(Newark) Travis Zajac a une bonne mémoire. Assez, en tout cas, pour constater que les Devils ont drôlement changé depuis qu’il a débarqué au New Jersey en 2006-2007.

« J’avais 21 ans et j’étais le plus jeune de l’équipe, et de loin. Maintenant, si tu n’as pas 22 ou 23 ans, tu ne fais pas partie de la gang ! »

À ses trois premières saisons, Zajac était en effet le plus jeune membre de l’équipe. Peut-être pas de loin — Zach Parisé avait seulement un an de plus — mais n’empêche : il a dû attendre l’arrivée de Mark Fraser, Nicklas Bergfors et Vladimir Zharkov, en 2009-2010, pour ne plus être le bébé du groupe.

Trêve de noms obscurs. Si on revient sur cette époque, c’est parce que les Devils ne sont plus ceux de Lou Lamoriello. Que ce soit par changement de philosophie ou par la force des choses, cette équipe est devenue une de celles où les jeunes accèdent le plus rapidement à la Ligue nationale.

Dans ce vestiaire, on retrouve en effet cinq joueurs qui ont disputé leur première saison complète dans la LNH avant l’âge de 20 ans : Jack Hughes, Nico Hischier (à 18 ans chacun), Pavel Zacha, Jesper Bratt (à 19 ans chacun) et Mirco Mueller (à 19 ans aussi, mais avec les Sharks de San Jose).

Dans un contexte où la décision d’amener Jesperi Kotkaniemi dans la LNH à 18 ans est remise en question avec le recul, dans le contexte où Cole Caufield, qui vient de fêter ses 19 ans, a déclaré qu’il souhaitait faire le saut dans la LNH dès la fin de la présente saison, le cas des Devils est intéressant à étudier depuis Montréal.

Hughes, le pionnier

Hughes est de loin le plus fascinant du lot. Le tout premier choix du dernier repêchage jouait avec le Programme national de développement des États-Unis, en compagnie de Caufield, d’ailleurs. En accédant à la LNH cette saison, il est devenu le tout premier à faire le saut directement à partir de ce programme.

Mais Hughes est encore chétif, à 1,80 m et 77 kg (5 pi 11 po et 170 lb). Son visage enfantin trahit aussi son âge, même si, quand on le regarde manier la rondelle à l’entraînement, il a l’air de tout sauf d’un bantam.

Sa saison jusqu’ici : 6 buts, 11 aides, 17 points en 43 matchs, un différentiel de - 15, une campagne marquée par deux blessures qui lui ont fait rater un total de huit matchs. À ce rythme, il terminera la saison avec 29 points en 74 rencontres, ce qui serait le plus bas total des dernières années pour un attaquant recrue repêché au premier rang.

Nico Hischier (2017, Devils) : 20-32-52 en 82 matchs
Auston Matthews (2016, Maple Leafs) : 40-29-69 en 82 matchs
Connor McDavid (2015, Oilers) : 16-32-48 en 45 matchs
Nathan MacKinnon (2013, Avalanche) : 24-39-63 en 82 matchs
Nail Yakupov (2012, Oilers) : 17-14-31 en 48 matchs

Ce même Hughes, l’an dernier, avait empilé 112 points en 50 matchs avec le programme américain, et 20 points en 7 matchs au Championnat du monde des moins de 18 ans. C’est un jeune qui a dominé partout où il est passé. Jusqu’à cette année.

« J’essaie de garder en tête la vue d’ensemble. J’ai seulement 18 ans. Je vais jouer plusieurs saisons dans cette ligue », a indiqué Hughes, après l’entraînement de lundi des Devils.

Malgré l’absence de résultats, Alain Nasreddine assure que son protégé est à la bonne place.

« Ce n’est pas seulement un jeune talentueux, il a beaucoup de volonté, assure l’entraîneur-chef par intérim des Devils. Quand t’as un joueur qui a cette mentalité… »

« Ça me fait penser à Sidney Crosby, des gars qui veulent toujours faire la différence. Sauf qu’il a 18 ans. Sid était plus pesant, plus fort. C’est peut-être ce qui manque à Jack. Ça va peut-être être plus long. Mais est-ce qu’il est arrivé trop vite ? Non, car il a un impact positif sur notre équipe. »

« Très dur pour les jeunes »

Pavel Zacha est un autre cas intéressant. Repêché au 6e rang en 2015, il était retourné dans les rangs juniors au terme de son premier camp d’entraînement. Les Devils l’ont ensuite promu dans la LNH dès l’automne 2016.

« La chose la plus dure était le calendrier de 82 matchs. Avant, ma plus longue saison avait été de 68 matchs à Sarnia [il en avait disputé 51 en saison]. Je devais m’entraîner pendant la saison pour rester en forme. C’est très dur pour les jeunes de jouer autant de matchs, surtout en février et en mars. Dans le junior, tu peux t’en tirer, jouer moins bien contre de moins bonnes équipes et gagner. Mais dans la LNH, tu ne t’en sauves pas, tu n’as pas le choix de mieux jouer. »

Zacha fait aujourd’hui 96 kg (210 lb) et avait essentiellement le même gabarit à 19 ans. « Mais je n’avais pas assez de muscle. Je patinais 15 secondes et mes jambes se fatiguaient. Ça vient avec l’âge », croit-il.

Avec les difficultés qu’il a connues à 19 ans, est-ce qu’un jeune de 18 ans peut avoir sa place dans la LNH ?

« Connor McDavid et Jack Eichel ont excellé en partant. Moi, j’avais besoin de l’année de plus. Pour un Européen, avec la culture et la langue, ça fait des obstacles additionnels. Mais ça dépend vraiment de chaque joueur. Le plus important, c’est d’avoir des minutes. Si tu joues en avantage numérique, dans des situations que tu connais, c’est plus facile de s’ajuster. » 

Si tu ne joues que 10 minutes par match, je ne crois pas que ça t’aide beaucoup à te développer. Si j’avais joué ici à 18 ans, je n’aurais peut-être pas joué autant.

Pavel Zacha

Zacha était justement passé lors d’une année hors du commun. McDavid est un talent unique de sa génération, tandis qu’Eichel aurait été le premier choix n’importe quelle autre année. De plus, Eichel a eu 19 ans dès le début de la saison, puisqu’il est né en octobre. L’année suivante, Matthews dominera dès son arrivée dans le circuit, lui aussi à 19 ans.

Les succès de ces trois attaquants exceptionnels ont peut-être contribué en partie à gonfler les attentes à l’égard de jeunes. Or, en 14 ans chez les Devils, Travis Zajac en a vu passer un et un autre. On pourrait ajouter Adam Larsson (échangé contre Taylor Hall depuis), 4e choix au total en 2011, qui a lui aussi fait le saut directement dans la LNH. Zajac en sait quelque chose sur les difficultés qui attendent ces joueurs qui n’ont pas l’âge de s’acheter une Rolling Rock à la taverne du coin.

« C’est une ligue difficile. C’est dur de jouer 82 matchs et d’être à ton mieux. On l’a découvert, ça nous a fait mal certains soirs. Regarde à travers la ligue, ce sont encore les équipes de vétérans qui sont au sommet, qui sont devant les groupes plus jeunes. Mais tu dois vivre certaines expériences pour grandir en tant qu’équipe. »