« La Ligue nationale n’est pas une ligue de développement », entend-on souvent. La formule vient souvent d’entraîneurs qui se font questionner sur l’utilisation de leurs recrues.

Cette formule a du sens, d’autant plus qu’il existe un truc qui s’appelle la Ligue américaine, qui assume pleinement son titre de « ligue de développement ».

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La formule mériterait toutefois qu’on y appose deux astérisques, et la victoire de 3-1 du Canadien contre les Sabres, jeudi, exposait clairement ces deux exceptions. Allons-y donc.

La LNH n’est pas une ligue de développement. *

* : Sauf quand une équipe est exclue de la course aux séries.

De l’extérieur, le Canadien semble bel et bien exclu de cette course. Avec la victoire de jeudi, le Tricolore se retrouve à huit points des séries, mais ses adversaires ont toujours ces satanés matchs en main. La fiche de 5-2-0 dans les sept derniers duels n’a donc guère permis au CH de progresser au classement. Pour reprendre la géniale métaphore de l’auteur et lecteur de La Presse + Philippe Navarro, « c’est comme marcher vers l’horizon, qui est à “seulement” 30 km. On ne l’atteint jamais. »

PHOTO TIMOTHY T. LUDWIG, USA TODAY SPORTS

Le gardien des Sabres Carter Hutton

Mais de l’intérieur, il y a une personne dont le travail est de déterminer si l’équipe est encore dans la course ou pas : Marc Bergevin. En tant que directeur général, c’est lui qui voit à la gestion à long terme de l’équipe. Faire jouer les jeunes, échanger les vétérans, viser la queue du classement, ce sont ses décisions. Et à entendre Claude Julien justifier, après le match, le retrait de la formation de Jesperi Kotkaniemi, on comprend que Bergevin croit encore que son équipe a une chance.

« Pour l’instant, on vise la victoire, on essaie de se remettre dans la course. Tu dois y aller avec tes meilleurs joueurs. Ce n’est pas qu’il n’est pas un bon joueur, mais il a de la difficulté. On parle de la guigne de la deuxième année, il a eu deux blessures, il n’a pas trouvé son élan encore. »

« C’est une décision difficile. Ce n’est pas de nuire au développement d’un joueur, mais tu dois prendre des décisions en conséquence de ce que tu dois faire comme équipe. J’ai mis la meilleure formation possible pour ce match-ci. »

Kotkaniemi connaît en effet des difficultés. Depuis son retour au jeu, il n’a que 3 points en 14 matchs, avec un différentiel de-5.

Phillip Danault est immuable au centre. Nick Suzuki s’améliore sans cesse à cette position. Max Domi n’affiche pas le même enthousiasme à l’aile, et il a amassé 72 points au centre l’an dernier, malgré ses carences défensives. Les trois premières cases sont donc remplies. Et au centre du quatrième trio, Nate Thompson a des missions défensives pour lesquelles un joueur de 19 ans n’est pas prêt.

PHOTO JEFFREY T. BARNES, AP

Nate Thompson (44) et Carey Price (31)

Par contre, la place d’un joueur de 19 ans n’est pas sur la passerelle non plus. L’excuse de ‘regarder le jeu d’en haut pour mieux comprendre’, on veut bien, mais Kotkaniemi a raté 15 matchs sur blessure cette saison. Il en a vu, des matchs, d’en haut. Idem pour Cale Fleury, rayé de la formation pour une quatrième rencontre de suite jeudi.

Si Julien ne peut pas faire jouer Kotkaniemi, c’est à Bergevin d’agir. Et le Rocket, dans la ligue de développement susmentionné, ne regorge pas de futures vedettes au centre. Il y aurait certainement de la place pour le numéro 15. En attendant de voir ce qui se passe ‘en haut’.

Le cas Suzuki

Continuons. La LNH n’est pas une ligue de développement. *

* : Sauf quand un jeune peut se développer en étant utile à l’équipe.

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Nick Suzuki (14)

C’est ici que Suzuki entre en jeu. Aux yeux de ses détracteurs, Julien n’a aucune confiance en la jeunesse. Si tel est le cas, il a visiblement oublié que Suzuki est une recrue !

Suzuki a continué d’épater la galerie jeudi. La relâche lui a manifestement fait le plus grand bien. « Avant la pause, je ne jouais pas au niveau auquel je m’attendais. Je suis revenu revigoré et ça va mieux depuis deux matchs », a-t-il dit.

