En temps normal, Don Meehan n’a pas l’habitude de se formaliser des dépenses quand arrive le temps du repêchage dans la Ligue nationale de hockey (LNH). « Pour nous, c’est une tradition que d’amener en avion, dans la ville du repêchage, les familles de nos meilleurs espoirs quatre jours à l’avance, et d’organiser une petite fête la veille, explique-t-il au bout du fil. Alors, on va économiser de l’argent cette année, parce qu’on ne fera rien de tout ça ! »

Non, il n’y aura rien de tout cela au repêchage de 2020. Pour des raisons de pandémie, ce repêchage ne sera pas comme les autres, et Meehan, l’un des agents les plus influents du monde du hockey, doit déjà tenter de prévoir l’imprévisible, comme il se plaît à le dire.

Encore tout récemment, au moment de répondre à l’appel de La Presse, il était occupé à lire et relire les dernières directives de la LNH à ce sujet. Une tâche qui n’est pas si facile, parce que la présente situation laisse entendre que tout peut changer à n’importe quel moment.

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Don Meehan


, agent de joueurs

« La ligue nous fait parvenir des nouveaux détails chaque jour ou presque, ajoute-t-il. Déjà, on a demandé aux meilleurs espoirs de fournir deux numéros de téléphone en vue du repêchage, et on leur a dit aussi de se tenir tout près de leur tablette ou de leur iPhone, au cas où ils allaient être repêchés. Ce sera différent. »

À ce sujet, Don Meehan cite l’exemple de l’un de ses jeunes poulains, le gardien russe Yaroslav Askarov, 18 ans, qui sera chez lui au moment du grand jour. Reste à savoir s’il sera encore éveillé quand quelqu’un va prononcer son nom à l’écran... « Il est en Russie, alors pour lui, avec le décalage horaire de huit heures, ça va commencer à être tard », note-t-il.

Résilience

C’est la réalité, celle que l’on préférerait éviter, mais qui est là, tel un morceau de gomme encombrant collé sur le bord d’une semelle. Les jeunes joueurs tentent de s’y faire malgré tout ; Jack Quinn, attaquant qui est classé au septième rang des espoirs nord-américains selon la liste officielle de la LNH, affirme que sa mère a déjà commencé à préparer une petite fête à la maison. « Je vais faire la même chose que tous les autres joueurs qui vont attendre d’être repêchés : je vais adopter un comportement sécuritaire, a expliqué le jeune Ontarien de 19 ans. Je ne serai pas sur place lors du repêchage... mais personne ne sera sur place de toute façon ! »

En tout, 217 joueurs ont été repêchés par les équipes de la LNH lors du repêchage précédent, celui de 2019 à Vancouver. Bien sûr, ils ne vont pas tous se retrouver à patiner sur des glaces de la Ligue nationale un jour, mais il y a fort à parier que ceux qui étaient sur place à l’aréna Rogers vont se souvenir de ce moment-là toute leur vie.

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Stéphane Fiset, agent de joueurs

Pour Stéphane Fiset, agent qui a lui-même été gardien dans la LNH pendant 13 saisons, c’est le bout le plus difficile de ce repêchage virtuel de 2020 : du coup, les jeunes seront privés d’un moment qui ne passe qu’une seule fois dans une vie.

« J’ai été repêché au Forum de Montréal en 1988, je m’en souviens encore très bien, et je vais m’en souvenir toute ma vie », explique-t-il.

L’instant où on prononce ton nom, tu te lèves, tu fais l’accolade aux membres de ta famille, tu descends vers le plancher et on te donne un chandail. C’est super important, ça. C’est la fierté de réaliser que maintenant, tu appartiens à un club.

Stéphane Fiset

Stéphane Fiset rappelle que de manière générale, les espoirs qui décident de se présenter à un repêchage ne le font jamais seuls. « Ces jeunes-là débarquent à l’aréna avec des amis et des membres importants de leur famille, ajoute-t-il. En moyenne, le jeune vient accompagné d’un groupe de 10 personnes. Souvent, il s’agit des gens qui ont été avec lui depuis ses premiers coups de patin dans le hockey mineur : les parents, les grands-parents, tous ceux qui ont assisté aux premiers entraînements très tôt. Quand tu es enfin repêché, tu regardes autour de toi, et tous ces gens-là sont encore là. Ce sont des moments incroyables comme ça qui ne pourront pas être vécus. »

Espoir

À cette réalité s’en ajoute une autre, elle aussi très difficile à digérer : l'avenir imprévisible. Pour les espoirs de premier plan, comme Alexis Lafrenière, l'avenir est déjà tracé d’avance, et n’est aucunement une source d’inquiétudes. Mais pour les autres, ceux qui seront repêchés plus tard, au cinquième ou au sixième tour, par exemple, ce ne sera pas si facile.

« C’est sûr que les gars choisis plus tard dans le repêchage ne seront probablement pas invités à des camps de la LNH quand ça va recommencer, explique Philippe Lecavalier, agent chez la firme Quartexx. Mais en même temps, les camps de la LHJMQ ont commencé avec plusieurs joueurs qui, normalement, auraient dû être dans des camps de la LNH au mois de septembre. Je n’ai jamais vu un calendrier préparatoire dans la LHJMQ avec un calibre aussi relevé ! »

Le Centre Bell sera donc désert les 6 et 7 octobre, et un Centre Bell vide et sans repêchage, c’est aussi une ville un peu vide ; en juin 2019, au moment de confirmer l’obtention du repêchage de 2020 sur son site, le Canadien avait avancé le chiffre de 7500 nuitées qui allaient être réservées dans les différents hôtels de la ville en vue de l’évènement. Dans le même communiqué, on évoquait les « millions de dollars en retombées économiques, touristiques et publicitaires reliées au repêchage ».

Alors non, ce repêchage ne sera pas un repêchage « normal ». Mais au moins, ce sera un repêchage, avec des gagnants, des surprises, des joueurs qui croyaient ne pas être sélectionnés mais qui le seront, à leur grand étonnement.

Aussi bien l’accepter, parce que selon Don Meehan, il faudra s’y faire.

« Ça devait avoir lieu à Montréal et ça ajoute à la déception, parce que toute la communauté du hockey avait hâte de s’y retrouver, dit-il. Mais vous savez, la façon dont on a toujours fait les choses au repêchage, ça vient de changer de manière dramatique. Il faut vraiment savoir prévoir l’imprévu... »