Dans le cadre de sa ronde d’entrevues avec les récents choix au repêchage du Canadien, La Presse est retombée sur David Wilkie, choix de premier tour du Tricolore au repêchage de 1992. Wilkie est l’entraîneur-chef des Lancers d’Omaha, dans l’USHL, et il dirige donc Jakub Dobes, gardien repêché au 136e rang par le CH le mois dernier. Retour sur le parcours d’un défenseur au potentiel intéressant.

S’il y en a un qui est bien placé pour parler de la relation amour-haine des partisans avec le Canadien, c’est bien David Wilkie.

Le 11 mars 1996, le Forum ferme officiellement ses portes. Du haut de ses neuf matchs d’expérience, Wilkie écoute les partisans ovationner Maurice Richard pendant les sept plus belles minutes du hockey à Montréal.

« C’était incroyable, c’était tellement bruyant, s’exclame Wilkie, au bout du fil. Les gens avaient beaucoup de respect pour le Rocket. Avec le Canadien, tu apprenais une certaine notion de conformité, comment on fait les choses. Quand tu as le Rocket, le Pocket Rocket, Guy Lafleur, Jean Béliveau, Jacques Lemaire, Larry Robinson, Claude Ruel, André Boudrias, Réjean Houle, Serge Savard… Tu es en admiration. Tu apprends à apprécier et à respecter le hockey. »

On recule de quatre ans. Le 20 juin 1992, toujours au Forum, c’est le repêchage de la LNH. Le Tricolore a le 20e choix, et André Boudrias, adjoint du DG, s’amène au micro. « Les Canadiens de Montréal sont privilégiés et choisissent, de Kamloops, David Wilkie. »

L’annonce est suivie par… un concert de huées !

« Je pense que les gens auraient voulu un joueur de la LHJMQ, analyse Wilkie. Mais je pense que c’était l’accumulation. Lindsay Vallis, Turner Stevenson, Brent Bilodeau et maintenant, moi. Ça faisait quatre anglos de la WHL de suite comme premier choix. Tu es intelligent, tu peux tirer tes propres conclusions ! »

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Dans son compte rendu du repêchage de la Ligue nationale de hockey, La Presse du 21 juin 1992 faisait état des huées qui avaient accueilli le premier choix du Canadien de Montréal.

Wilkie raconte le tout avec un certain détachement, pour ne pas dire un détachement certain. Il est entraîneur-chef à Omaha, au Nebraska, dans la « 16e année d’un plan de 10 ans », dit-il à la blague.

« Mon ex-femme vient d’ici. Quand on a divorcé en 2004, elle est revenue dans le coin, je suis resté en Géorgie pendant 18 mois, sans mes enfants. Ils avaient besoin de leur père, donc je suis venu ici. Ça devait être pour 10 ans, et j’en suis à ma 16e année ! Vous savez, il y a des places bien plus agréables où vivre qu’Omaha, au Nebraska. La Floride, Los Angeles, Phoenix, Charleston… Mais ici, j’ai un emploi ! »

Six opérations

Les amateurs étaient peut-être amers de la décision du CH, mais cette année-là, on ne pourra pas accuser l’équipe d’avoir raté des joueurs d’impact d’ici. Seulement deux joueurs du circuit québécois repêchés en 1992 ont joué plus de 400 matchs dans la LNH : Matthew Barnaby (réclamé au 83e rang) et Ian Laperrière (158e). Disons que Boudrias a eu bien d’autres occasions de les sélectionner…

Wilkie, lui, semblait être sur la bonne voie. À son année de 19 ans dans le junior, il a inscrit 38 buts en 56 matchs (on rappelle qu’il était défenseur).

Puis, à sa première saison dans la Ligue américaine, en 1994-1995, il a amassé 10 buts et 43 passes en 70 matchs avec le Canadien de Fredericton. Ses 53 points le plaçaient au 4e rang du circuit chez les arrières.

Son genou gauche s’est toutefois mis à lui causer des ennuis. Il s’est blessé une première fois au camp d’entraînement en 1994, mais « ce n’était pas si mal ». Un an plus tard, nouveau camp, nouvelle blessure. Cette fois, une opération a été nécessaire. Ce sera le début d’une longue série d’opérations au genou gauche.

Aux yeux de Wilkie, ce n’est donc pas la pression d’être un choix de premier tour du Canadien qui l’a étouffé, pas plus que l’accueil hostile qu’il a reçu.

