Le Canadien de Montréal a retiré le numéro de 18 joueurs au cours de sa glorieuse histoire. Il reste évidemment plusieurs figures légendaires qui attendent leur tour. Nous vous proposons neuf joueurs qui méritent considération pour que leur numéro soit hissé dans les hauteurs du Centre Bell. Après Newsy Lalonde, Aurèle Joliat et Georges Vézina hier, en voici trois autres aujourd’hui. Mardi, c’est à vous de voter pour vos favoris.

Toe Blake

Une candidature en deux temps

La candidature au retrait du chandail d’Hector Toe Blake est impeccable. Blake a d’abord brillamment endossé le maillot tricolore, remportant la Coupe Stanley deux fois comme joueur, avant de connaître un succès inégalé derrière son banc : huit conquêtes de la Coupe Stanley en 13 saisons.

Blake, le joueur

Lorsque le Franco-Ontarien Hector Blake donne ses premiers coups de patins avec le Canadien en 1935-1936, la franchise est en difficulté. Plusieurs facteurs contribuent à dégarnir les estrades du Forum : la vedette de l’équipe, Howie Morenz, a succombé aux complications de blessures subies en match quelques semaines auparavant; l’autre figure de proue de l’équipe, Aurèle Joliat, vient de se retirer et la crise économique fait toujours rage.

Toe Blake devient le leader incontesté de l’équipe. En 1938-1939, il remporte le championnat des compteurs de la LNH et reçoit le trophée Hart remis au joueur le plus utile à son équipe.

En 1944, Blake devient l’ailier gauche de la fameuse Punch Line avec Elmer Lach au centre et Maurice Richard à droite. Ensemble, ils forment le trio le plus célèbre de l’histoire du Canadien. Ce trio domine pendant plusieurs années, mais il est démantelé en 1948 alors que Blake se fracture la cheville. Cette blessure met fin à sa carrière de joueur, mais le Canadien est lancé et il connaîtra plusieurs décennies de domination par la suite.

Blake l’entraîneur

Toe Blake prend les rênes du Canadien à la suite du fiasco de la saison 1954-1955 qui s’était soldée par la suspension de Maurice Richard, l’émeute au Forum et la défaite du Canadien en finale. Son arrivée est une vraie bénédiction.

Son prédécesseur, Dick Irvin, un entraîneur dur, fouettait ses joueurs sans retenue pour obtenir des résultats.

Passe encore si Irvin avait formulé ses reproches privément, mais on eût dit qu’il prenait un malin plaisir à abaisser un athlète devant tous ses coéquipiers.

Armand Lachance, Sports Revue 

Plus discret, Blake était un entraîneur ferme, mais juste qui préférait le concept d’équipe aux provocations d’Irvin. Il réussit à tirer le meilleur de chacun et à souder l’équipe qui regorge de talent.

« Ce n’était pas toujours facile de diriger un groupe de joueurs étoiles comme celui-là », racontait Jean Béliveau à La Presse. « Tout le monde voulait jouer à profusion, faire partie des attaques massives. Mais Toe avait cette capacité de choisir les bons joueurs dans les circonstances déterminantes. Et c’est cet instinct qui nous a fait gagner plusieurs Coupes Stanley », ajoutait-il.

Le premier à bénéficier des méthodes rassembleuses de Blake est Béliveau, qui devient le pivot de cette puissante équipe. Il éclôt et remporte le championnat des marqueurs dès la première saison de l’ère Blake. Toe fait du Canadien un véritable rouleau compresseur qui remporte la Coupe Stanley à 8 reprises en 13 saisons sous son règne et qui constitue un prétendant aux grands honneurs chaque année.

Blake se retire en pleine gloire en 1968 après avoir remporté la Coupe Stanley une dernière fois. La dynastie du Canadien, elle, est lancée et poursuivra sa domination jusqu’à la fin des années 70.

