Avec des séries éliminatoires en plein été, présentées à huis clos, de nombreux amateurs de hockey ont boudé leur plaisir et ont peu suivi le tournoi qui s’est conclu lundi.

Michel Boucher, dépisteur du Lightning au Québec, a lui aussi regardé très peu de matchs. Mais attendez de connaître l’explication !

Écouter un match, ça me choque, ça me draine. Donc ma femme l’écoute, elle crie, elle tape du pied. Et moi, je suis dans une autre pièce, j’écoute un film, une série. J’ai écouté un match pendant les séries et j’étais trop nerveux. Je me souviens de 2015, quand on est passé proche en finale.

Michel Boucher

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Bouche.

« Mais [lundi], avec cinq minutes à jouer, ma femme est venue me chercher. Elle me dit : il reste cinq minutes, et de la façon dont vous jouez, ils ne remonteront pas ! »

Elle avait raison. Le Lightning a tenu le coup pour gagner la deuxième Coupe Stanley de son histoire.

« Les joueurs ont leurs superstitions, ils attachent le patin gauche avant le patin droit. Moi, c’est un peu ça, ma superstition, mon rituel. »

Un rituel qu’il vit avec Anne-Marie, sa femme depuis maintenant 45 ans. La même Anne-Marie qui a gentiment pris l’appel de La Presse mardi midi, pendant que Michel Boucher faisait les courses. « Je suis un peu son adjointe aujourd’hui, avec tous les appels qu’il reçoit ! », lance-t-elle en riant.

« C’est une complicité absolue ! », ajoutera ensuite Michel Boucher.

Coup de maître ou coup de chance ?

Nikita Kucherov, Ondrej Palat, Yanni Gourde, Cédric Paquette… Les produits de la LHJMQ sont omniprésents chez le Lightning. Palat et Paquette ont été suivis de près par Boucher, puisqu’ils jouaient dans le circuit Courteau quand ils ont été repêchés.

Gourde n’a quant à lui jamais été repêché, et ce sont les Sharks de San Jose qui lui ont offert sa première chance chez les professionnels. Mais en mars 2014, le Lightning s’est intéressé à ce petit attaquant fougueux comme pas un.

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Yanni Gourde

« Julien [BriseBois] était directeur général de notre filiale. Il m’a appelé pour savoir ce que je pensais de lui. Je lui ai répondu, et ensuite, c’est lui qui a pris la décision. Du reste, je n’ai rien à voir ! », raconte humblement Boucher.

Kucherov, lui, jouait en Russie quand il a été réclamé en 2011. Mais il s’est amené au Québec en 2012-2013, et c’est Boucher qui devait alors se doubler en responsable du développement des joueurs pour faire le pont entre Kucherov et l’organisation.

C’est toutefois l’histoire de Palat qui est la plus impressionnante. Le Tchèque a été un homme de confiance de Jon Cooper pendant les séries ; seul Kucherov (21 min 40 s) a eu droit à plus de temps d’utilisation que lui (20 min 55 s) chez les attaquants du Lightning. Palat a conclu ses séries avec 11 buts — dont 3 buts gagnants — et 7 mentions d’aide pour 18 points en 25 matchs.

Or, ce même Palat a été un modeste 208e choix au repêchage de 2011. Ignoré à ses deux premières années d’admissibilité, Palat était à trois sélections d’être boudé pour la troisième fois, et ce, même s’il venait de connaître une saison de 96 points à Drummondville.

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Ondrej Palat

« Quand je posais des questions aux gens des Voltigeurs, ils étaient ébahis par son travail, son potentiel. Je faisais de bons rapports sur lui, rappelle Boucher. Mais ce n’était pas certain qu’on puisse le repêcher. » Restait toujours la possibilité de lui donner un essai au camp de développement, mais d’autres équipes risquaient d’avoir la même idée.

Guy Boucher était alors l’entraîneur-chef du Lightning, mais il venait de diriger les Voltigeurs pendant trois saisons et il avait ses entrées à Drummondville.

« Guy Boucher est à la table. On appelle les gens à Drummondville, puis on a dit à Al Murray [le recruteur en chef] et à Steve Yzerman [alors le directeur général] qu’on aimerait le repêcher, pas juste l’inviter. Et Steve a fait une transaction pour aller chercher un choix de plus au septième tour. Souvent, ce sont des concours de circonstances.

« La suite fait partie de l’histoire. On arrive au tournoi des recrues en Floride, on perd nos trois matchs. On voyait aller Palat, Tyler Johnson, et on se disait qu’on avait beaucoup de travail à faire avec eux. Et 10 mois plus tard, on a gagné la Coupe Calder ! »

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Michel Boucher prend des notes durant un match entre les Tigres de Victoriaville et l’Océanic de Rimouski.

Une belle leçon à retenir pour ceux qui s’emportent lors des premiers coups de patin de septembre…

Un travail d’équipe

De BriseBois à Yzerman, en passant par Murray et Guy Boucher, Michel Boucher a pris soin durant toute la durée de l’entrevue de rappeler que plusieurs acteurs sont impliqués derrière chaque joueur recruté.

« C’est vraiment un travail d’équipe. Ce serait facile de m’enorgueillir et dire que si je ne suis pas là, Palat ne joue pas. Mais ce n’est pas aussi simple que ça ! Tu es dépisteur régional, tu dois fournir un maximum d’informations. Mais à la fin, on repêche sept joueurs, parmi tous ceux qu’une douzaine de recruteurs ont vus jouer. Ça prend aussi un peu de chance !

« On a des dépisteurs professionnels qui suivent la Ligue américaine, l’ECHL et les joueurs autonomes. Le directeur général doit faire les bonnes évaluations, pour trouver des gars qui cadrent avec l’équipe. Et les coachs doivent maximiser le rendement des joueurs.

« Je suis juste fier de faire partie de l’organisation du Lightning. Jon Cooper est l’entraîneur en fonction depuis le plus longtemps avec la même équipe. Julien BriseBois a remplacé une icône du hockey [Yzerman] qui a gagné partout, et il n’a jamais joué. Quel gestionnaire, quel travaillant ! Nous, les recruteurs, on est juste un morceau du casse-tête. »

Le succès semble toutefois suivre de près certains morceaux du casse-tête. BriseBois et Michel Boucher, par exemple, ont maintenant remporté 3 championnats en 14 ans de travail ensemble : la Coupe Calder de 2007 (avec Hamilton), celle de 2012 (avec Norfolk), et la Coupe Stanley de lundi.

Ce n’est peut-être pas 45 ans de mariage, mais c’est une saprée belle relation professionnelle.

Une victoire à la sauce québécoise

On évoquait Boucher et les anciens de la LHJMQ dans cette conquête de la Coupe Stanley. En fait, la liste des produits d’ici est longue dans l’organigramme du Lightning. Sur la patinoire, Alex Killorn a grandi dans le programme des Lions du Lac Saint-Louis, avant d’aller jouer dans un prep school américain. L’attaquant Mathieu Joseph n’a pas joué, mais faisait partie des réservistes. Hors glace, BriseBois est entouré de Mathieu Darche (directeur des opérations hockey), Jean-Philippe Côté (directeur du développement des joueurs), Frantz Jean (entraîneur des gardiens) et Mark Lambert (directeur de la performance et préparateur physique). C’est sans oublier l’entraîneur-chef du Crunch de Syracuse (le club-école), Benoît Groulx, et ses adjoints Gilles Bouchard et Éric Veilleux. Notre petit doigt nous dit que de la poutine sera de nouveau mangée dans le bol de la Coupe Stanley.