« Tu sais quoi ? On dirait qu’Alexis n’a pas de sang dans ses veines. Je ne sais pas comment t’expliquer ça. Il n’est pas normal. »

Ainsi Hugo Lafrenière me décrivait-il son fils récemment. C’est vrai que dans la vie, Alexis Lafrenière est cool. Calme. Inébranlable. Mais sur la glace, c’est une autre créature. C’est Astérix après une lampée de potion magique. C’est Peter Parker dans son costume d’homme-araignée. C’est Clark Kent sous sa cape de superhéros.

J’exagère ?

Même pas !

Il y a une semaine, Alexis Lafrenière se tordait de douleur après une collision avec le gardien russe. Blessure à un genou. Plusieurs observateurs croyaient sa saison terminée. Son statut de premier joueur repêché en juin prochain était remis en question. Huit jours plus tard, il ajoutait quatre lignes à son CV : 

– champion du monde junior ;

– membre de l’équipe d’étoiles ;

– meilleur attaquant de la compétition ;

– joueur par excellence du tournoi.

PHOTO RYAN REMIORZ, LA PRESSE CANADIENNE

Alexis Lafrenière

Un palmarès remarquable pour tout hockeyeur. Mais encore plus impressionnant pour un jeune de 18 ans incommodé par une blessure et en attente d’être repêché. Alexis Lafrenière a terminé le championnat avec 10 points en 5 parties. Pour une moyenne de deux points par match. Savez-vous combien d’autres joueurs depuis l’an 2000 ont maintenu une telle moyenne lors de leur année de repêchage ?

Seulement trois.

John Tavares. Taylor Hall. Jesse Puljujärvi.

Considérant tout cela, il est normal que tous se prêtent au jeu des comparaisons. L’attaquant québécois est-il un futur Vincent Lecavalier ? Le prochain Nathan MacKinnon ? L’héritier de Sidney Crosby ?

Non, non et non.

Il sera le premier Alexis Lafrenière.

Un joueur au style unique.

Un trois-en-un.

1– Puissant. Lorsqu’il fonce vers le gardien avec la rondelle, on dirait un taureau dans un magasin de kilims rouges. Son échec avant est remarquable. Lorsqu’il poursuit un défenseur, son corps semble s’étirer de 186 centimètres à 200. Le long des bandes, il n’hésite pas à écraser ses adversaires pour récupérer la rondelle. Une qualité rare parmi les marqueurs.

2– Rapide. Oui, en ligne droite. Mais surtout grâce à sa capacité à échapper à ses poursuivants. Il les laisse dans le brouillard en passant de l’aile gauche au flanc droit, ou de la ligne bleue au demi-cercle du gardien en moins de deux secondes. Ce qui rend pratiquement impossible une couverture d’homme à homme.

3– Précis. Son tir du poignet est inouï. Le gardien finlandais en a été témoin lors du cinquième but du Canada en demi-finale. Sa vision du jeu ? Exceptionnelle. Il fait bien paraître tous les joueurs autour de lui – sauf ses adversaires. Et son jeu de passe ? Parmi les meilleurs au monde, toutes catégories d’âge confondues.

Ce n’est pas compliqué. Chaque fois qu’il touche à la rondelle, il se passe quelque chose. Pas étonnant que dans la LHJMQ, cette saison, Alexis Lafrenière ait amassé au moins quatre points dans huit de ses 32 parties. Soit le quart de ses matchs !

Mieux encore : il a quitté l’Océanic de Rimouski pour l’équipe canadienne il y a 30 jours. Un mois plus tard, il est toujours en tête des marqueurs du junior majeur.

Pas juste au Québec.

Dans tout le Canada.

Et s’il y a encore des amateurs qui remettent en question sa sélection au premier rang du repêchage de la LNH qui sera présenté à Montréal en juin, lisez bien ceci. Son principal concurrent, le Canadien Quinton Byfield, n’a même pas sauté sur la patinoire une seule fois dans la finale contre les Russes. En fait, aucun autre joueur admissible pour la première fois au repêchage n’a maintenu une moyenne de plus d’un point par match au Championnat du monde junior.

Joueurs à leur première année de repêchage

(Matchs-buts-aides-points)
Alexis Lafrenière, Canada, 5-4-6-10
John-Jason Peterka, Allemagne, 7-2-4-6
Lukas Reichel, Allemagne, 7-3-2-5
Alexander Holtz, Suède, 7-3-2-5
Tim Stützle, Allemagne, 5-0-5-5

Plusieurs me reprocheront ce matin mon excès d’enthousiasme pour un joueur de 18 ans qui n’a toujours pas fait ses preuves dans les rangs professionnels. Soit. Mais je ne bouderai néanmoins pas mon plaisir de voir un hockeyeur formé ici réussir à se démarquer sur la scène internationale.

Et inspirer autant les jeunes dans nos arénas à se dépasser.

***

Quelques mots par ailleurs sur deux autres espoirs qui ont retenu mon attention au Championnat du monde junior.

D’abord, Joseph Veleno. Le centre montréalais m’a impressionné. Dans la finale contre les Russes, il a joué plus de 25 minutes. Le plus haut total de l’équipe canadienne – incluant les défenseurs. J’ai surtout noté son jeu en infériorité numérique, une force que je ne lui connaissais pas. J’espère que le tournoi lui a permis de rebâtir sa confiance, lui qui en arrachait dans la Ligue américaine depuis le début de novembre.

L’autre, c’est le défenseur russe Alexander Romanov, dont les droits appartiennent au Canadien. 

PHOTO PETR DAVID JOSEK, ASSOCIATED PRESS

Alexander Romanov

Tout au long du tournoi, ses adversaires ont tenté de l’éviter le long des bandes. Je les comprends. Ceux qui l’ont défié retourneront dans leur pays avec de mauvais souvenirs… Il s’est révélé aussi efficace en défense qu’en attaque. Ses 14 points lors des deux dernières présentations du Championnat sont d’ailleurs un record pour un arrière russe.

Les défenseurs mettent généralement plus de temps que les attaquants à s’établir dans la LNH. C’est pourquoi je ne vois pas Romanov sur la première paire du Canadien dès la saison prochaine. Mais sur la deuxième paire avec des responsabilités en infériorité numérique ? Absolument.

Reste maintenant à le convaincre de quitter la KHL pour Montréal.