Ses faits d’armes

Hector Blais 

Franco-ontarien, Hector Toe Blake parlait couramment le français. À la fin des années 30, le Canadien éprouvait des difficultés aux guichets après le décès de Howie Morenz et le départ d’Aurèle Joliat. Le propriétaire Ernest Savard convainc Blake de jouer sous le nom d’Hector Blais. « J’étais jeune, je me sentais fier d’être connu sous un nom français et de plus j’avais l’ambition d’aider le club Canadien par tous les moyens », racontait-il dans le magazine Sports Revue.

Joueur de séries

Blake remporte la Coupe Stanley à deux reprises dans l’uniforme du Canadien en 1943-1944 et 1945-1946. Chaque fois, il compte le but gagnant qui donne la victoire au Canadien.

La 11e Coupe Toe Blake a inscrit son nom sur la Coupe Stanley à 11 reprises, partageant le record d’Henri Richard. Blake a aussi remporté la Coupe Stanley en 1934-1935 avec Montréal, les Maroons, cette fois. Le jeune Blake avait joué une partie avec l’équipe anglophone de Montréal lors de ces séries remportées par les Maroons.

Un appui de taille

La direction du Tricolore était encore incertaine quant au choix du prochain pilote lorsque (Maurice) Richard fit l’éloge de Blake en disant qu’il méritait la place d’emblée…

Les Sports, juillet 1955

Ex-coéquipiers

Le 10 janvier 1948, Blake entre en collision avec Bill Juzda des Rangers de New York et se fracture la cheville. Cette blessure mettra fin à sa carrière de joueur. Ce soir-là, Maurice Richard, Émile Bouchard, Ken Mosdell, Floyd Curry et Doug Harvey portent aussi l’uniforme du Canadien. Ils seront les seuls à jouer encore pour l’équipe lorsqu’il en devient l’entraîneur-chef en 1955.

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Jack Laviolette

Jack Laviolette

Le premier Canadien

Jean-Baptiste Laviolette fut le premier joueur du Canadien de Montréal. Le premier capitaine de l’équipe. Le cofondateur du club. Trois faits d’armes qui assurent sa pérennité dans les encyclopédies du hockey. Mais l’histoire a oublié qu’il fut aussi l’athlète le plus casse-cou, le plus populaire et le plus progressiste de sa génération.

Pour avoir une idée de la grandeur du personnage, imaginez Guy Lafleur et Gilles Villeneuve dans un seul corps.

Comme Lafleur, Laviolette survolait la patinoire grâce à un coup de patin exceptionnel. « Un Français volant », commente La Presse en 1914. Un qualificatif qui a inspiré le surnom « Flying Frenchmen », dont était affublé le Canadien à cette époque. Et comme le Démon blond, le grand Jack avait le cheveu long et dans le vent.

« Laviolette sautait facilement par-dessus les bâtons des adversaires, tout comme un cheval passe facilement par-dessus les obstacles dans une course de turf. Il avait aussi une épaisse et large chevelure, une vraie crinière. Dans le temps, les joueurs portaient des tuques. À cause de sa vitesse, Jack perdait sa coiffure et ses longs cheveux flottaient au vent pour lui faire prendre la figure d’un bolide, d’un météore », s’est souvenu le journaliste Charles Mayer en 1960.

La métaphore du bolide n’est pas fortuite. Laviolette était un passionné de course automobile et un pionnier de l’aviation. « Je n’ai jamais rencontré un homme aussi courageux », a rapporté son instructeur de vol dans La Presse en 1915.

Jack Laviolette et Gilles Villeneuve sont en quelque sorte faits du même bois. Au-delà de leur passion pour la vitesse, les deux hommes partageaient une fougue, un courage, un désir de sortir des sentiers battus.

Laviolette connaît aussi la valeur de l’argent. Il insiste pour être payé sa juste part, alors que le National de Montréal — la grande institution sportive des francophones — prône l’amateurisme. Lorsque le Canadien est créé, en 1909, pour concurrencer le monopole du National sur les joueurs canadiens-français, Laviolette est évidemment recruté.

