Ainsi donc, Ilya Kovalchuk portera le chandail du Canadien de Montréal. Si la nouvelle était tombée le 3 janvier 2010, une partie du centre-ville aurait spontanément pris feu. Le 3 janvier 2020, c’est autre chose.

Marc Bergevin ne se berce pas d’illusions : à 36 ans, Kovalchuk « n’est plus le joueur qu’il a déjà été », a convenu le directeur général du Tricolore. Plusieurs fois, vendredi, il a insisté : cette embauche, pour une seule saison, moyennant 700 000 $, est « sans risque ».

Lisez le compte-rendu du point de presse de Marc Bergevin

Et c’est parfaitement exact, d’autant plus que l’entente est à deux volets. Si, d’aventure, l’ailier était cédé au Rocket de Laval dans la Ligue américaine, il n’empocherait que 70 000 $ — la moitié moins, même, car nous voilà déjà à la mi-saison. Au pire, il sera une note de bas de page dans les livres comptables du Canadien si les choses vont vraiment très mal pour lui.

Au mieux, il rendra en effet service à une équipe décimée par les blessures. Brendan Gallagher ratera quelques rencontres en raison d’une commotion cérébrale subie le 31 décembre en Caroline. Jonathan Drouin, Joel Armia et Paul Byron, eux, ne reviendront pas au jeu avant la fin du mois. Cette « tape dans le dos », pour reprendre les mots de Phillip Danault, tombe donc à point. Avec Kovalchuk, « on n’a rien à perdre », a fait remarquer Bergevin, réitérant son credo selon lequel il ne sacrifierait pas de jeunes joueurs de l’organisation pour obtenir de l’aide à court terme.

Mais quelle version de l’ex-superstar verra-t-on sur la glace du Centre Bell ? C’est là que c’est plus flou.

Le Russe n’a pas joué depuis le 9 novembre dernier. Il a d’abord été écarté de la formation des Kings de Los Angeles, l’une des pires équipes de la LNH. Ironiquement, sa dernière rencontre a été disputée contre le Canadien. D’un avis largement partagé, il avait été l’un des pires joueurs de son camp.

PHOTO ERIC BOLTE, USA TODAY SPORTS

Ilya Kovalchuk (17) contre le Canadien, le 9 novembre dernier

Une fois que son boni de 2,65 millions lui a été versé — il lui était dû le 15 décembre —, les deux parties ont convenu qu’il était temps de mettre fin à leur association. Il n’a pas été réclamé au ballottage et son contrat a été résilié.

À l’évidence, Bergevin est déjà dans la gestion des attentes. « Il n’y a pas de joueur parfait », a-t-il rappelé. « Il est très motivé », a-t-il assuré. « Il sait que c’est sa dernière chance » de jouer dans la LNH, a-t-il reconnu. En anglais, il a ajouté que l’ex-gloire des Thrashers d’Atlanta devrait « acheter » le système de jeu préconisé par Claude Julien.

Doute

C’est précisément cet élément qui sème le doute. Nate Thompson, ancien coéquipier de Kovalchuk à Los Angeles, a eu beau répéter à quel point c’est un « bon gars qui travaille fort », la question se pose : comment l’ancien des Thrashers et des Devils trouvera-t-il sa place dans une équipe dirigée par Claude Julien ? L’entraîneur-chef mise sur une formation rapide au sein de laquelle l’effort collectif et la responsabilité individuelle sont presque une religion.

Or, à son sommet en carrière, le Russe n’était pas un artiste du repli défensif. Apparemment, il ne l’est toujours pas.

Depuis son retour dans la LNH, la saison dernière, Kovalchuk affiche un indice Corsi de 45,8 %. Cette valeur, révélatrice de la possession de la rondelle, représente le ratio entre les tentatives de tir de son équipe lorsqu’il est sur la glace et celles des deux équipes combinées. On peut y voir un indicateur, peut-être pas parfait, mais néanmoins appréciable de l’allure du jeu lorsqu’un joueur est sur la patinoire.

Pour fins de comparaison, un spécialiste du jeu défensif comme Phillip Danault a obtenu une cote de 57,5 % depuis octobre 2018. À 45,8 %, Kovalchuk serait le tout dernier de la classe parmi les attaquants réguliers du Canadien.

