En septembre dernier, Hendrix Lapierre était la « saveur du mois ».

Ses 10 points en 5 matchs à la Coupe Hlinka-Gretzky suscitaient l’enthousiasme. Dans les listes d’espoirs du repêchage de 2020, son nom suivait immédiatement celui d’Alexis Lafrenière. Deux Québécois sélectionnés aux deux premiers rangs ? Du jamais-vu depuis Guy Lafleur et Marcel Dionne, en 1971.

En octobre, j’ai contacté une trentaine de gens impliqués dans la LHJMQ. Des directeurs généraux. Des entraîneurs. Des dépisteurs. Je leur ai demandé de me nommer les meilleurs hockeyeurs québécois nés en 2002. Un nom trônait au sommet de presque toutes les listes. Hendrix Lapierre.

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Hendrix Lapierre

J’ai donc contacté son équipe, les Saguenéens de Chicoutimi. Nous avons convenu d’un rendez-vous à Saguenay, le 28 novembre, pour un portrait. Mais la rencontre a dû être annulée. Le 21 novembre, lors d’un match contre les Wildcats de Moncton, Hendrix Lapierre a tenté une montée au centre de la patinoire. Au même instant, le capitaine des Wildcats, Jakob Pelletier, sortait du banc des pénalités. Lapierre n’a jamais vu Pelletier sur son chemin. Les deux sont entrés en collision. La tête de Lapierre a encaissé le choc.

Commotion cérébrale.

Sa deuxième en un mois.

Sa troisième en huit mois.

Depuis, l’attaquant des Saguenéens ne joue plus.

Je l’ai croisé lundi soir au Centre Bell. Plus de 80 jours après la mise en échec, il a bonne mine. Je lui ai demandé s’il pensait revenir au jeu cette saison. Sa réponse a été honnête.

« Je n’en ai aucune idée. Je dirais que ça s’en va dans la bonne direction. Je n’ai pas eu de maux de tête depuis un très, très, très bon bout de temps. Je me sens super bien. Mais on veut juste être sûrs de prendre toutes les précautions nécessaires. »

Peut-être une décision risquée pour son rang de sélection.

Mais assurément la bonne pour sa santé à long terme.

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Est-ce la première fois qu’un des meilleurs espoirs subit une blessure sérieuse l’année de son repêchage ?

Non. Mais ce n’est pas fréquent non plus. Parmi les cas les plus connus : 

> Nolan Patrick (2e au total, 2017) était pressenti pour être le premier joueur choisi. Il a raté la moitié de la saison en raison d’une hernie.

> Nail Yakupov (1er choix au total, 2012) a été tenu à l’écart du jeu pendant plus de 20 matchs à la suite d’une commotion cérébrale et de maux de dos.

> Alex Galchenyuk (3e choix au total, 2012) n’avait disputé que deux rencontres en saison à cause d’une blessure à un genou.

> Andrei Kostitsyn (10e choix, 2003) n’avait joué qu’une vingtaine de parties, en raison de problèmes de dos notamment.

Maintenant, des joueurs de premier plan qui ont subi trois commotions dans les mois qui ont précédé la séance de repêchage ? Je n’en ai pas trouvé d’autres. On navigue en eaux inconnues. Dans les circonstances, les proches d’Hendrix Lapierre prônent la patience.

Le jeune homme est bien entouré. D’abord, par sa famille. 

« J’ai entièrement confiance en mes parents. Ils sont là depuis le début pour moi. Les deux sont statisticiens au gouvernement. Ma sœur écrit des romans depuis l’âge de 9 ans. Nous sommes quand même une famille d’intellos, si je peux dire. L’école, c’est important. On est une famille relaxe, humble, sensée. J’ai grandi avec ces valeurs-là. C’est très important pour moi. »

Dans son cercle rapproché, il y a aussi le personnel des Saguenéens. Son agent Philippe Lecavalier, chez qui il habite l’été pendant son entraînement. Son neuropsychologue. Sa kinésiologue. Son physio vestibulaire. La physio de l’équipe. « Chacun apporte son expertise dans son domaine pour qu’on prenne une décision éclairée », explique-t-il.

Dans les prochaines semaines, il doit aussi parler avec Patrice Bergeron, des Bruins de Boston. Les deux sont représentés par la même agence. « Lui aussi a subi plusieurs commotions. Il est quand même le meilleur centre défensif de la Ligue nationale. C’est un bon modèle pour moi. J’ai bien hâte de recevoir ses conseils. »

Il reste que malgré tout l’amour et le soutien, les derniers mois ont été difficiles.

« C’est sûr que je suis déçu. Lorsque j’ai subi ma deuxième commotion [le 23 octobre], je savais que ce n’était pas si gros. J’avais des petits maux de tête. Je suis revenu au jeu après neuf jours. J’ai manqué la série Canada-Russie [entre les meilleurs espoirs des deux pays]. C’était un peu plate. Mais au hockey, on ne contrôle pas tout ce qui arrive. »

Par contre, la troisième commotion — celle du 21 novembre — a sapé son moral.

« Les jours qui ont suivi, j’étais plus émotif. Pas triste. Je dirais plutôt frustré. J’ai mal réagi. J’aime tellement ça, jouer, que de savoir que j’avais une autre commotion, ce n’était pas l’idéal. Depuis, j’ai pris un peu de recul. Ça fait deux mois et demi [que je ne joue plus]. Mais je m’entraîne avec l’équipe. Je fais les exercices hors glace. Ça fait longtemps que je patine. Je fais tout régulièrement… sauf jouer. »

De toute évidence, cette absence le ronge.

C’est normal.

Au hockey — et dans le sport en général —, jouer en dépit des blessures est perçu comme une forme de courage. De sacrifice. 

C’est le socle de plusieurs légendes. De Newsy Lalonde, qui patinait avec un crâne fracturé, à Patrice Bergeron, qui a disputé une finale de la Coupe Stanley avec une côte brisée et une épaule démantibulée.

Or, la décision d’Hendrix Lapierre est tout aussi courageuse.

Dans un moment clé de sa carrière, l’adolescent fait preuve de sagesse. Il privilégie sa santé à long terme à la gloire éphémère d’une sélection hâtive au Centre Bell, en juin prochain. Un choix intelligent. Difficile. Réfléchi. Soutenu par ses proches, son agent et son équipe.

Voilà qui mérite d’être souligné à gros traits.