C’est ainsi que le 4 décembre 1909, Jack Laviolette devient le premier capitaine du Canadien. Pendant le mois qui suit, il livre une lutte épique au National pour la signature des joueurs francophones. Tous choisissent de s’aligner à ses côtés. En janvier 1910, le National s’incline. Le club est dissous. Laviolette a remporté son pari.

Considéré comme le meilleur défenseur de la ligue, Laviolette pratique un style de jeu robuste qui le rend vulnérable aux blessures. Sa carrière gagne un deuxième souffle en 1915, lorsqu’il est promu ailier aux côtés de Didier Pitre et Newsy Lalonde. Ensemble, ils forment la plus spectaculaire ligne d’attaque de la jeune histoire de l’équipe et gagnent la Coupe Stanley en 1916.

Laviolette est encore dans la force de l’âge lorsqu’un grave accident de voiture, lors d’une banale promenade, met fin à sa carrière sportive en mai 1918. Son véhicule percute un poteau de fer. Son pied droit reste pris sous une pédale. Il est amputé. Il prend sa retraite du hockey avec 48 buts en 155  matchs de saison régulière avec le Canadien. Malgré son handicap, il vivra jusqu’à 80 ans. Il est mort le 8 janvier 1960, deux ans avant d’être intronisé au Temple de la renommée du hockey.

Ses faits d’armes

De l’Ontario à Valleyfield

Comme plusieurs joueurs du Canadien, Jack Laviolette était franco-ontarien. Il est arrivé au Québec à 12 ans et s’est installé avec sa famille à Valleyfield, où il rencontra Didier Pitre, son futur coéquipier et grand ami.

La crosse d’abord

Comme plusieurs de ses coéquipiers de la première édition du Canadien, Jack Laviolette excellait à la crosse, sport national du Canada à cette époque. La saison de hockey disputée sur une glace naturelle était courte et les joueurs pratiquaient la crosse en été.

Peu de passes

Laviolette n’a obtenu que 25 passes en neuf saisons avec le Canadien. À l’époque, on accordait peu de mentions d’assistance. De plus, la passe avant était interdite, ce qui favorisait les patineurs rapides et les habiles manieurs de rondelle comme Laviolette.

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Jacques Lemaire

Jacques Lemaire

Une vraie tête de hockey

On se souvient beaucoup de Jacques Lemaire l’entraîneur. À l’époque où il dirigeait le Canadien, ses passes d’armes avec son homologue des Nordiques, Michel Bergeron, ont fait la manchette. Sa démission, à l’été 1985, a provoqué un choc, car il s’imposait déjà comme un des meilleurs de sa profession. Il lui a fallu des années avant de retourner derrière un banc.

Mais il ne faut pas oublier que Lemaire fut d’abord et avant tout un joueur de premier plan. Un gars sur qui on pouvait compter dans les moments clés en séries éliminatoires. Un gars capable de marquer de gros buts et de servir des passes géniales, souvent à son redoutable ailier Guy Lafleur.

Comment oublier son flair dans le septième match de la série contre les Bruins de Boston en 1979 ? En fin de troisième période, sa superbe remise à Lafleur permet à celui-ci de projeter la rondelle au fond du but d’un tir violent. Le Canadien pousse ainsi le match en prolongation, un jeu qui ouvre la voie à l’obtention d’une quatrième Coupe Stanley de suite une dizaine de jours plus tard.

C’est le 19 février 1963 que le nom de Lemaire retentit la première fois dans le paysage médiatique. Ce jour-là, la puissante Ligue métropolitaine (junior) termine sa saison. Vedette des Maroons de Lachine, Lemaire marque cinq buts et récolte sept aides contre les Braves de Valleyfield pour ravir le championnat des pointeurs du circuit à des joueurs le devançant jusque-là largement.

Il est âgé d’à peine 17 ans et son immense talent ne fait aucun doute : vision du jeu exceptionnelle et tir puissant. L’automne suivant, Lemaire se joint au Canadien junior, de la Ligue junior de l’Ontario, avec qui il s’aligne durant trois saisons.

