Denis Gauthier n’a pas trop tardé à faire la transition entre sa carrière de joueur et celle d’entraîneur. Le 11 avril 2009, il disputait son dernier match dans la LNH. Seize mois plus tard, il débarquait chez les Voltigeurs de Drummondville à titre d’entraîneur adjoint.

« J’ai eu un choc culturel. Ça m’a pris un an ou deux avant de comprendre comment ça fonctionnait aujourd’hui, comment les jeunes réagissent à des consignes », raconte l’ancien défenseur au bout du fil.

Le monde du hockey tremble depuis quelques jours, en raison d’une séquence d’événements bien détaillée dans la chronique du collègue Philippe Cantin mercredi.

Bref, le bar est ouvert. Tellement que Darren Dreger, de TSN, a indiqué mardi que l’Association des joueurs de la LNH (AJLNH) aurait demandé à ses membres de cesser de publier directement leurs témoignages sur les réseaux sociaux. Dreger a même dû « clarifier » ses propos mercredi, en rappelant que l’AJLNH ne demandait pas à ses membres de se taire.

« Si les joueurs sont rendus sur Twitter, c’est parce qu’ils en ont parlé et que ça n’a pas fonctionné. Ils ne sont pas pris au sérieux, ne se sentent pas écoutés. C’est le résultat d’une "écœurantite". Si les proprios avaient pris ça au sérieux, on n’en serait pas là », s’indigne l’ancien joueur Enrico Ciccone, aujourd’hui député de Marquette et porte-parole de l’opposition officielle en matière de sports, de loisirs et de saines habitudes de vie.

Jouer dans la tête

La Presse a consulté cinq anciens joueurs de la LNH afin de mieux comprendre le type de culture qui est aujourd’hui dénoncé.

Mathieu Garon est du nombre. C’est un peu un secret de Polichinelle, dans le milieu du hockey, que Michel Therrien avait pris en grippe le gardien. Therrien l’avait dirigé dans les filiales du Canadien à la fin des années 90, puis brièvement à Montréal. « Jusqu’à le faire pleurer devant ses coéquipiers », avait écrit Ciccone dans une chronique à Radio-Canada il y a deux ans.

« Chaque joueur réagit différemment aux méthodes des entraîneurs, souligne Garon, qui travaille aujourd’hui à Tampa pour l’organisation du Lightning. Michel est un gars très intense. Je ne dirais pas qu’il faisait de l’intimidation, mais il jouait la game du gars dur. Mais ce n’était pas comme ça que t’allais chercher le meilleur de moi. J’avais plus besoin de tapes dans le dos. »

On parle de Michel [Therrien], mais j’ai aussi eu Marc Crawford, qui était très dur comme Therrien. Et à l’autre extrême, j’ai eu Claude Julien, qui m’amenait dans le bureau et me parlait calmement quand il avait quelque chose à me dire.

Mathieu Garon

Gauthier s’y connaît aussi en matière d’entraîneurs durs, ayant joué pour Brian, puis Darryl Sutter. A-t-il été témoin ou victime de gestes ou de paroles qui ne seraient plus acceptés aujourd’hui ?

« Assurément. Mais je n’ai pas le goût de les étaler en public. Ce n’était rien de bien grave, mais c’était inacceptable.

« Ils m’ont fait vivre des choses et ont joué sur mes sentiments. Ils m’ont fait la vie dure. Mais en rétrospective, ce ne sont pas de mauvaises personnes hors glace. C’est juste qu’à l’aréna, ils deviennent crinqués. Je ne leur en tiens pas rigueur. La différence, c’est que nous, la vieille génération, on était plus enclins à se retrousser les manches et à travailler plus fort.

