Avant le Printemps Halak, bien avant, il y a eu le Printemps Penney… et Steve Penney s’en souvient très bien.

Ce printemps-là est survenu il y a une mèche, il y a 36 ans pour être bien précis, mais encore aujourd’hui, Steve Penney s’en fait parler par des gens qui ne l’ont pas oublié depuis toutes ces années. « Je suis devenu représentant des ventes pour une compagnie de montures de lunettes dans la région de Québec, et on me demande encore : ‟Le goaler, c’était toi ?” », commence-t-il par dire au bout du fil.

Au printemps 1984, le « goaler », c’était bel et bien lui. Un gardien à ce moment inconnu, sorti de nulle part, qui était arrivé sur le tard cette saison-là, ajouté en guise de désespoir à un club somme toute ordinaire, composé de vétérans en fin de parcours et de jeunes espoirs peu prometteurs.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Steve Penney est aujourd’hui représentant des ventes pour une entreprise de montures de lunettes dans la région de Québec.

Contre toute attente, le Canadien de 1983-1984 avait réussi à atteindre les séries, en titubant toutefois, avec une récolte de seulement 75 points en 80 matchs. La récompense au premier tour : un affrontement contre les champions de la division Adams, les Bruins de Boston, qui avaient conclu la saison avec… 104 points. Lourde commande.

De troisième gardien à partant

Penney, un choix de huitième tour au repêchage de 1980, avait en gros passé son temps entre la Ligue américaine et la Ligue internationale avant d’atterrir avec le Canadien à l’hiver 1984, un peu de manière inattendue. « Sans doute pour ébranler les deux gardiens déjà en poste, Richard Sévigny et Rick Wamsley », offre-t-il en guise d’explication.

Pendant quelques semaines, Penney sera avant tout le troisième gardien du club, celui qui reste à la fin des entraînements pour permettre aux réservistes de garder la forme. Finalement, à la fin de la saison, l’entraîneur Jacques Lemaire lui offre quatre départs, pour voir un peu de quoi il est capable. « J’ai perdu les quatre matchs ! », s’empresse-t-il de préciser.

N’empêche. Lemaire dit à Penney qu’il aime sa fougue et son côté combatif, et puis le matin du premier match de la série au vieux Garden de Boston, il lui annonce qu’il sera le gardien partant.

« L’équipe n’allait pas bien, je pense que Lemaire cherchait à provoquer une étincelle, ajoute l’ex-gardien. Moi, j’étais à la dernière année de mon contrat : je touchais 30 000 $ dans les mineures, 70 000 $ dans la LNH, si je me souviens bien. Alors je voulais seulement bien jouer pour prouver que j’avais ma place. Ce n’était pas beaucoup d’argent, mais je ne le voyais pas comme ça ; mon père avait passé sa vie à travailler dans une usine pour 35 000 $

« Alors quand Lemaire m’a annoncé ça, j’ai été nerveux sur le coup, mais en même temps, je voyais que ça allait être ma chance. Les vétérans sont venus me voir, Robinson, Ludwig. »

Quand le match a commencé, j’ai fait un arrêt, puis un autre. Les Bruins avaient toute une équipe, mais à un moment donné, je voyais bien qu’ils s’impatientaient ; ils commençaient à aller au filet et à foncer sur moi, à me pousser… Robinson m’a dit : “S’ils te rentrent dedans, c’est bon signe !”

Steve Penney

Penney et le Canadien ont causé la surprise en gagnant ce premier match par la marque de 2-1. La surprise fut causée aussi le lendemain, avec une victoire de 3-1. Le balayage de cette série trois de cinq fut complété deux jours plus tard dans un Forum chauffé à blanc, survolté par un blanchissage de 5-0 contre des Bruins qui avaient pourtant récolté 29 points de plus au classement !

La suite ne s’annonçait pas plus facile : un rendez-vous de deuxième tour contre les Nordiques de Québec, qui avaient conclu la saison avec 103 points, et qui misaient sur le troisième marqueur de la ligue (Michel Goulet), ainsi que sur le quatrième (Peter Stastny). « Jacques Lemaire n’était pas le gars des grands discours, et il nous avait juste dit de faire la même chose contre les Nordiques, se souvient Penney. On avait perdu la première partie. C’est correct, je ne m’attendais pas à toutes les gagner… »

À ce moment-ci de l’histoire, il faut préciser à quel point la province en entier ne parlait que de cette série, et du gardien que personne ne connaissait il y a quelques semaines à peine. C’est dur à imaginer maintenant, et encore moins ces jours-ci, mais en avril 1984, c’est une province en entier qui ne discute que de hockey, qui n’a que des images teintées du bleu des Nordiques et du rouge du CH en tête. C’est LE sujet de discussion, impossible à éviter, impossible à ignorer. La veille du sixième match de la série, le 19 avril, Van Halen, le plus gros groupe rock de l’heure, se produit sur la scène du Forum, et le chanteur David Lee Roth sème l’euphorie dans la place en se pointant au rappel avec un chandail blanc du CH sur le dos.

« Partout dans la province, c’était débile comme ambiance », se souvient Steve Penney.

Je suis un gars de Québec, et quand on jouait au Colisée pendant la série, mes parents se faisaient chanter des bêtises dans les estrades.

Steve Penney

« Tout le monde parlait juste de ça. Et puis il y a eu le sixième match… »

Le sixième match, celui du 20 avril, avait commencé à l’heure, mais il s’était étiré jusqu’à très tard dans la soirée en raison des circonstances, disons, exceptionnelles : deux bagarres générales, et 252 minutes de pénalité. Ce fut le match, tristement célèbre, du Vendredi saint.

« Les bagarres générales, j’étais habitué à ça, se souvient Penney. À mes 10 premiers matchs dans la Ligue internationale, je pense qu’il y avait eu cinq bagarres générales ! Alors ce n’était rien de neuf pour moi. Quand ça s’est mis à dégénérer à la fin de la deuxième période, je me suis avancé vers leur gardien Dan Bouchard, mais Lemaire s’est mis à me crier après pour que je rentre au banc tout de suite ! C’est ce que j’ai fait. »

Le Canadien finira par gagner ce match et la série en six, mais pour les joueurs en bleu blanc rouge, le prix à payer sera très lourd. Au troisième tour, les Islanders de New York, les champions en titre, attendaient, et puis cette fois, la magie a cessé d’opérer. « La série contre les Nordiques, je n’avais jamais vu ça, c’était tellement violent, salaud… Alors quand on est arrivés contre les Islanders, il ne nous restait plus rien, tous les gars étaient amochés. Bob Gainey avait les deux épaules en compote. On a gagné les deux premiers matchs, puis plus rien. »

Et ce fut la fin du printemps de Steve Penney.

Pour lui, la suite fut assez brève et aussi moins heureuse : une élimination contre les Nordiques un an plus tard, et puis en 1986, un poste de troisième gardien chez le Canadien, puisqu’un certain Patrick Roy avait choisi de faire de ce printemps-là son printemps à lui. La Coupe de 1986, il la vivra à titre de réserviste, et deux ans plus tard, Steve Penney était déjà un retraité du hockey.

Alors oui, ce fut bref, mais on ne pourra jamais enlever à Steve Penney le printemps de 1984.

« J’ai encore toutes les coupures de journaux, j’ai encore les matchs sur des grosses cassettes VHS, ajoute-t-il. Je n’ai jamais regardé ça… un jour, je vais finir par le faire ! »