Jean-François Damphousse est arrivé tôt ce matin-là au Colisée Financière Sun Life de Rimouski. En tant que dépisteur du Québec et des Maritimes pour la centrale de recrutement de la Ligue nationale, il devait mesurer et peser les joueurs de l’Océanic pour la base de données du circuit.

« Je voulais être prudent, je suis arrivé une heure en avance, raconte Damphousse au bout du fil. Alexis était déjà sur la glace en train de travailler sur ses habiletés individuelles avec un coéquipier. Leur entraînement était prévu à 9 h 15, et à 8 h, il était déjà à l’ouvrage. Il a fallu lui dire de sortir pour qu’on prenne ses mesures ! »

Alexis, c’est bien sûr Alexis Lafrenière. C’est cette ardeur au travail-doublée d’un certain talent, chuchote-t-on dans les milieux bien branchés-qui fait en sorte que l’ailier de l’Océanic de Rimouski vient au 1er rang du classement final des espoirs nord-américains, dévoilé mercredi par la Centrale de la LNH. On ignore encore quelle forme prendra le repêchage de 2020, mais il est plus clair que jamais comment il commencera : avec le nom de Lafrenière.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Alexis Lafrenière, joueur étoile de l’Océanic de Rimouski et d’Équipe Canada junior.

Lafrenière n’est pas officiellement vu comme le meilleur espoir de la cuvée 2020 ; la LNH classe les espoirs jouant en Amérique du Nord et ceux jouant en Europe sur des listes différentes. N’empêche, il apparaît comme un de ces choix consensuels, comme l’a été Rasmus Dahlin il y a deux ans.

« Dès le jour 1, il était identifié comme le joueur numéro 1, rappelle Damphousse, lui-même un ancien choix de 1er tour en 1997. »

« Des fois, ce n’est pas évident de jouer trois ans dans la même ligue avant de te faire repêcher. La pression et les attentes montent, mais il a répondu. »

Quand ça compte

La question de l’excellence sous pression semble toujours revenir dans le portrait quand il est question de Lafrenière. En janvier 2018, La Presse s’était rendue à Rimouski pour le voir à l’œuvre. Lafrenière était alors une recrue de 16 ans et l’Océanic avait accordé le but égalisateur avec moins de trois minutes à jouer en troisième période. La tension était à son comble et Serge Beausoleil, l’entraîneur-chef de l’Océanic, avait envoyé Lafrenière dans la mêlée dès la reprise du jeu.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Alexis Lafrenière, joueur étoile de l’Océanic de Rimouski et d’Équipe Canada junior, lors des Championnats mondiaux de hockey junior à Ostrava, en Tchéquie, le 1er janvier 2020.

« D’autres joueurs détournent le regard, ils regardent ailleurs quand ça chauffe. Alexis voulait être là, nous avait dit Beausoleil. Tu le sens comme entraîneur. »

À défaut de pouvoir le montrer lors des séries de la LHJMQ ce printemps, Lafrenière a rappelé au monde du hockey sa capacité à exceller sous la pression au mondial junior l’hiver dernier. En 5 matchs, il avait amassé 10 points.

« Ces gros matchs-là ont un impact plus important que ce qu’on croit aux yeux des recruteurs, juge Damphousse. Tu veux des athlètes qui vont arriver et vont s’établir, et la pression joue là-dedans. T’es un athlète, tu dois répondre à tes attentes et à celles de l’équipe. Alexis a toujours répondu à la pression. Non seulement il est là, mais il veut la rondelle, un peu comme les grands joueurs de basketball qui veulent le ballon quand ça compte. »

Lafrenière faisait partie d’un groupe de quatre espoirs qui s’adressaient aux médias par le biais d’une conférence vidéo, mercredi.

« Une de mes forces, c’est que lorsqu’un match est serré, je suis capable d’élever mon jeu. C’est peut-être ce qui me sépare des autres. Il y a de très bons joueurs cette année et c’est un honneur d’être classé au 1er rang », a indiqué le grand ailier gauche.

