(Ottawa) Lorsqu’un joueur est échangé, son premier match dans son ancien amphithéâtre est toujours un moment attendu.

Ainsi, la transaction P.K. Subban-Shea Weber avait donné lieu à deux épisodes du genre. Weber ne s’était jamais montré aussi ému – du moins en public – que lors de son retour à Nashville. Et comment oublier le premier match de Subban au Centre Bell dans l’uniforme des Predators ?

Le retour d’Andrew Shaw à Montréal n’aurait sans doute pas eu un tel retentissement, car le fougueux attaquant n’a pas eu un effet comparable à celui des deux joueurs ci-nommés. Mais il était néanmoins un membre populaire du Canadien des trois dernières saisons, tant chez les partisans que chez ses anciens coéquipiers.

« Il a beaucoup d’énergie. Il parlait toujours dans le vestiaire, le matin, le soir, peu importe. C’est vraiment un bon Jack, a résumé l’attaquant Phillip Danault. Sur la glace, il jouait dur, il donnait tout pendant 60 minutes. Il jouait peut-être même trop dur. Quand il est parti, ça a fait un petit vide. »

Mais les retrouvailles n’auront pas lieu pour le moment. Mercredi soir, quand les Blackhawks de Chicago affronteront le Canadien à Montréal, il n’y aura pas de numéro 65 dans leur formation. Shaw souffre d’une commotion cérébrale, la quatrième qui lui est diagnostiquée en carrière. Il manque à l’appel depuis le 30 novembre et n’a pas recommencé à patiner.

« Son statut n’a pas changé. Nous n’avons toujours pas d’échéancier pour son retour au jeu », a reconnu l’entraîneur-chef des Blackhawks, Jeremy Colliton, avant le match de mardi à Ottawa.

Le cercle vicieux

On parlait de ses quatre commotions, mais Shaw a aussi subi une blessure au cou pendant son séjour à Montréal. C’est sans oublier une blessure à un genou qui lui a valu une opération en avril 2018, opération qui devait théoriquement lui faire rater le début de la campagne suivante. Non seulement Shaw avait-il battu l’échéancier et disputé le premier match, mais en plus il allait connaître la meilleure saison de sa carrière, avec 47 points (19 buts, 28 aides) en 63 matchs.

Même s’il était hypothéqué, Shaw a joué de la seule façon qu’il connaît : la pédale au plancher. C’est d’ailleurs de cette façon qu’il jouait encore à Chicago au moment de se blesser, même si sa production (10 points en 26 matchs) était en baisse.

Il traîne des coéquipiers avec lui à la guerre, que ce soit à l’entraînement ou dans un match. Il soutire le maximum de tout le monde.

Jeremy Colliton, entraîneur-chef des Blackhawks de Chicago

Parlez-en à Max Domi. Les deux ont été jumelés une bonne partie de la saison 2018-2019 et ont chacun connu leur meilleure saison. Domi a amassé 72 points.

« C’est un excellent coéquipier qui se donne à chaque présence, donc tu sais à quoi t’attendre avec lui. Et il veut gagner. Ces caractéristiques, les gars qui ont ça vont t’aider à gagner des championnats, et il l’a prouvé. Il me manque au quotidien », a décrit Domi.

Le problème, c’est que, pour jouer ainsi, il devait se donner corps et âme. Shaw ne possède pas le plus grand talent naturel – il a d’ailleurs été repêché à sa troisième année d’admissibilité – ni le physique le plus enviable, à 5 pi 11 po et 182 lb. Ce qui lui manquait en talent ou en musculature, il l’avait en intensité et en témérité. C’est pourquoi il a livré 20 combats et semblait toujours être au cœur des échauffourées.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Andrew Shaw a passé trois saisons dans l’organisation du Canadien.

Mais les commotions qui en résultaient laissaient des traces. Shaw avait passé une bonne partie de la saison morte 2017 à combattre des symptômes de commotion, allant de la dépression à l’anxiété. « Il y a une vie à l’extérieur du hockey. Tu as une famille et des amis », a confié Shaw au confrère Eric Engels, de Sportsnet, en septembre 2017. « Je veux passer du temps avec mes enfants. Si tu te pousses trop, tu vas connaître des difficultés plus tard dans la vie. »

Le dilemme sautait aux yeux. En jouant ainsi, Shaw se mettait à risque. Mais c’était aussi sa façon d’être efficace.

« S’il ne jouait pas comme ça, ce serait plus difficile, a rappelé Danault. C’est dur de changer le style d’un joueur. Et même s’il s’adapte, il peut quand même recevoir un coup et se blesser. Tu deviens fragile. Il a fait ce qu’il avait à faire, il a gagné deux Coupes Stanley, il a joué dur en “tabarnouche”. »

Inquiétudes

Avec le triste résultat que l’on connaît aujourd’hui. On aurait souhaité vous donner des nouvelles de première source, mais les Blackhawks ont refusé de rendre Shaw disponible pour une entrevue au téléphone.

On parle à ceux qui sont proches et on se demande légitimement si, à 28 ans, sa carrière est compromise. L’est-elle ? Réponse de l’entraîneur Colliton : « Évidemment, avec ses antécédents, c’est toujours inquiétant. Tout ce qu’on peut faire, c’est être patients. »

Danault avait parlé à Shaw deux jours avant notre entretien. « C’est inquiétant. La santé, ça doit prendre le dessus, indique le Québécois. Tu dois prendre des décisions, faire attention à ta tête. Après ta carrière, tu n’as plus le hockey, mais tu as encore ta tête, donc c’est important d’en prendre soin. C’est décevant, mais il doit prendre la bonne décision. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Plus facile à dire qu’à faire, évidemment, surtout pour un passionné comme l’est Shaw.

Dan Carcillo est lui aussi proche de Shaw et a discuté avec lui récemment. Retraité du hockey depuis 2015, il est très sensible aux enjeux de santé mentale touchant les anciens joueurs.

« Je suis préoccupé par Andrew en tant que personne, peu importe ce qui se passe avec sa carrière, dit Carcillo au bout du fil. On connaît l’historique des Blackhawks, qui ont donné le feu vert à Steve Montador [ancien joueur mort en 2015] pour 4 commotions en 12 semaines. Ils se font poursuivre, donc je crois qu’ils sont maintenant plus prudents, ce qui est une bonne chose. C’est ce que font les recours juridiques ; ça force les gens à être prudents. »

Je suis content qu’Andrew ne joue pas en ce moment, car seul le temps guérit le cerveau.

Dan Carcillo

« Je me sens mal pour Andrew, car il a un jeune enfant, et ils en attendent un deuxième, poursuit Carcillo. J’ai simplement voulu lui montrer, en tant qu’ami et frère, ce que disait la science au sujet du cerveau, afin qu’il prenne une décision éclairée. »

Dans le vestiaire des Blackhawks, Corey Crawford sait très bien ce que vit Shaw. Le gardien québécois a été limité à 68 matchs au cours des deux dernières saisons en raison de commotions. Peut-être parce qu’il a recouvré la santé, il se montre toutefois plus optimiste pour son coéquipier.

« C’est plus pour la vie après le hockey [que je m’inquiète] », a expliqué Crawford, après l’entraînement de mardi à Ottawa. « Mais tu ne sais jamais. La tête, on ne sait pas tout ce qui se passe. Peut-être qu’il va se sentir bien et revenir jouer six autres années. On ne le sait pas. On pense à lui et on espère qu’il va aller mieux. »