Le sort des recrues est un sujet qui passionne les partisans du Canadien. Mais seuls les plus vieux fans savent combien les Jesperi Kotkaniemi et Ryan Poehling de ce monde sont des agneaux par rapport au Shayne Corson des années 80. Dans la cinquantaine, l’ex-numéro 27 revient sans gêne sur son parcours ponctué d’épreuves, et avoue qu’il aurait deux ou trois conseils à prodiguer aux jeunes athlètes d’aujourd’hui. Entretien avec un rebelle assagi.

Il a été repêché en 1984. Il a fait ses débuts en 1985. Et jusqu’à la fin des années 80, il a fait la fête comme s’il était en 1999.

La légende de Shayne Corson a été moult fois narrée dans ses détails les plus scabreux. En fait, cette réputation est si tenace qu’on se surprend presque de constater combien l’ancien joueur, aujourd’hui âgé de 53 ans, n’a plus grand-chose du « bum » qui a causé tant de maux de tête à ses entraîneurs de l’époque. 

Car c’est bien de Corson qu’il était question lorsque le regretté Pat Burns a publiquement invité un de ses joueurs à « manger de la marde » après que son expulsion d’un bar de la métropole eut fait la manchette.

Nous voici donc devant la version la plus sage de Shayne Corson que le public ait jamais vue. Son gabarit et sa poignée de main rendent justice à ses 2357 minutes de punition en carrière. Mais sa voix douce et ses lunettes de lecture trompent un peu le personnage construit dans l’imaginaire collectif.

Corson a fait un passage éclair dans la métropole samedi pour participer au « camp de rêve » du Canadien, sorte de mini camp d’entraînement de prestige ouvert au public et organisé de concert avec d’anciens joueurs de l’organisation.

Lorsque La Presse l’a rencontré, il n’avait pas encore retiré son équipement, occupé qu’il était à signer des autographes et à placoter avec les participants trop heureux d’étirer le moment partagé avec leur idole d’antan. « Être dans un vestiaire à nouveau, ça fait toujours du bien ! », s’est-il exclamé avec sincérité.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Shayne Corson signe un autographe dans le cadre du « camp de rêve » du Canadien à Montréal.

Avec les partisans qu’il côtoie, Corson jase de tout. De hockey, évidemment, mais aussi de la vie. De la sienne, en particulier.

Il était encore un joueur actif, au début des années 2000, lorsqu’il a commencé à composer avec des crises de panique et d’anxiété. Il a songé au suicide. Sans succès, il a tenté d’affronter cette épreuve seul : il se « médicamentait » aux anxiolytiques et à l’alcool, a-t-il confié l’automne dernier au site The Athletic, qui lui a consacré un long reportage.

Puis il a demandé de l’aide – et en a obtenu. Il a sorti la tête de l’eau. Et n’hésite plus jamais à raconter son histoire afin d’aider celles et ceux qui, comme lui, doivent composer avec des enjeux de santé mentale.

Quand ça t’arrive, tu crois que tu es tout seul, mais dès que tu en parles, tu te rends compte que c’est bien plus répandu que tu l’aurais cru. J’en discute avec beaucoup d’athlètes, surtout des jeunes, pour les aider. Je veux aider le plus de gens possible.

Shayne Corson

Sans surprise, il s’émeut sans cesse de voir des athlètes affronter et vaincre leurs démons. La semaine dernière, il a regardé « en boucle » les images de Bobby Ryan ému aux larmes pendant l’ovation que lui avaient réservée les partisans des Sénateurs d’Ottawa.

Le surlendemain de son retour au jeu, après des mois d’absence attribuables à sa consommation d’alcool, l’attaquant des Sens a réussi un tour du chapeau. Il venait tout juste de franchir le cap des 100 jours de sobriété.

« Il n’y a rien que j’aime plus au monde que le hockey… mais c’est juste du hockey, résume Corson. Le plus important, c’est de voir les joueurs heureux et en santé, avec leur famille. Ces 100 jours, c’est remarquable pour Bobby. Je suis content pour lui, fier de lui. C’est une sacrée belle histoire. »

Appel à l’aide

Bobby Ryan l’a dit au cours des derniers jours, et Shayne Corson le martèle depuis des années : affronter la maladie mentale ou des problèmes de dépendance commence par un appel à l’aide.