Top 3 inchangé

Qui sont donc ces autres très bons joueurs ?

Comme c’était le cas lors du classement de mi-saison, Lafrenière est suivi par l’attaquant format géant Quinton Byfield (Sudbury) et le défenseur Jamie Drysdale (Érié), tous deux de la Ligue junior de l’Ontario.

Aucun changement non plus en tête du classement des espoirs européens, où l’attaquant allemand Tim Stuetzle (Mannheim) vient au 1er rang. La chute de l’attaquant suédois Lucas Raymond (Frolunda) du 2e au 4e rang permet toutefois aux attaquants Alexander Holtz (Djurgarden) et Anton Lundell (HIFK) de se hisser respectivement aux 2e et 3e rangs.

Statistiquement, Lafrenière est dans un autre univers que ses deux rivaux nord-américains.

Fiche en 2019-2020 (buts-passes-points)

Alexis Lafrenière : 35-77-112 en 52 matchs

Quinton Byfield : 32-50-82 en 45 matchs

Jamie Drysdale : 9-38-47 en 49 matchs

Il faut toutefois noter que Drysdale évolue en défense et présente donc des chiffres intéressants. À 5 pi 11 et 175 lb, il n’est pas le plus costaud des défenseurs, mais c’est aussi vrai pour Cale Makar et Quinn Hughes. Ces deux-là ont fait tourner les têtes toute la saison dans la LNH et sont les deux plus sérieux candidats au trophée Calder remis à la recrue de l’année.

« Ce qui ressort, c’est leur coup de patin et leur calme avec la rondelle. Ce sont des qualités que j’essaie d’incorporer à mon jeu, a analysé Drysdale. »

« J’aime bien regarder jouer Makar. C’est dur de ne pas l’aimer. Il a un gros impact à un jeune âge et ça m’inspire confiance. »

Quant à Stuetzle, les comparaisons sont difficiles à établir, car il évolue au sein de la Deutsche Eishockey Liga (DEL), la première division du hockey allemand, une ligue professionnelle dans laquelle il se frotte à des adultes. Même s’il a eu 18 ans en janvier dernier, Stuetzle a amassé 34 points (7 buts, 24 passes) en 41 matchs.

Un indicateur assez fiable

Le 1er rang de Lafrenière au classement ne garantit rien en soi ; il est simplement le fruit du travail des recruteurs de la LNH et les équipes ont leurs propres dépisteurs qui produiront des listes bien différentes. Cela dit, pour le 1er choix au total, les éclaireurs de la ligue arrivent généralement aux mêmes résultats que ceux des équipes. Quatre des cinq derniers premiers choix étaient classés no 1 soit en Amérique du Nord, soit en Europe. Il s’agissait de Jack Hughes, Rasmus Dahlin, Auston Matthews et Connor McDavid. L’exception : le repêchage de 2017, quand les Devils du New Jersey avaient opté pour Nico Hischier, classé 2e derrière Nolan Patrick.

Un exercice pas trop perturbé

Malgré l’arrêt prématuré des activités dans le hockey junior canadien, le travail de la Centrale de recrutement de la LNH a été plus ou moins perturbé. « Nos classements sont donc basés sur la saison, pas les séries, a rappelé Dan Marr, directeur de la Centrale. Nous avons peut-être manqué une dizaine de journées. » À titre indicatif, la LHJMQ a interrompu sa saison le 11 mars ; les derniers matchs étaient prévus le 21. C’est surtout pour les équipes que la donne change, puisque les entrevues avec les espoirs doivent désormais se faire en ligne. « Aucune entrevue en personne n’est permise », a rappelé Marr. Les équipes ne pourront pas non plus utiliser les différents tests physiques pour mesurer la force et l’endurance des joueurs, notamment. Ces tests sont faits au camp d’évaluation de la LNH (le « combine »), qui a lieu chaque année à Buffalo, début juin, et qui est évidemment annulé.