Le 14 décembre 2011, le Wild du Minnesota affronte les Blackhawks de Chicago.

Disputant seulement son deuxième match au terme d’une convalescence d’un mois, Guillaume Latendresse se sent tout feu tout flamme et frappe pratiquement tout ce qui bouge.

Après une dizaine de minutes, il a l’impression que sa tête est prise dans un étau. Il est confus, ne sait plus comment se positionner sur la glace. Puis, l’entracte venu, il s’assied sur une table dans le vestiaire, se couvre la tête et fond en larmes. « Sans savoir pourquoi, j’ai braillé comme un enfant de 2 ans. C’était incontrôlable. »

Cette anecdote est tirée du documentaire que la chaîne RDS consacre à Latendresse et qui sera diffusé pour la première fois mercredi soir. On y retrace la carrière du Québécois, de ses premiers coups de patin jusqu’à sa retraite prématurée quelques jours avant son 26e anniversaire. En passant, évidemment, par son passage remarqué chez le Canadien.

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Guillaume Latendresse frappe violemment Ville Koistinen des Panthers de la Floride en 2009.

Portant le titre très à propos Dénaturé, le documentaire met l’accent sur le fait que ce marqueur prolifique a subi, à partir des rangs juniors, des pressions évidentes pour adopter un jeu délibérément physique vu son fort gabarit. On voulait qu’il soit un attaquant de puissance. Alors que lui ne voulait que marquer des buts.

« Il avait les outils pour faire vibrer les bandes et assommer ses adversaires, mais il n’avait pas la personnalité pour le faire de façon régulière », résume Dominic Ricard, son entraîneur chez les Voltigeurs de Drummondville, dans la LHJMQ.

Les attentes en ce sens se sont transportées à Montréal, où Latendresse a fait une forte impression dès son premier camp d’entraînement, à 18 ans à peine. Dès son premier match hors concours, les « Gui ! Gui ! Gui ! » ont résonné au Centre Bell. Il devient un joueur régulier la saison suivante, mais déjà, « aux cinq ou six matchs, quand je finissais une mise en échec, je voyais noir, je perdais mes jambes et j’avais mal au cœur ».

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Guillaume Latendresse, en février 2008

Les premiers signes d’une longue série de commotions cérébrales se faisaient sentir. Ils ne le quitteront plus pendant sa courte carrière de 341 matchs, divisée entre Montréal, le Minnesota et Ottawa.

L’avant-dernier match de sa carrière dans la LNH, disputé dans l’uniforme des Sénateurs contre le Canadien pendant les séries éliminatoires de 2013, se termine d’une manière qui résume malheureusement là où il en était rendu. Invité à jeter les gants par le dur à cuire Ryan White, Latendresse décline, en dépit de l’insistance de son adversaire. « Je me suis fait traiter de peureux, de poule mouillée. Mais la réalité, c’est que oui, j’avais la chienne. Pas de perdre le combat. De perdre ma vie. »

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Ryan White et Guillaume Latendresse lors des séries de 2013

Sans regret

En entrevue avec La Presse pour discuter du documentaire, Latendresse affirme n’avoir eu aucune difficulté à revisiter les moments sombres de sa carrière. « Je n’ai pas de rancœur ni d’amertume face aux situations qui sont arrivées ; je vis bien avec les décisions que j’ai prises », dit-il.

Il se doute bien que s’il avait fait ses premiers pas dans la LNH en 2020 plutôt qu’en 2006, les choses se seraient déroulées différemment pour lui. À l’époque, chez le Canadien, « il n’y avait pas de psychologue sportif, pas de suivi ». « Personne ne nous aidait. On se fiait aux vétérans, et c’est tout. Aujourd’hui, on est dans une autre ère », estime-t-il.

« Un psychologue dirait probablement à mon coach : ce gars-là a scoré des buts toute sa vie, ne lui demande pas de se battre. »

À 33 ans, l’ex-attaquant espère que son histoire influencera la manière dont les entraîneurs, « au hockey mineur et même après », traitent les joueurs. Non plus comme des copies interchangeables, mais « comme 20 individus » qui ont leurs particularités propres. « Ce n’est pas parce que tu es gros qu’il faut que tu te battes. Comme ce n’est pas parce que tu viens d’un milieu dur qu’il faut que tu te battes. »

Il faut juste prendre chaque personne pour ce qu’elle est. Moi, je ne suis pas méchant. Par mon physique, on m’a obligé à faire des choses qui ne cadraient pas avec ma personnalité. Comme si, quand j’enfilais mes épaulettes, mon casque et mes patins, je devais devenir une autre personne.

Guillaume Latendresse

Il estime d’ailleurs que c’est seulement aujourd’hui, notamment par le truchement de sa balado La poche bleue, que le public « apprend à découvrir la personne » qu’il est.

Son expérience l’aide en outre dans son travail auprès des jeunes joueurs, croit Latendresse, qui est devenu la saison dernière directeur général des Riverains du collège Charles-Lemoyne, équipe de la ligue midget AAA avec laquelle il s’est lui-même aligné de 2001 à 2003 et dont il a été l’entraîneur-chef de 2014 à 2018.

« Je ne suis plus dans la réaction, mais dans l’évaluation, explique-t-il. Mon bagage me permet de mettre à profit ma sensibilité d’une manière différente de celle des coachs, qui sont sur le terrain et qui ont la game en tête. Moi, je n’en suis plus là. Je ne serai pas fâché si un joueur a un mauvais match. »

Insistant sur le fait qu’il ne nourrit pas de regrets quant à sa carrière, il avoue qu’il aurait préféré prendre davantage son temps avec ses blessures à la tête. Du reste, il est « super fier » de son parcours. « Depuis que j’avais 12 ans qu’il y avait des attentes [à mon égard], et j’ai réussi à me rendre jusqu’à la LNH, conclut-il. Ma carrière aurait pu être plus longue sans les blessures, c’est certain. Mais ça, ça fait partie de la game. »

Latendresse : dénaturé sera diffusé le mercredi 9 décembre à 19 h 30 sur les ondes de RDS.