Pour le commun des mortels, cela signifie de surmonter la gêne, voire la honte, pour s’ouvrir à ses proches. Dans le sport, cela se transpose à son équipe, son entraîneur, ses coéquipiers.

« Je répète toujours la même chose aux joueurs : vous seriez surpris de voir combien vos coéquipiers sont compréhensifs », affirme l’ancien du Canadien, des Oilers d’Edmonton, des Blues de St. Louis et des Maple Leafs de Toronto.

« Les joueurs de hockey sont comme ça : ils se soutiennent, comme dans une famille. Tout le monde fait des erreurs. C’est vrai dans la vie et dans le sport aussi. »

C’est d’ailleurs là le principal conseil qu’il donnerait à un jeune joueur : ne jamais, jamais s’isoler.

Si ça ne va pas bien, ça ne veut pas dire que tu es faible. Le hockey demande bien sûr un engagement physique, mais la part mentale est énorme. Tous les joueurs ont le droit à une belle carrière et à une belle vie.

Shayne Corson

Pas besoin de rappeler à Corson ses frasques passées, il les connaît. Il n’était pas un enfant de chœur, il en convient aisément. Or, des regrets, il n’en a pas, si ce n’est celui de ne jamais avoir gagné de championnat, à Montréal ou ailleurs. « J’échangerais tout, les Olympiques, la Coupe Canada, tout, pour une Coupe Stanley », avoue-t-il.

N’empêche, sur une note plus personnelle, il ne cache pas que, si c’était à recommencer, il prendrait « mieux soin » de lui.

« À la minute où tu commences à être plus en forme, tu réalises combien tu as de l’énergie, dit-il. C’est un peu épeurant de le constater après coup. Si c’était à refaire, je prendrais mieux soin de mon corps, je mangerais mieux, je dormirais mieux. Les jeunes d’aujourd’hui ont appris à le faire depuis le jeune âge, mais à l’époque, ce n’était pas comme ça. »

Avec les jeunes

Même s’il est encore très visible dans le milieu du hockey par l’entremise d’évènements caritatifs, Corson n’a jamais gravité autour d’une équipe après sa retraite, en 2004. Il donne parfois un coup de main à son fils et à son beau-frère, l’ancien du Tricolore Darcy Tucker, entraîneurs d’une équipe de hockey mineur à Toronto, mais sans plus.

Par contre, si une formation professionnelle lui passait un coup de fil, il y « songerait » sérieusement, dit-il, car il se verrait volontiers partager son expérience et son parcours de vie avec les jeunes joueurs. Pensons à un rôle semblable à celui de Brian McGrattan chez les Flames de Calgary. L’ex-dur à cuire a été embauché en 2017 comme « directeur de l’assistance aux joueurs », mais il a précisé au réseau Sportsnet qu’il se voyait d’abord comme un « grand frère ».

« J’ai fait beaucoup d’erreurs et j’ai appris de ces erreurs, affirme Corson. J’en ai long à dire sur les différentes choses à éviter. Quand tu as 19 ou 20 ans, tu peux être facilement trompé. Tu crois que tu ne fais rien de mal et que les personnes qui apparaissent autour de toi veulent ton bien. Mais souvent, ce n’est pas le cas. »

Les réseaux sociaux, estime-t-il, font en sorte que les joueurs inexpérimentés doivent redoubler de prudence. Selon lui, toutefois, la pression exercée par des marchés chauds comme Montréal ou Toronto ne devrait pas être un boulet, mais bien un moteur.

« Cette pression, c’est la raison pour laquelle j’ai tant aimé jouer ici, assure Corson. J’ai adoré que les fans soient impliqués et qu’ils nous l’aient fait savoir quand ils trouvaient qu’on ne travaillait pas assez fort. Sauter sur la glace et savoir que les fans ont la même passion que toi pour ce jeu, il n’y a pas de meilleure sensation au monde. »

Il ne lui manquerait probablement que la satisfaction d’une Coupe Stanley pour avoir vraiment tout accompli. Il en fait peu à peu son deuil, mais se refuse à dire « jamais ». Après tout, ce ne serait pas le fidèle chemin qu’il a parcouru depuis presque quatre décennies. Un chemin long, souvent sinueux, parfois douloureux, mais dont il a aimé « chaque minute ».