Marc Bergevin a beau dire qu’il n’est pas mû par une « urgence » à livrer des résultats. Ou encore qu’il n’a pas fait « all-in » sur la prochaine saison. Mais quelque chose, tout de même, a changé dans son échéancier.

« Ça prend du temps, mais je sais qu’on est sur la bonne route. » Ces mots, Bergevin les a prononcés le 24 février dernier, à la date limite des transactions. Même s’il soutenait que son objectif demeurait de « mettre une bonne équipe sur la glace » en 2020-2021, le Canadien allait rater les séries éliminatoires pour la troisième saison de suite et, de fait, aucun indicateur ne pointait vers une amélioration rapide de la formation.

Un sujet incontournable s’était invité dans la discussion, et il n’a fait que gagner en intensité après les séries-surprises de l’été : le quintette de joueurs autonomes sans compensation de l’été 2021 – Jeff Petry, Brendan Gallagher, Phillip Danault, Tomas Tatar et Joel Armia.

On se donnait la prochaine saison pour trancher : lequel, ou lesquels, faudrait-il sacrifier ?

Quelques semaines plus tard, le courant s’est inversé radicalement : lequel, ou lesquels, le Canadien va-t-il garder ?

« C’est certain qu’on ne pourra pas garder tout le monde », a averti Bergevin en vidéoconférence, mardi. Il y aura « un montant » dévolu aux joueurs qui veulent « jouer à Montréal ». Et encore là, ceux qui y auront droit auront « une décision à prendre ».

Lire ici : avec un plafond salarial censé demeurer fixe à 81,5 millions pour au moins une saison de plus, les demandes des joueurs concernés devront être raisonnables. Tyler Toffoli, qui a inscrit 24 buts la saison dernière, vient d’accepter une diminution de salaire pour jouer avec le Canadien.

D’autres ont « surestimé le marché », depuis vendredi, et cherchent toujours du boulot. Le ton est donné.

Plus d’intouchables

Le cas de Petry est maintenant réglé jusqu’en 2025. Chez les autres, il ne semble plus y avoir d’intouchables.

Soudain, avec l’arrivée de Toffoli, Gallagher n’est plus le seul ailier à avoir déjà marqué 30 buts en une saison. Les négociations entre le Canadien et son teigneux ailier droit seraient au point mort. Le perdre sur le marché des joueurs autonomes serait une grande défaite pour l’organisation, qui cite Gallagher comme l’exemple à suivre quand elle repêche un jeune joueur. Mais jusqu’où ira-t-elle pour le retenir ?

Tout l’hiver, Danault était l’homme de confiance de l’entraîneur-chef Claude Julien dans pratiquement toutes les situations. Le 21 août, au dernier match des séries, il était le troisième centre de l’équipe. La discussion sur son prochain contrat ne sera pas une mince affaire.

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Phillip Danault

Gallagher et Danault sont-ils considérés comme des incontournables, des must, chez le Canadien ? a demandé un collègue à Bergevin. Ce sont des « joueurs importants » qu’on « aimerait garder à Montréal », a répondu le DG, qui a estimé qu’il était « trop tôt » pour s’engager.

Par ailleurs, on a tellement martelé l’importance du groupe des cinq de 2021 que l’on en oublie presque qu’Artturi Lehkonen et Jesperi Kotkaniemi deviendront joueurs autonomes avec compensation.

Le premier n’a pas l’apport offensif d’un joueur de premier plan, mais il a la confiance aveugle de son entraîneur – il a été au troisième rang des attaquants les plus utilisés de son équipe en séries. Et le second a son destin entre les mains : s’il reprend là où il a laissé pendant l’été, il pourrait forcer Bergevin à refaire ses calculs.

Long terme épargné

Bergevin, donc, n’a pas fait « all-in » avec ses acquisitions des dernières semaines, a-t-il insisté. Sa manière de le justifier est en parfaite phase avec sa philosophie de développement à long terme : pour attirer à Montréal le gardien Jake Allen, le défenseur Joel Edmundson ainsi que les ailiers Josh Anderson et Tyler Toffoli, il a bien sûr dû se départir de Max Domi, mais il n’a sacrifié ni espoir ni choix au repêchage parmi les deux premiers tours. « La banque » reste pleine.

Selon lui, le repêchage demeure la « colonne vertébrale de la franchise ». Son club, conclut-il, est « entre bonnes mains » à court, moyen et long termes.

En réalité, Marc Bergevin a davantage épargné le long terme qu’il ne l’a alimenté. Car ses gestes des derniers jours visent un horizon bien plus rapproché, alors que la pression contractuelle de la prochaine saison morte oblige des succès rapides.

L’aide qu’il est allé chercher coche les quatre cases qu’il avait établies sur sa liste de tâches de la saison morte : un gardien auxiliaire de qualité, un défenseur costaud, un attaquant de puissance et un marqueur. Tous sont devenus disponibles à un prix « relativement bon ». Le DG n’avait pas forcément prévu être si agressif, mais avec « un peu de chance », les pièces du « puzzle » sont tombées en place.

Les conséquences sur le budget du club sont toutefois bien réelles. Gardée depuis longtemps très en deçà du plafond imposé à toutes les équipes, la masse salariale du Canadien est désormais parmi les plus élevées de la ligue. Elle dépasse même la limite permise, au point où il devient évident que des manœuvres possiblement désagréables seront nécessaires pour s’y conformer avant le début de la prochaine saison. « Il va falloir compter nos sous », a joliment illustré Bergevin.

Au moins une transaction enlèverait de la pression. Sinon, il faudra s’en remettre à des solutions créatives. Déjà, Bergevin a évoqué l’idée de réduire la formation de 23 à 22 joueurs – une situation facilement envisageable à domicile, sachant que l’aréna du club-école se trouve à 40 minutes de métro du Centre Bell, mais plus risquée lors de longs voyages.

On y revient sans cesse, mais le plan de match s’est indéniablement accéléré. Les séries fumantes des deux joueurs de centre d’avenir de l’organisation et un contexte financier permettant de réaliser de bonnes affaires ont permis à Bergevin de bouger vite. Il s’est fait plaisir en ne touchant pas à son système de développement. Mais personne n’est dupe : le moment de gagner, c’est maintenant. Le noyau du club pourrait être transformé au terme de la prochaine saison, et le repêchage d’expansion verra le Kraken de Seattle piger un joueur dans l’organisation.

On vole une citation au collègue Arpon Basu, du site Athlétique : le Canadien n’est pas, à proprement parler, dans une « fenêtre pour gagner la Coupe Stanley ». Après trois saisons perdantes, il serait grossier d’être aussi draconien.

Mais il y a tout de même un indéniable courant d’air qui s’est invité dans la pièce. Rien d’un ouragan, mais rien qui ne puisse être ignoré non plus.

Il faudra bien la garder à l’œil, cette fenêtre. Elle pourrait s’ouvrir sans crier gare. Comme elle pourrait se refermer tout aussi rapidement.