La phrase de François Legault ne contenait que quelques mots, mais elle voulait dire beaucoup plus. Ces mots : « Bon, là, toute la question qui reste, ce sont les rassemblements, les activités culturelles, sportives, bien ça, est-ce que ça ira en 2021 ? Ce n’est pas impossible. »

Il répondait ainsi à une question sur les étapes à venir du déconfinement, à savoir quels secteurs seraient susceptibles de rester inactifs jusqu’en 2021. Sa réponse contrastait aussi avec la dernière position officielle pour le sport professionnel, celle des rassemblements de 250 personnes ou moins.

Dans ce contexte, est-ce bien réaliste de rêver au redémarrage de la LNH plus tard ce printemps, même avec des matchs disputés devant des gradins vides dans quelques villes triées sur le volet, où débarqueraient en masse joueurs, officiels, dirigeants et personnel de soutien ?

PHOTO ASHLEY LANDIS, ARCHIVES THE DALLAS MORNING NEWS

La glace de l’American Airlines Center, à Dallas, a été recouverte après la suspension de la saison de la Ligue nationale de hockey.

Pour tout vous dire, je n’y crois pas. Bien sûr, je rêve aussi à la reprise des activités, j’ai hâte d’éprouver l’amorce d’un sentiment de « normalité » dans la vie quotidienne, sentiment qui serait renforcé par le rebond du hockey professionnel. Mais je pense, comme le rappelait mercredi mon collègue Alexandre Pratt, que nous devrons tous être très patients.

Des quatre ligues professionnelles à gros budget en Amérique du Nord, la LNH et la NBA sont les plus touchées par la pandémie. La suspension des activités est survenue au moment le plus palpitant de leur saison, peu avant le début des séries éliminatoires. Mais si le basket peut compter sur des revenus de télé nationaux alléchants aux États-Unis, ce n’est pas le cas de la LNH, beaucoup plus tributaire des recettes aux guichets. Or, impossible de remplir les coffres en jouant devant des gradins déserts.

La problématique est la même pour les Alouettes et l’Impact, dont les reins sont déjà beaucoup moins solides que ceux du Canadien. Avouons qu’il est difficile de déborder d’optimisme devant l’incertitude pour ces deux clubs.

Bref, l’impact économique de la COVID-19 sera désastreux. Pour la LNH, ses revenus, qui devraient frôler les 5 milliards US cette saison, seront nettement à la baisse. Et cela risque de durer. Même si la prochaine saison est présentée au complet (ce qui est loin d’être sûr, encore plus après la déclaration du premier ministre), combien de gens assisteront aux matchs si un vaccin n’est pas encore disponible ?

On risque de trouver beaucoup moins drôle son voisin de siège qui, bière à la main, engueule l’arbitre en postillonnant parce qu’il conteste une pénalité imposée à son équipe. Une bonne raison pour rester à la maison plutôt que de se rendre à l’amphithéâtre. (Par ailleurs, faudra-t-il se soumettre à un test de température à la porte comme on franchit aujourd’hui un détecteur de métal ? Faudra-t-il porter un masque tout au long du match ?)

Un sondage Seton Hall Sports réalisé aux États-Unis est révélateur : 61 % des amateurs de sport estiment qu’ils ne se sentiront pas assez en sécurité pour assister à un match en l’absence de vaccin. Et selon les scientifiques, la distribution d’un vaccin à grande échelle n’est pas pour demain. Au mieux, on peut espérer un développement heureux… en 2021 ; au pis, ce sera encore plus long.

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Dans la LNH, les équipes et les joueurs partagent à parts égales les revenus liés au hockey. Si ceux-ci chutent de 15, 25 ou 50 %, les deux parties devront négocier la suite des choses. La convention collective régissant les rapports entre elles compte plusieurs centaines de pages, mais rien ne prévoit une contraction subite et puissante des revenus en raison d’une pandémie.

On sait cependant que les organisations ne s’endetteront pas pour verser aux joueurs la pleine valeur de leur contrat si elles encaissent des dizaines de millions en moins. Même le partage des revenus entre les organisations riches et moins riches se complexifiera. Ainsi, si le chiffre d’assistance chute de moitié au Centre Bell lors d’une éventuelle reprise des activités, le Canadien ne voudra certes plus subventionner les équipes peinant à joindre les deux bouts aux États-Unis.

Les salaires des joueurs risquent donc de diminuer de manière considérable pendant un certain temps. L’automne prochain, certaines villes permettront peut-être le retour des amateurs dans les amphithéâtres et d’autres, non. On pourrait aussi limiter le nombre de spectateurs afin de laisser des sièges libres entre eux et diminuer le nombre d’invités dans les loges d’entreprise. Tout cela aurait un effet très négatif sur les revenus afférents : nourriture, boisson, stationnement, produits dérivés…

Le développement des joueurs risque aussi de connaître des moments pénibles. Si la LNH est assez solide pour envisager un éventuel retour la saison prochaine malgré un contexte économique éprouvant, qu’en est-il des circuits professionnels mineurs ? À quoi ressemblera la saison 2020-2021 de la Ligue américaine ? Bien malin qui peut le prédire. La Ligue junior canadienne, qui compte aussi sur les recettes aux guichets pour financer ses activités, n’est pas davantage au bout de ses peines.

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Le retour du sport professionnel dans un avenir pas trop lointain est-il vraiment possible ? Peut-être dans des sports individuels comme le golf et le tennis, puisque la distanciation physique entre les athlètes et les officiels est plus simple à respecter. Et dans le cas des tournois majeurs, les revenus de télé seront suffisants pour diminuer l’impact du manque à gagner aux guichets.

Alors oui, le Tournoi des Maîtres sera peut-être présenté en novembre prochain, comme ses promoteurs l’espèrent. Et si la situation se stabilise à New York et à Paris, on verra peut-être les as du tennis s’affronter aux Internationaux des États-Unis et à Roland-Garros à la fin de l’été et au début de l’automne. Pourvu qu’on trouve dans ces deux sports, bien sûr, une solution à la très épineuse question du transport pour ces joueurs venant des quatre coins du monde. Gros défi, qui donne tout son sens à l’adverbe peut-être.

PHOTO KEVIN C. COX, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Tiger Woods a remporté le Tournoi des Maîtres l’an dernier.

Mais l’avenir est plus inquiétant pour les sports collectifs, où les voyages sont une manière de vivre. Je ne crois pas beaucoup à ce projet du baseball majeur de réunir en Arizona toutes ses équipes pour disputer un début de calendrier avant un retour à la normale.

La NFL ? Le temps joue — un peu — en sa faveur. Mais compte tenu de la possibilité d’une deuxième vague de la pandémie à l’automne, la suite des choses demeure aussi bien incertaine. 

Cela dit, de tous les scénarios envisagés sur le plan sportif, le pire est la présentation du Tour de France, maintenant prévue du 29 août au 20 septembre. Dans une entrevue au quotidien The Guardian, Devi Sridhar, une spécialiste de la santé publique de l’Université d’Édimbourg, a qualifié l’idée de « recette pour le désastre ». À son avis, le risque que l’évènement, avec ses déplacements quotidiens, serve de déclic à une nouvelle période de confinement en France est réel.

Quant à la tenue des Jeux olympiques à Tokyo à l’été 2021, je ne parierais pas ma chemise là-dessus. Posons-nous la question : les Japonais auront-ils le goût d’accueillir des gens des quatre coins du monde si un vaccin n’est pas encore largement disponible ?