La pression, je pouvais en prendre. Mais j’étais surtout insatisfait que mon corps m’empêche de jouer avec toutes mes habiletés. C’était difficile, parce que personne de l’extérieur ne savait ce qui se passait. Et quand j’étais en santé, j’étais un très bon joueur.

David Wilkie

« Mais je jouais à 80 % de mes capacités. Mario Lemieux pouvait jouer à 80 %, pas David Wilkie ! Moi, j’avais besoin d’être à 100 %. Mais j’ai adoré jouer à Montréal. Ç’a été mon endroit préféré dans ma carrière. »

Au bout du compte, l’Américain dit avoir subi six opérations au genou gauche entre 1995 et 2001. Au terme de la campagne 2001-2002, qu’il a jouée dans ce qui s’appelait alors la Ligue de la côte Est (rebaptisée depuis ECHL), il a accroché ses patins. « Après ma sixième opération, je n’étais plus assurable. J’avais des offres pour jouer en Europe. Mais je sentais que c’était le temps. Il n’y avait plus de jus dans l’orange ! »

Sa carrière dans la LNH aura duré 167 matchs, avec le Canadien, le Lightning et les Rangers. C’est à Montréal qu’il a connu sa saison la plus productive, avec 15 points en 61 matchs, en 1996-1997, à 22 ans.

Retour aux sources

Après un détour chez Ford, après avoir gravi les échelons du hockey mineur local avec ses enfants, le voici à la tête de Lancers d’Omaha depuis 2017.

Ma carrière de joueur ne s’est pas déroulée comme je l’aurais souhaité pour plein de raisons, mais je me suis quand même rendu dans la LNH et j’en suis fier. Mais le travail d’entraîneur est plus valorisant. Je ressens beaucoup plus de satisfaction en aidant les autres à atteindre leurs objectifs.

David Wilkie

L’emploi le fait revenir aux sources. L’an dernier, il a dirigé le Québécois Alex Campbell, un espoir des Predators de Nashville. Et qui est responsable du développement des joueurs des Predators ? Sébastien Bordeleau, son ancien coéquipier à Fredericton et à Montréal, fils de Paulin Bordeleau, son coach à Fredericton…

Et avec les espoirs du Canadien Rhett Pitlick l’an passé et Jakub Dobes cette année, il renoue avec son ancienne organisation.

On le sent qu’il admire Dobes, gardien tchèque qui a quitté son pays à 16 ans, sans parler anglais, pour la pas toujours invitante ville de St. Louis.

« Il est vraiment enthousiaste, assure Wilkie. L’autre jour, il avait une rencontre virtuelle avec l’organisation. Il avait vraiment peur de manquer notre entraînement pour ça. Je lui ai dit : “C’est le Canadien de Montréal. Fais ce qu’on te demande !” »

Il planifiait de revenir à Montréal en juin dernier pour le repêchage et il avait bien hâte. Lors de la dernière visite de David Wilkie ici, l’amateur de sport moyen encourageait le Canadien au Centre Molson, rêvait à un stade de l’autre côté de la rue bâti par Jeffrey Loria et pestait contre les citrons que pilotait Jacques Villeneuve chez BAR.

Disons qu’il était mûr.

Un grand gardien athlétique

En Jakub Dobes, c’est un gardien de 6 pi 4 po (1,93 m) que le Canadien a repêché au 5e tour le mois dernier. Le jeune homme de 19 ans passera la saison à Omaha, et prendra ensuite la route de l’Université Ohio State. Dobes n’a évidemment pas connu les grandes années de Dominik Hasek dans la LNH, mais il est bien au fait des exploits du meilleur gardien que son pays ait produit. « J’ai entendu parler de Hasek, surtout par mon père. Une chose que je sais, c’est qu’il n’abandonnait jamais sur aucun tir, que ce soit dans un match ou à l’entraînement. Je ne suis pas le meilleur gardien technique au monde, je me fie beaucoup à mes instincts. J’essaie de faire l’arrêt, peu importe comment », explique Dobes à La Presse. On parle de Hasek parce que Wilkie a évoqué son nom, en décrivant le style très acrobatique et peu conventionnel de son protégé. « Jakub fait tout ce qu’il faut pour faire l’arrêt, même si ce n’est pas nécessairement ce qui est enseigné, note Wilkie. Pour un gars de son gabarit, certains arrêts qu’il fait sont phénoménaux. À mon avis, cette année, il est le meilleur gardien de la USHL. »