Mathieu Joseph, attaquant du Lightning de Tampa Bay, le reconnaît d’emblée. Il n’a jamais subi d’incidents graves de racisme.

Né d’une mère blanche et d’un père noir, il a grandi dans des milieux multiethniques. À Montréal-Nord. À Rosemont. « J’allais à l’école à Anjou. Il y avait des Noirs. Des Arabes. Des Italiens. Des Grecs. C’était les Nations unies. »

À 15 ans, il s’est retrouvé avec l’équipe midget AAA de Saint-Hyacinthe. « Là, c’était blanc partout ! Mais même si je cherche très, très fort [dans mes souvenirs], il ne m’est rien arrivé d’incroyable. »

Depuis trois ans, il est établi aux États-Unis. Il affirme que tout va bien. Mais juste avant, dans la LHJMQ, il a encaissé des insultes racistes. « Jamais des joueurs, des arbitres et des entraîneurs. Eux m’ont tous respecté. Mais avec des partisans, c’est arrivé. J’ai obtenu des excuses. Ces incidents, plutôt que de m’abattre, ont formé mon caractère. Ils m’ont renforcé. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Mathieu Joseph, du Lightning de Tampa Bay

Ces incidents, il les a évoqués brièvement dans un message publié sur Twitter. « Quand j’étais enfant, faire du sport m’a permis de m’endurcir. Ça m’a permis d’ignorer les commentaires racistes le plus possible, même s’il y en a eu. »

« Mon expérience n’est pas la meilleure, m’a-t-il expliqué en entrevue. J’ai presque toujours eu le sentiment de me sentir égal aux autres, dans toutes les situations. Mais je sais que ce n’est pas comme ça pour tout le monde. Que c’est un combat qu’on doit mener. »

Ce qui se passe en Amérique du Nord, c’est triste. Oui, c’est pire aux États-Unis, mais le problème, il est partout en Amérique.

Mathieu Joseph

Lorsque Mathieu Joseph a diffusé son message sur les réseaux sociaux, dimanche soir, il était parmi les premiers hockeyeurs de la LNH à se prononcer publiquement en faveur des manifestants. Un geste audacieux. Surtout pour un joueur qui amorce sa carrière. Comme je l’ai expliqué mardi, la très grande majorité des athlètes refuse de s’impliquer en politique, de peur de choquer les partisans et les commanditaires.

« Pourquoi les athlètes ont-ils cette réserve ?

– Une amie m’a posé la même question. Quand tu fais un sport individuel, comme le tennis, c’est plus facile. Tu parles seulement en ton nom. Mais quand tu fais partie d’une équipe, tu représentes aussi ton organisation. Tes mots auront un impact pas juste sur toi, mais sur toute ton équipe aussi. »

Avant de publier son message, Mathieu Joseph a consulté plusieurs proches. Ses parents. Ses amis. Son agence. Des coéquipiers. « Je ne suis vraiment pas quelqu’un qui aime se mettre à l’avant-scène. Mais je comprends mon rôle. Je suis une minorité visible, dans un sport surtout pratiqué par des Blancs. C’était important que je parle de mon expérience. »

« Ce message, c’est mon idée. Je voyais ce qui s’écrivait sur les réseaux sociaux. Je voulais réagir, sans être impulsif. Je voulais choisir les bons mots. Je n’ai pas la plus grosse plateforme [30 000 abonnés sur Twitter et Instagram]. Sauf que mon opinion peut influencer une autre personne. C’est pourquoi je l’ai fait. »

Dans son message, Mathieu Joseph qualifie d’« inacceptable » le meurtre de George Floyd. « J’aimerais pouvoir dire que ce qu’a subi George Floyd est un acte isolé. Je sais que ce n’est pas le cas. Le problème, c’est que tout le monde le sait depuis longtemps, mais presque rien n’a été fait. Maintenant, les gens en ont assez. »

Je lui ai demandé quel était son plus grand souhait pour les jeunes Noirs de sa génération.

« Je rêve qu’on puisse tous se sentir égaux. Quand mon père jouait au hockey, il recevait beaucoup plus de commentaires racistes que moi. Ça ne fait pas 100 ans. C’était il y a 25 ans. Depuis, ça a changé. Pour le mieux. »

Il y a encore des incidents qui se produisent. Beaucoup trop d’incidents. La brutalité policière, c’est inacceptable. Ça doit cesser.

Mathieu Joseph

Comment ?

Contrairement à l’espoir du Canadien Jayden Struble, qui affirme que la paix ne mène plus à rien, Mathieu Joseph croit encore au pouvoir des manifestations pacifiques. Il dénonce d’ailleurs sans ambages le pillage et la casse des dernières nuits.

« J’ai vu à la télévision une dame noire perdre son commerce qu’elle possédait depuis 45 ans. Tout était complètement défoncé. Je n’aime pas voir ça. Ce n’est pas comme ça que tu vas prouver ton point sur le racisme. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui pensent qu’il n’existe pas d’autres solutions que la violence. »

« Ceci dit, je peux comprendre que les émotions prennent le dessus. À cause du virus, les gens sont confinés chez eux depuis deux, trois mois. Ils ont perdu leur emploi. Les commerces vont mal. [Le meurtre] de George Floyd, c’est comme si le verre continuait d’être rempli. Les gens se sont fâchés. Avec raison. Par contre, nous ne ferons pas des pas de géant en une journée. Ou en une semaine. Ça prendra du temps. »

Alors, quelle est la solution ?

La démocratie. Et l’éducation.

« Les gens doivent voter. Pour le procureur local [district attorney]. Pour les juges. Pour les chefs de police. Ensuite, il faut éduquer les enfants. Ça, c’est du concret. C’est à la portée de tous. C’est ça qui fera taire les gens qui souhaitent qu’on se taise.

– Et que dis-tu aux gens qui te disent “Stick to Sport” ? De t’en tenir au sport ?

– Je les ignore. »