C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Scotty Bowman, un entraîneur sévère et parfois manipulateur, qui ne convient pas à sa personnalité timide. Mais il s’accroche parce qu’il est fou de hockey et déteste l’école. Ironiquement, après sa carrière de joueur, il adorera « enseigner » le hockey, pour reprendre un verbe qu’il utilisera souvent. 

Dès son arrivée dans la LNH, en 1967-1968, Lemaire étale son talent et sa combativité. Sa contribution en séries éliminatoires est exceptionnelle pour une recrue. En demi-finale, il marque le but vainqueur en prolongation pour permettre au Canadien d’éliminer les Black Hawks de Chicago. Puis, dans le premier match de la finale contre les Blues de St. Louis, il marque aussi le filet victorieux en prolongation. La question posée par La Presse quelques jours plus tôt est alors sur toutes les lèvres : qui a découvert Jacques Lemaire ? Oui, qui a compris que ce jeune homme était si doué ? Pete Morin, ancien président du club de Lachine, explique au columnist Marcel Desjardins : « Jacques change toujours sa tactique. Il varie constamment son jeu. Voyez les buts qu’il compte, de près, de côté, d’en face, de loin. »

Oui, de loin, comme dans le match décisif de la série finale de 1971 contre les Black Hawks. Le Canadien perd 2-0 en deuxième période au vieux Stadium quand un long tir frappé de Lemaire déjoue Tony Esposito. « Oui, le tir venait de loin, mais c’était un vrai plomb », se souvient Serge Savard. Ce but est un grand moment dans la carrière de Lemaire, puisqu’il redonne des ailes au Canadien. Après un beau jeu du numéro 25, Henri Richard crée l’égalité. Le Canadien a bel et bien renversé la vapeur et un autre but de Richard permet à l’équipe de remporter la Coupe Stanley. Encore une fois, le rôle de Lemaire a été déterminant, comme il le sera si souvent au cours des saisons suivantes.

En 12 saisons dans la LNH, Lemaire a obtenu huit bagues de la Coupe Stanley. En 1984, il a été élu au Temple de la renommée. Pas de doute là-dessus : le numéro 25 a sa place au plafond du Centre Bell.

Ses faits d’armes

Un héros de 1977 

En 1977, le Canadien remporte la Coupe Stanley en éliminant les Bruins en quatre matchs. Jacques Lemaire est le héros du match décisif au vieux Garden, inscrivant les deux buts des siens, le deuxième en prolongation. 

Des adieux spectaculaires 

À la fin de la saison 1978-1979, même s’il n’est âgé que de 33 ans, Jacques Lemaire annonce sa retraite. À son dernier match dans la LNH, qui assure au Canadien sa 22e Coupe Stanley, il inscrit deux buts, dont celui de la victoire. Il termine les séries à égalité avec Guy Lafleur au premier rang des pointeurs. 

Deuxième derrière le Gros Bill 

Avec 139 points en 145 matchs éliminatoires, Jacques Lemaire occupe le deuxième rang des pointeurs du Canadien en séries. Seul Jean Béliveau (176 points en 162 matchs) le devance. 

Débuts comme entraîneur 

Après sa carrière avec le Canadien, Jacques Lemaire amorce une carrière d’entraîneur à Sierre, en Suisse. Plus tard, il prend place derrière le banc des Chevaliers de Longueuil, de la LHJMQ. À la surprise générale, son équipe élimine les puissants Voisins de Laval et Mario Lemieux, avant d’être éliminée en finale par le Junior de Verdun et Pat LaFontaine.

Au New Jersey 

Après avoir longtemps été un des adjoints du directeur général Serge Savard avec le Canadien, Lemaire devient entraîneur-chef des Devils du New Jersey en 1993-1994. La saison suivante, il mène les siens à la conquête de la Coupe Stanley. Il deviendra plus tard le premier entraîneur-chef du Wild du Minnesota, qu’il dirigera durant huit saisons.