L’élection de Jarome Iginla au Temple de la renommée mercredi allait de soi. Avec 625 buts, 1300 points et une grande carrière internationale, il avait plusieurs arguments pour faire oublier le grand vide à sa fiche : la Coupe Stanley. L’absence de Coupe, en fait.

Le plateau des 1300 points est particulièrement intéressant. Ils sont 34 dans la LNH à l’avoir atteint ; 31 d’entre eux sont maintenant au Temple. Les trois autres ? Jaromir Jagr (toujours actif et en voie de jouer jusqu’à 127 ans), Joe Thornton (également toujours actif) et… Pierre Turgeon.

Pour la 11année de suite, Turgeon a donc été ignoré. Pour être élu, un joueur doit recevoir le vote d’au moins 14 des 18 membres du comité de sélection.

Ça a beau ressembler au jour de la marmotte, l’ancien capitaine du Canadien espérait encore cette semaine recevoir l’appel de Lanny McDonald.

« C’est sûr qu’on reste à l’écoute, on regarde ce qui se passe. Je suis content pour les gens qui sont là, ils sont incroyables. Iginla, ce n’était pas un mauvais joueur ! lance Turgeon, en entrevue téléphonique avec La Presse depuis la Floride. Mais c’est décevant. Ç’aurait été super le fun d’être élu. Mais c’est quelque chose que je ne contrôle pas. »

Ce qui joue contre lui ? Turgeon est assez lucide.

On ne se le cachera pas, je n’étais pas un batailleur. Mais ce qui m’aidait, c’était mon talent, ma vision, ma détermination. Tous les joueurs admis au Temple s’y sont rendus avec leurs forces.

Pierre Turgeon

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le 7 septembre 2007, Pierre Turgeon annonçait sa retraite après avoir disputé 1294 matchs dans la LNH, récoltant au passage 1327 points, dont 515 buts. Trois ans plus tard, en 2010, il devenait admissible à une intronisation au Temple de la renommée… qui se fait toujours attendre en 2020.

La robustesse n’était effectivement pas parmi les forces de Turgeon, contrairement à Iginla, qui a établi une partie de son héritage avec ses coups d’épaule et de poing. D’ailleurs, au terme de sa meilleure saison (58 buts, 74 passes, 132 points en 1992-1993), Turgeon avait reçu le trophée Lady-Byng, qui souligne l’esprit sportif. Il s’agit du seul trophée individuel qu’il ait gagné dans la LNH.

Les plus âgés se souviendront aussi de la fameuse bataille générale du Championnat du monde junior de 1987 entre le Canada et l’Union soviétique. Turgeon avait fait l’objet de critiques – même de son propre coéquipier Everett Sanipass, selon le Globe and Mail – pour sa réticence à quitter le banc pour se battre. Coïncidence ou pas, Turgeon n’a jamais joué pour Hockey Canada par la suite.

La Coupe

« Mes statistiques sont là. Mais je n’ai pas gagné de Coupe, et des choses comme ça, ça accroche. Mais ce ne sont pas tous les joueurs au Temple qui l’ont gagnée ! »

Ici aussi, Turgeon voit clair. Parmi les 31 joueurs du club des 1300 qui sont au Temple, 7 n’ont jamais gagné le gros trophée. Iginla et Mats Sundin ont toutefois connu une grande carrière internationale, et le comité de sélection en a tenu compte.

Avec 1771 points, Marcel Dionne est sixième dans l’histoire de la LNH ; il était incontournable. Idem pour Mike Gartner, un des huit joueurs à avoir inscrit 700 buts.

Restent toutefois Adam Oates, Dale Hawerchuk et Gilbert Perreault, qui ont connu un parcours plus modeste. Hawerchuk et Perreault n’ont guère patienté avant d’être élus, tandis qu’Oates a dû attendre à sa sixième année d’admissibilité.

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le 16 mars 1996, Pierre Turgeon, alors capitaine du Canadien de Montréal, a eu l’honneur de transporter le flambeau lors des cérémonies d’ouverture du Centre Molson, cinq jours après avoir été le dernier joueur à patiner sur la glace du célèbre Forum.

N’empêche que ces joueurs ont été dominants à leur époque, comme l’a été Turgeon. Ses chiffres absolus ne sont pas renversants (deux saisons de 100 points), mais il a aussi rarement disputé des saisons complètes. Allons-y donc avec des ratios.

De 1988-1989 à 2000-2001, Turgeon excédait facilement le point par match (1103 points en 932 matchs). Sa moyenne de 1,18 point par match lui vaut le 12rang au cours de cette séquence, derrière des phénomènes tels Mario Lemieux, Wayne Gretzky, Jaromir Jagr, Pat LaFontaine et Joe Sakic.

« Il a été le meilleur joueur de son équipe pendant une douzaine d’années de suite », disait de lui Michel Goulet – un autre membre du Temple sans Coupe Stanley – dans une entrevue au Denver Post l’an dernier.

Lowe et Wilson ont attendu

Ce qui ne veut pas dire que tout est perdu pour Turgeon. L’an dernier, Guy Carbonneau a appris qu’il était élu… 20 ans après sa retraite !

Cette année, Doug Wilson en était à sa 25année d’admissibilité, tandis que Kevin Lowe attendait son tour depuis 19 ans. Les mentalités changent au fil des années, et dans un comité aussi petit, l’arrivée d’une personne d’influence peut tout changer. « Si j’avais un conseil pour un joueur qui attend, je lui dirais d’être patient parce que l’attente en vaut la peine », a déclaré Lowe mercredi.

Turgeon voit-il dans les élections tardives de Wilson et de Lowe une source d’espoir ?

C’est sûr ! Mais j’espère que ça ne sera pas si long pour moi ! Je sais que j’ai les statistiques pour être là, j’ai joué 19 saisons. Il y a beaucoup de positif.

Pierre Turgeon

« Mais j’ai été privilégié de gagner ma vie en faisant ce que j’aime le plus faire. J’ai 50 ans, je joue encore souvent et quand j’embarque sur la patinoire, je me sens encore comme un enfant.

« Le Temple, ça serait juste la cerise sur le sundae. Ça serait un privilège et un gros honneur. Mais je n’ai pas de contrôle là-dessus. J’espère que ça arrivera, mais je suis content pour les gens qui sont entrés. »