De 1990 à 1997, les hockeyeuses canadiennes étaient imbattables. Littéralement. Vingt victoires, aucune défaite. Quatre titres mondiaux. Un différentiel de +141. Les pointages ? Dignes de parties de football.

Canada 15 – Suède 1

Canada 17 – Allemagne de l’Ouest 0

Canada 18 – Japon 0

« Toutes nos adversaires avaient peur de nous », se souvient l’ancienne capitaine France St-Louis. On les comprend. En 1998, les Canadiennes étaient donc les grandes favorites des Jeux de Nagano. Le tout premier tournoi olympique de hockey féminin. Une tribune exceptionnelle. En finale, elles ont retrouvé leurs rivales de toujours, les Américaines.

« Malgré le décalage horaire, tous nos amis, toutes nos familles regardaient la partie. C’était notre premier auditoire mondial ! », se rappelle l’attaquante Nancy Drolet.

Ce fut aussi la première défaite des Canadiennes. Pas juste depuis huit ans. De toute leur histoire*.

Récit en trois temps.

Les victoires

France St-Louis : « Quand j’étais dans la vingtaine, je jouais dans une ligue senior à Montréal. En 1990, Hockey Canada a créé une équipe nationale. Une première. Le camp d’entraînement était à Toronto. Il fallait payer pour y assister. Je pense que c’était 350 $. On se disait : “Wow, on va représenter le Canada  !” Dès le premier championnat du monde, on était au coude-à-coude avec les Américaines. Ça jouait dur en mosus. C’était un tournoi avec contact. Sauf que nous, on n’avait jamais joué avec la mise en échec. On n’avait jamais appris à en donner ou à en recevoir. Ça brassait. Ça revolait du bord et de l’autre. Après ça, ils ont aboli la mise en échec… »

Nancy Drolet : « Les filles étaient habillées en rose et blanc. C’est ce que les gens ont retenu. Comme j’avais juste 16 ans en 1990, je ne pouvais pas être dans l’équipe nationale. Dans ce temps-là, comme on n’avait pas d’argent, le championnat était tous les deux ans. J’ai donc participé à celui de 1992. J’avais 18 ans pile. Toutes les meilleures étaient là. On était les favorites. On a vraiment dominé [38 buts, contre 2 des équipes adverses]. On a établi le standard pour les autres équipes. »

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France St-Louis

FSL : « Comment on restait motivées  ? Facile. Les tournois, c’était notre seule chance de jouer contre les autres pays. On voulait tellement gagner. Chaque fois, c’était comme notre Coupe Stanley. On capotait. Écoute, on nous donnait un T-Shirt et on était contentes  ! »

ND : « Le championnat de 1996 n’a pas eu lieu. Celui de 1997 a servi de qualifications pour les Jeux olympiques. C’était aussi la première fois qu’une finale se rendait en prolongation. On affrontait les Américaines. Je m’en souviens très bien, parce que j’avais compté le but gagnant (rires) ! Mes parents étaient venus me rejoindre sur la glace, c’était magique. Sauf que l’on constatait aussi que l’écart s’était resserré. Avec les États-Unis, mais aussi avec la Finlande et la Suède. Ce match avait envoyé un signal assez fort. »

La défaite

Nancy Drolet : « Avant les Jeux, Hockey Canada a centralisé toutes les joueuses à Calgary. C’était la première fois de notre vie qu’on allait jouer au hockey pendant six mois à temps plein. Les autres fois, on avait des jobs en parallèle. Tout était nouveau : la préparation physique, les entraînements, tout. 

« C’était aussi la première fois que les hockeyeurs de la LNH participaient aux Jeux. On déjeunait avec Wayne Gretzky, Martin Brodeur, Patrick Roy. Wow ! C’était un rêve d’enfant. Tout s’est bien passé… jusqu’à la finale. »

Les Américaines ont blanchi les Canadiennes 3-0. Elles avaient aussi battu les favorites 7-4 au tour préliminaire, dans un match sans conséquence.

France St-Louis : « La défaite ? Ça a été l’enfer. On a pleuré longtemps. Imagine, on avait toujours gagné. On se promenait dans le village olympique, et les autres athlètes nous disaient : “Voyons, les filles, vous venez de gagner une médaille d’argent ! Savourez le moment !” Mais nous, on voulait gagner. »

ND : « Sur le coup, on était très déçues. Pendant plusieurs jours, on a tenté de comprendre ce qui venait de se passer. De mettre ça en perspective. Toutes les filles avaient donné leur maximum. On avait tout laissé sur la patinoire. On avait eu beaucoup de chances de marquer. Sauf que la gardienne américaine a réussi des arrêts sur sa tête. Cette défaite a fait réaliser à tout le monde que le hockey féminin devenait compétitif. En fait, c’est la défaite qui a fait grandir le hockey féminin. »

L’après-défaite

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Stacey Wilson, Manon Rhéaume et Hayley Wickenheiser

Nancy Drolet : « À notre retour au pays, Hockey Canada a réalisé qu’il fallait mettre un peu plus de sous dans le programme. Que nous n’étions plus invincibles. »

France St-Louis : « Il y a eu beaucoup de remises en question. Ils ont changé le processus de centralisation. Ils nous permettaient maintenant de retourner chez nous après chaque mois et demi. Ça nous permettait de voir notre entourage. Ça a été pour le mieux. »

« J’avais alors 39 ans. Je ne pouvais pas croire que j’allais terminer ma carrière sur une défaite. Penses-y : je n’avais jamais perdu ! Je suis donc revenue pour un autre championnat du monde. J’avais 40 ans. [L’entraîneuse] Danièle Sauvageau m’a dit : “France, tes chances de faire l’équipe sont minces. Tu vas te battre pour le centre du quatrième trio.” Je n’avais aucun problème avec ça. C’est te dire à quel point c’était important pour moi de terminer sur une victoire. En 1999, on a gagné le Championnat du monde. Je l’ai vécu à 100 miles à l’heure. J’ai pu quitter mon sport sur une victoire. »

ND : « Les Américaines restaient proches de nous. En 2000, on s’est encore retrouvées en finale. Encore en prolongation. Et devine quoi ? C’est encore moi qui ai compté le but gagnant (rires) ! Au total, j’ai gagné six championnats du monde et une médaille olympique. C’est vrai, elle n’est pas de la couleur que je voulais. Mais aujourd’hui, j’ai 47 ans. Toute cette expérience sportive m’a servi. Pour trouver des solutions. Pour faire les choses autrement. Parce que c’est dans les défaites qu’on grandit le plus. »

*Les Canadiennes s’étaient inclinées deux fois contre les Américaines à la Coupe des 4 Nations, en 1996 et 1997. « Mais à l’époque, c’était un tournoi secondaire, précise Nancy Drolet. Les meilleures filles n’étaient pas toutes là. C’était une occasion pour les recrues de prendre de l’expérience sur la scène internationale. »