Le jeune homme de 20 ans a terminé sa soirée avec deux passes. Détail pas anodin : il a obtenu sa deuxième mention d’aide sur le but d’assurance, inscrit avec moins de deux minutes à jouer, quand le Tricolore menait par un, et que les Sabres attaquaient à six. Comme Julien dit gérer pour gagner, on comprend qu’il n’a pas délégué Suzuki pour lui donner de l’expérience ; il l’a fait parce qu’il le juge apte à remplir ce rôle. Cette capacité qu’il a à apprendre tout en jouant épate d’ailleurs Danault.

« S’il n’était pas capable, il ne serait pas ici et il ne performerait pas à ce niveau-là. Sa performance, match après match, en dit long sur le joueur qu’il est. Il va devenir un excellent joueur », a dit le Québécois.

Bergevin a eu la main heureuse en obtenant Suzuki (en plus de Tomas Tatar) contre Max Pacioretty, car il s’est trouvé un centre qui connaîtra visiblement une belle et longue carrière. Les transactions ont toujours été sa force. Le repêchage, un peu moins. C’est pourquoi sa gestion du dossier Kotkaniemi sera cruciale pour son héritage. Car pour des raisons évidentes, un DG a rarement plusieurs chances de repêcher dans le top 3

Dans le détail : un trio d’observations sur le match

La main heureuse

Claude Julien avait une décision intéressante à prendre avec le retour de Brendan Gallagher : le remettre avec Phillip Danault et Tomas Tatar, ou y laisser Ilya Kovalchuk ? C’est finalement Kovalchuk qui a écopé, mais le prix de consolation n’était pas mal : un retour à sa position naturelle-l’aile gauche-et un trio avec Nick Suzuki et Joel Armia. Au bout du compte, Gallagher ET Kovalchuk ont marqué ! Cela dit, dans la mesure où Kovalchuk pourrait être échangé, il n’est pas fou que l’équipe montre ce dont il est capable avec d’autres partenaires, puisque son échantillon de succès cette saison est très mince. S’il continue à produire ainsi, il aidera Marc Bergevin. Souhaitons toutefois au DG que les nombreux recruteurs sur place étaient partis se chercher des bonbons quand le Russe a remis la rondelle à l’adversaire en zone défensive deux fois en l’espace de cinq secondes en deuxième période.

Skinner, le grand perdant

Les Sabres ont réussi un vol l’an dernier en obtenant Jeff Skinner contre trois choix au repêchage et un espoir anonyme. L’ailier a profité de son nouveau départ pour inscrire 40 buts. C’est là que ça se complique. Les Sabres lui ont ensuite offert 72 millions pour 8 ans, mais le nouvel entraîneur-chef, Ralph Krueger, préfère que Skinner et Jack Eichel évoluent au sein de trios différents, si bien que Skinner est en panne, avec 11 buts en 40 matchs. Jeudi, il a amorcé le match en compagnie des vétérans Marcus Johansson et Michael Frolik. Skinner n’a pas perdu ses qualités ; son coup de patin lui a permis de provoquer une punition à Danault, et il a failli inscrire son 12e filet de la saison en première période, mais a tiré sur le poteau. Krueger a réuni Skinner et Eichel en troisième période et-tiens donc-Skinner a pratiquement eu droit à une échappée, grâce à une longue passe d’Eichel…

La tête basse…

Il y a beaucoup de détails à assimiler pour tout joueur qui débarque chez les professionnels. Apprendre à jouer la tête levée en est certainement un. Ryan Poehling s’est encore une fois fait brasser jeudi. L’attaquant a été victime d’une bonne mise en échec de Rasmus Ristolainen, un défenseur qui ne se gêne jamais pour cogner ses rivaux. Poehling, rappelons-le, a été victime d’une commotion cérébrale dans le calendrier préparatoire, et a eu l’air d’une piñata certains soirs, notamment lors du dernier match avant la pause, contre Vegas. Voilà un aspect du jeu où son joueur de centre, Nate Thompson, pourrait l’aider au cours des prochaines semaines.

En hausse : Brett Kulak

Il y a rarement de zones grises avec Kulak cette saison. Il est soit très bon, soit très mauvais. Cette fois, c’était sa bonne version, celle qui patine bien avec la rondelle et qui brise des jeux de l’adversaire.

En baisse : Marco Scandella

Son retour à Buffalo a été souligné sans amour, par une courte mention de l’annonceur-maison entre deux arrêts de jeu. Ça n’a été guère plus mémorable sur la patinoire. À sa défense, il était un cas incertain avant le match.

Le chiffre du match : 0-8-4

C’est la fiche du gardien des Sabres Carter Hutton à ses 12 derniers départs. Il s’est bien défendu jeudi malgré la défaite. Mais en l’absence de Linus Ullmark, une victoire lui ferait le plus grand bien.