Jeff Petry commence à connaître la chanson. Pendant ses cinq années à Edmonton, il a vu défiler cinq entraîneurs derrière le banc. Arrivé à Montréal en 2015, il a vu Michel Therrien perdre son poste deux ans plus tard.

Alors quand une équipe subit huit défaites de suite et que de plus en plus d’amateurs réclament des congédiements, que ce soit celui de Claude Julien ou de Marc Bergevin, il sait à quoi s’en tenir.

« J’ai vécu ça quelques fois, lance-t-il, moitié amusé, moitié dépité. On ne joue pas du mauvais hockey. Les deux derniers matchs, on aurait très bien pu les gagner. On reçoit très bien le message des entraîneurs. On sait ce qu’on doit faire. »

L’effort est encore là. Personne n’a abandonné l’entraîneur et les autres joueurs.

Jeff Petry

Julien aussi s’y connaît, ayant traversé quelques tempêtes à Boston. Des exemples ? Une série de 10 défaites en janvier-février 2010. En mai de la même année, les Bruins mènent 3-0 dans leur série de deuxième tour contre les Flyers de Philadelphie, qui gagnent alors les quatre matchs suivants. Un an plus tard, les Bruins connaissent une fin de saison couci-couça et se retrouvent en retard 0-2 contre le Canadien après avoir perdu les deux premiers matchs à domicile.

Ces soubresauts n’ont pas empêché Julien de survivre à Boston jusqu’en février 2017, de gagner la Coupe Stanley en 2011 et d’atteindre la finale en 2013. Alors quand une ville réclame sa tête, il n’est pas du genre à se laisser déranger.

« Ça fait assez longtemps que je suis entraîneur dans la LNH, et ce n’est pas la première fois que je passe des situations comme ça, a indiqué Julien. J’ai du vécu et je réalise qu’il faut rester calme et positif, et qu’il ne faut pas faire semblant de croire qu’on va s’en sortir, mais y croire réellement. Les joueurs ne sont pas fous. Si tu fais semblant de croire en eux, ils vont s’en rendre compte. »

C’est peut-être ce qui explique pourquoi l’entraîneur- chef a paru si combatif en conférence de presse lundi. Par exemple quand il a rappelé que « de façon réaliste, on aurait pu avoir quatre victoires et quatre défaites ». Étant donné que trois des huit défaites ont été subies en prolongation, il y a une part de vérité dans ce qu’il affirme. Et après tout, s’il croit à ce point en ses joueurs, il est normal que sa lecture soit si optimiste.

Des options limitées

Réclamer des changements est une chose. Le Tricolore est en voie de rater les séries éliminatoires pour la quatrième fois en cinq ans. Dans une organisation aux ressources financières aussi profondes, dans une ligue où la moitié des équipes accèdent aux séries, un tel rendement est anormal.

Mais encore faut-il savoir ce qu’il y a comme option de remplacement. Julien a ses défauts, mais ses possibles successeurs en ont aussi ! Les années d’expérience chez les professionnels, notamment, sont un critère d’importance.

Jeremy Colliton, nommé entraîneur-chef des Blackhawks de Chicago après à peine une saison derrière le banc dans la Ligue américaine, relève de l’exception. Du reste, les récents entraîneurs qui ont fait le saut directement de la NCAA à la LNH (David Quinn, Jim Montgomery, Dave Hakstol) ont vécu des expériences tumultueuses. Celle de Hakstol à Philadelphie a pris fin après trois saisons et demie.

Sachant cela, voici donc un coup d’œil rapide sur quelques options.

Kirk Muller
L’option la plus simple, parce qu’il est déjà ici comme entraîneur associé, et qu’il œuvre derrière les bancs de la LNH sans interruption depuis 2006. Par contre, il ne parle pas français, et la dernière expérience avec un entraîneur unilingue anglophone (Randy Cunneyworth) a créé des remous. Muller part toutefois avec un capital de sympathie plus élevé que Cunneyworth. Mais les Hurricanes de la Caroline ont raté les séries trois fois en trois ans lors de sa seule expérience comme entraîneur-chef. Ses succès, il les a connus dans le rôle d’adjoint.

