Comme bien des jeunes Québécois le font en ce moment, Daniel Jacob regardait le Championnat du monde junior pendant son congé scolaire de Noël.

Et comme une infime minorité de ces jeunes, celui qui est aujourd’hui entraîneur adjoint avec le Rocket de Laval a pu vivre son rêve : il a participé au Championnat du monde de hockey, pas une, mais deux fois.

Bon… C’était d’abord dans la troisième division (D2). Puis en deuxième division (D1). Au niveau sénior, pas junior.

Ah… Et il ne jouait pas pour le Canada, mais plutôt pour la Serbie.

Mais l’expérience serbe a été fructueuse sur tous les plans. Il a vécu une grande expérience de hockey, il y a rencontré sa femme, Danica, et est reparti de là avec un passeport. Aujourd’hui, Daniel Jacob garde des liens très étroits avec son ancien pays d’adoption.

Charrettes et BMW

Le hockey professionnel se pratique généralement dans des régions où le niveau de vie est relativement élevé. Jacob, d’ailleurs, a disputé une saison en Suède après sa carrière universitaire de quatre ans à McGill.

Puis, en 2006, il est débarqué en Serbie, sur recommandation d’un autre joueur de McGill, Marko Kovacevic. Son nouveau chez-soi était à Novi Sad, deuxième ville en importance du pays. Une jolie place, de prime abord. « Un mini-Prague ! décrit Jacob. C’est une ville universitaire, il y a une forteresse, une église magnifique au centre-ville. Il y a des influences austro-hongroises et turques. De petites rues en pierre. Tout est beau ! »

Mais la Serbie vient aussi au 38e rang (sur 43 pays) en Europe pour l’indice de développement humain de l’ONU, qui mesure la qualité de vie. Jacob a vite constaté qu’il mettait les pieds dans une société en proie à de grandes inégalités sociales.

« Je me souviens, on arrive à une intersection, à la lumière, il y avait un gipsy avec son cheval ou son âne, et juste à côté, une BMW. C’est un monde de contrastes. Ça nous a frappés, on est habitués à avoir une classe moyenne. On s’est vite rendu compte qu’on gagnait bien notre vie dans le pays. »

Sans donner de chiffres, Jacob explique que « pour le Canada, on gagnait un salaire moyen, bien correct. Mais notre médecin d’équipe était aussi chirurgien pour les enfants. Et on gagnait plus que lui ! C’est-tu gênant ? »

Le choc culturel était autant au quotidien qu’à l’aréna. La Serbie n’est évidemment pas un berceau du hockey. Le plus récent rapport annuel de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF) nous apprend qu’il y a 4 patinoires dans le pays et qu’on y compte en tout 714 joueurs, pour un pays de 7,2 millions d’habitants. À titre comparatif, le Canada compte 7800 patinoires et 600 000 joueurs, selon ce même rapport.

« Tu fais vite le saut. Les heures de glace, ce n’était pas un problème, vu que le sport n’est pas très populaire, rappelle-t-il. Culturellement, c’est assez différent. L’entraînement à 8 h, ce n’est pas tellement grave si ça commence à 8 h 25 ! »

Selon Daniel Jacob, ce côté bancal explique d’ailleurs pourquoi les joueurs étrangers qui s’y ancrent sont rares. « Il y a des retards, la zamboni brise, le chèque ne rentre pas la journée prévue. La Serbie, ce n’est pas tout croche, mais il n’y avait pas de dépôt direct, disons. C’est peut-être plus dur pour ceux qui jouent davantage pour l’argent. »

Un programme pour les jeunes

On le comprend assez vite : Daniel Jacob ne jouait pas « pour l’argent ». Sa saison en Suède l’avait laissé sur sa faim, et il recherchait une véritable expérience de vie en se rendant en Serbie, en compagnie de son ami Marc-André Fournier, un autre ancien de McGill.