En une saison et demie chez les Kings, Kovalchuk a joué pour trois entraîneurs différents et récolté 43 points en 81 matchs tout en présentant un différentiel cumulé de -36. Bergevin et Thompson ont insisté sur le fait que parfois, les choses ne fonctionnent tout simplement pas pour un joueur dans une équipe donnée. L’observation est tout à fait valable — Thompson a donné son propre exemple chez les Sénateurs d’Ottawa, avec qui il n’a disputé que 43 matchs avant d’être échangé aux Kings en 2018. On pourrait aussi penser à Tomas Tatar, qui a perdu ses moyens pendant son court passage chez les Golden Knights de Vegas.

Mais une analyse du site web The Athletic, publiée après la résiliation du contrat de Kovalchuk en décembre, dresse un constat dur et sans appel.

Dans un amalgame de témoignages recueillis à travers la ligue, les journalistes écrivent que les joueurs des Kings « appréciaient les gars qui peuvent jouer dans les deux sens de la patinoire ou qui marquent suffisamment de buts pour aider l’équipe à gagner ». « Kovalchuk n’a fait ni l’un ni l’autre », concluent-ils.

Lisez l’analyse complète (en anglais)

Un marqueur ?

Ce qui nous amène invariablement à une autre question : Kovalchuk peut-il encore marquer des buts avec régularité ? Là aussi, c’est loin d’être clair.

La saison dernière, la première après son exil de cinq ans en Russie, il a marqué 17 buts en 64 matchs, ce qui équivaut à une projection de 22 buts sur une campagne de 82 rencontres. Ça n’a rien à voir avec ses saisons de 50 buts des années 2000, mais ce n’est pas si mal non plus.

Mais est-ce suffisant pour un joueur unidimensionnel, identifié comme un pur marqueur ?

En plus de Thompson, Bergevin a consulté son adjoint Scott Mellanby, qui a côtoyé Kovalchuk pendant deux saisons à Atlanta. Il a également parlé à Rob Blake, son homologue chez les Kings. Tous ont eu de bons mots pour lui.

Bob Hartley, son entraîneur pendant quatre ans chez les Thrashers, s’est confondu en éloges sur les ondes du 91,9 Sports, décrivant « une personne encore meilleure que le joueur de hockey ». Son ancien protégé est devenu un ami personnel.

On dit de lui qu’il travaille comme un bourreau au gymnase. Les jeunes joueurs du Canadien sont fébriles à l’idée de jouer avec leur joueur préféré de NHL 08. Après tout, Kovalchuk, avec deux saisons de 52 buts et un trophée Maurice-Richard, a terminé au deuxième rang des buteurs de la LNH au cours de la décennie 2000, et ce, en dépit du fait qu’il évoluait pour une équipe d’expansion. Son jeu n’a plus l’éclat d’antan, mais il a longtemps appartenu à la courte liste des joueurs les plus spectaculaires du circuit.

Il est vrai que les « risques » liés à son arrivée à Montréal sont quasi nuls. Cela n’empêche pas que les indicateurs de succès sont au plus bas. Après Ales Hemsky, Mark Streit et Alexander Semin, les partisans du Tricolore commencent à connaître la chanson.

Laissons tout de même libre cours à l’expérience avec ce « bon gars », peu importe qu’elle se mesure en mois, en semaines ou en jours.

Ilya Kovalchuk en bref

• Ailier gauche né le 15 avril 1983 à Tver, en Russie
• Mesure 6 pi 3 po et pèse 222 lb
• 1er choix au total du repêchage de 2001 par les Thrashers
• À Atlanta, il récolte 615 points, dont 328 buts, en 594 matchs.
• Échangé aux Devils du New Jersey en 2010, il signe un contrat monstre l’été venu : 100 millions pour 15 ans.
• Il quitte l’équipe pour la Russie après trois saisons.
• Chez les Devils, il amasse 201 points, dont 89 buts, en 222 matchs.
• De retour en Amérique du Nord en 2018, il signe une entente de trois ans et 18,75 millions avec les Kings de Los Angeles.
• Kovalchuk et les Kings mettent fin au contrat le 16 décembre 2019.
• Il signe une entente de 700 000 $ à deux volets avec le Canadien le 3 janvier 2020.
• Il a participé aux Jeux olympiques à cinq reprises avec la Russie, remportant l’or en 2018 à PyeongChang.