Dominique Ducharme
Lui aussi travaille déjà comme adjoint chez le Canadien. Sa feuille de route est éloquente dans les rangs juniors et il a les outils pour devenir entraîneur-chef dans la LNH un jour. Mais chez les pros, il ne compte qu’une saison et un tiers d’expérience.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Patrick Roy

Patrick Roy
Rares sont les entraîneurs à passer directement des rangs juniors à la LNH. Patrick Roy l’a fait chez l’Avalanche du Colorado en 2013. Un succès et un trophée Jack-Adams dès sa première année, mais des complications et un départ explosif ensuite. Le voici de retour dans la LHJMQ, à Québec. La question qui revient toujours à son sujet : directeur général ou entraîneur ?

Bob Hartley
Il dirige l’Avangard d’Omsk dans la KHL. Marc Bergevin est actuellement en Russie, mais c’est pour rencontrer l’espoir Alexander Romanov, qui joue à Moscou. Et quoi qu’il en soit, il est permis de douter qu’une équipe de la KHL laisse partir son coach en plein milieu d’une saison, tout bonnement ! Ajoutons que Hartley, malgré son image profondément sympathique, n’a pas connu de grands succès depuis son départ de l’Avalanche en 2002. Il a bien gagné le Jack-Adams en 2015, mais il a raté les séries dans cinq de ses sept dernières saisons complètes.

Pascal Vincent
Un profil très intéressant, puisqu’il bosse dans l’organisation des Jets de Winnipeg depuis 2011. Adjoint dans la LNH au début, il dirige maintenant le club-école depuis 2016. Vincent n’a jamais caché qu’il se plaisait à Winnipeg, les Jets ont vécu des moments troubles dernièrement, et Paul Maurice est derrière le banc depuis 2013. Rares sont les entraîneurs qui demeurent en poste aussi longtemps. D’un côté, on pourrait aussi comprendre Vincent de voir où ça s’en va au-dessus de lui. De l’autre, on doit aussi se souvenir qu’il a eu Ducharme et Joël Bouchard comme adjoints chez le Junior de Montréal.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Benoît Groulx

Benoît Groulx
Un autre qui deviendra pilote dans la LNH un jour. Il en est à sa quatrième saison à Syracuse, le club-école du Lightning de Tampa Bay. Finaliste de la Coupe Calder la première année, puis des saisons de 46 et 47 victoires. Il continue en outre à produire des joueurs pour le grand club, avec Mathieu Joseph, Anthony Cirelli, Yanni Gourde et Erik Cernak comme récents exemples.

Alors oui, il y a des options si Bergevin estime que Julien n’est plus l’homme de la situation. Groulx et Vincent ont certes des contrats ailleurs, mais lorsqu’un entraîneur peut être promu dans la LNH, son employeur serait bien mal vu de lui barrer la route. Sauf qu’il n’y a pas non plus de sauveur en dormance égaré quelque part.

Il faut aussi reconnaître que Julien travaille avec les éléments que son directeur général lui fournit. Lorsque Julien doit employer Ben Chiarot pendant 29 minutes, lorsque Jordan Weal, Nick Cousins et Charles Hudon jouent en avantage numérique, c’est signe que les ressources sont limitées.

À ce sujet, on peut se demander si Bergevin aura le loisir d’embaucher un troisième entraîneur-chef au cours de son mandat. Seulement six directeurs généraux actuellement en poste en ont embauché autant : Bob Murray (Anaheim), Jim Nill (Dallas), Dale Tallon (Floride), Rob Blake (Los Angeles), Doug Wilson (San Jose) et Doug Armstrong (St. Louis).

Qu’ont en commun ces six marchés ? Ils ne sont pas exactement des fournaises comme peut l’être Montréal.