« Le deal breaker, c’était qu’on s’occupe d’un programme pour les jeunes. En Suède, j’avais trouvé ça redondant de simplement me lever et aller à l’aréna. J’aurais aimé m’impliquer plus. »

Jacob a donc pu fournir de l’équipement de hockey aux jeunes du pays, tantôt par le programme Goals & Dreams de la LNH et de l’Association des joueurs, tantôt par une initiative de son alma mater.

« On a gagné 20 poches d’équipement CCM [via Goals & Dreams]. McGill nous a envoyé 10 poches d’équipement. Même si c’était usagé, c’était de la super bonne qualité, parce qu’un patin plus bon ici est encore bon là-bas. On aidait les jeunes en anglais, et eux nous aidaient en serbe. »

PHOTO FOURNIE PAR DANIEL JACOB

Lors d’un tournoi U12 à Bled, en Slovénie

Parce que oui, Jacob y a appris le serbe, qu’il parle encore aujourd’hui, pour la simple et bonne raison qu’il a rencontré sa conjointe là-bas, qu’ils y possèdent une maison et qu’ils y retournent chaque année pour visiter la famille.

« Je me débrouille très, très bien. Par contre, il y a sept temps de verbe, et pour ça, je n’ai encore aucune compréhension, donc je fais beaucoup d’erreurs ! C’est erratique, mais je me fais comprendre. Mon gars le parle, et pour nous, c’est important qu’il puisse communiquer avec ses grands-parents. Il rit de moi tellement il parle bien ! Ma femme lui parle en serbe à la maison. »

Un passeport serbe « tout chaud »

Ce qui nous ramène au Championnat du monde 2009. Aux yeux de l’IIHF, pour qu’un joueur puisse changer de nationalité, il doit être citoyen du pays qu’il vise et doit avoir joué au moins deux saisons de suite dans ledit pays (quatre saisons pour les joueurs qui ont déjà représenté un autre pays sur la scène internationale).

Alors Daniel Jacob a rempli ces conditions. « Sinon, je suis certain qu’ils auraient trouvé un moyen ! lance-t-il en riant. On avait été à Belgrade pour présenter notre cas. Novi Sad était la ville organisatrice du tournoi et le propriétaire de notre club s’occupait de l’équipe nationale. C’était important pour lui. Une heure avant le dévoilement des formations, on est revenus de Belgrade avec nos passeports tout chauds ! »

On le disait, ce n’était évidemment pas le niveau le plus relevé. Mais opposée à la Chine, à la Corée du Nord, à l’Islande, à Israël et à l’Estonie, la Serbie a terminé au premier rang de son groupe, obtenant ainsi une promotion en deuxième division.

En 2010, les Serbes sont donc débarqués à Tilburg, aux Pays-Bas, dans un groupe qui comporte les Pays-Bas, l’Ukraine, le Japon, la Lituanie et l’Autriche. Impossible de retrouver les résultats de source officielle, les archives de l’IIHF étant inaccessibles. Selon Wikipédia, la Serbie aurait toutefois perdu son premier match 13-0 contre l’Autriche. Vraiment ?

« Oui, monsieur ! On arrivait là le chest bombé. Mais l’Autriche, c’était du sérieux. Et le responsable de l’équipement nous avait commandé des bâtons de roller hockey ! Ils avaient 70 de flexC’étaient des spaghettis ! »

Mais bon, Daniel Jacob n’a donc aucune amertume quand il raconte l’évènement. À la base, c’est justement ce côté rudimentaire qui l’avait attiré en Serbie. Et c’est ce qui lui permet aujourd’hui d’enseigner des leçons de vie à son fils, Teodor.

PHOTO FOURNIE PAR DANIEL JACOB

Teodor et Danica, l’hiver dernier, à Novi Sad

« Mon gars est retourné là-bas pendant la relâche, juste avant la pandémie, pour visiter ses grands-parents. Il y avait un tournoi amical à Novi Sad. Mon gars a amené ses patins et il a pu y participer, mais ils lui ont prêté le reste de l’équipement. Sa première réaction en voyant l’équipement : ‟Ben là, c’est quoi ça ?" C’était un beau reality check pour mon gars. J’étais content qu’il le voie, qu’il le vive. »