là. »

D’accord, ce fut parfois difficile. Crosby et Conor Sheary ont forcé des pénalités. Sauf que le premier trio des Penguins n’a finalement compté qu’une seule fois à forces égales. Petry et Kulak étaient d’ailleurs au banc.

Ralentir Crosby, c’est déjà un exploit. Mais chez les Penguins, il faut aussi freiner Malkin. Un colosse, à 88 kg et 191 cm. Plus fort que Crosby, mais plus lent aussi. Un style qui convient mieux à Shea Weber et Ben Chiarot, affectés à sa couverture.

Encore là, ce fut souvent pénible. Lorsque Weber et Malkin étaient sur la glace en même temps à forces égales, le Canadien a tenté cinq tirs. Les Penguins, 17. N’eût été le brio de Carey Price, Malkin aurait terminé la soirée avec assez de points pour amener toute sa famille gratuitement en Australie.

Cela dit, ç’aurait pu être pire. Car à travers toutes ces permutations et chorégraphies, Claude Julien est parvenu à éviter les affrontements entre Crosby, Malkin et les pires éléments défensifs du Canadien.

Kotkaniemi ne les a croisés que 4 min 29 s à forces égales.

Xavier Ouellet ? 4 min 10 s.

Victor Mete ? 2 min 28 s.

(Ça vous donne un indice du niveau de confiance de la direction à son égard.)

Max Domi s’est retrouvé quelques fois face aux deux centres des Penguins. Il s’en est bien tiré. Il faut dire qu’il était flanqué du vétéran Dale Weise, dont Claude Julien a vanté le jeu, dimanche.

***

Claude Julien a remporté la première bataille samedi soir. Maintenant, attendez-vous à une contre-attaque de Mike Sullivan. L’entraîneur des Penguins — un des meilleurs de la LNH — a pris des notes. Il a consulté les mêmes statistiques que vous.

Comment réagira-t-il ?

Pour le deuxième match, je m’attends à ce qu’il décolle Crosby de la paire Petry/Kulak. Sa vitesse le servirait mieux contre le duo Weber/Chiarot. Sullivan pourrait aussi être tenté de vouloir forcer un affrontement entre les trios de Malkin et de Suzuki. Un duel à l’avantage des Penguins, dans la première rencontre.

Claude Julien, lui, devra continuer de soustraire ses pires joueurs défensifs aux raids de Crosby et Malkin. S’il y parvient, le Canadien aura une chance d’éliminer les Penguins.