« Ce n’est pas pire ni mieux : c’est différent. Il y avait beaucoup d’intimidation et de discipline dans le temps. Si ça ne marche pas, on va te renvoyer, tu ne joueras pas. Aujourd’hui, c’est : "comment tu te sens, qu’est-ce que je peux faire pour que tu performes aujourd’hui ?" On essaie de comprendre les jeunes. La façon de soutirer le maximum a changé. »

Les jeunes sont visés

Dans son autobiographie signée par le journaliste Martin Leclerc, Daniel Brière fait état de sa relation tumultueuse avec Therrien, et de la guerre psychologique que pouvait lui livrer l’entraîneur pendant l’unique saison de Brière à Montréal, en 2013-2014. Brière soutient par exemple que Therrien lui disait que ses coéquipiers ne le respectaient plus.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Therrien

À la lumière de cette histoire, on comprend que des vétérans peuvent être pris à partie par leur entraîneur. Mike Babcock, congédié la semaine dernière à Toronto, a d’ailleurs eu des histoires avec Mike Modano, Chris Chelios et, plus récemment, Jason Spezza. Idem pour Mike Keenan, qui en a fait baver à Trevor Linden à Vancouver, foi de Ciccone.

Mais les jeunes joueurs semblent particulièrement vulnérables face aux entraîneurs les plus durs.

« J’ai connu des entraîneurs tough. J’ai eu Therrien, Keenan, John Tortorella, énumère l’ancien attaquant André Roy. Michel n’a pas été si pire avec moi. Ces trois-là jouaient surtout dans la tête des jeunes. Par exemple : “T’aurais pu être renvoyé dans les mineures aujourd’hui. J’avais un billet d’autobus pour toi, mais je l’ai déchiré.” »

« On voyait beaucoup ça dans la Ligue américaine, rappelle Ciccone. Tous les gars qui sont là veulent jouer dans la LNH. C’est plus facile de les contrôler, de les intimider. Physiquement, ils sont tous forts. Mais mentalement, ils ne le sont pas. »

Les RH…

Si plusieurs ont pris la parole ces derniers jours, il persiste tout de même un courant de pensée selon lequel les joueurs n’ont pas à se plaindre et doivent respecter l’autorité.

Mike Weaver incarne ce courant. Une précision, cependant : lui aussi juge inacceptables les propos racistes qu’aurait tenus Bill Peters envers Akim Aliu. « La simple existence de termes racistes me renverse », lance l’ancien défenseur du Canadien. Mais du reste, il trouve que le courant actuel va loin.

« On a atteint un point où, en tant qu’entraîneur, tu ne peux plus rien dire. Tu dois être politiquement correct, et ça tue le sport. Tu ne peux plus enseigner comme tu le faisais auparavant. À l’époque, on était des jeunes et on nous traitait comme des hommes. Aujourd’hui, les jeunes tentent de tirer avantage de chaque situation. Ils savent ce qu’ils peuvent faire, et avec quoi ils peuvent s’en tirer.

« Il n’y a pas de département des ressources humaines dans un vestiaire. Pour obtenir le maximum de tes joueurs, tu dois être respecté. Un entraîneur va gagner le respect en se donnant corps et âme pour ses joueurs. Les entraîneurs que je respectais le plus, ce n’était pas nécessairement ceux qui me faisaient patiner des minutes supplémentaires ; c’était plutôt ceux qui patinaient avec moi.

« Tu dois mériter le respect de tes joueurs, mais ce respect a grandement disparu. Il est plus difficile de se faire respecter par ces jeunes, qui sentent qu’ils auraient dû avoir hier le nouvel iPhone qui sort aujourd’hui. Ils veulent le respect sans l’avoir mérité au préalable. »

Le début d’une vague ?

« Je ne suis pas surpris de voir ces histoires sortir, affirme Ciccone. Ça fait 20 ans que j’ai toujours souligné des gestes d’intimidation des entraîneurs, que ce soit d’envoyer un gars se battre ou de dire des choses blessantes. »

J’ai toujours dénoncé cette intimidation, et les joueurs de la LNH le font de plus en plus. Je leur dis bravo. Quand les gars sont retraités, c’est peut-être plus facile de parler.

Enrico Ciccone, député de Marquette et ancien joueur de la LNH

Il est encore trop tôt pour affirmer que l’on assiste au début d’un mouvement. Mais Gauthier sent que la dernière semaine pourrait déjà laisser des traces.

« Ça pourrait rendre la vie des coachs plus difficile. Plusieurs coachs vont se dénaturer, vont changer leurs façons de faire, prédit Gauthier. Pour certains, ce sera pour le mieux. Mais d’autres seront tellement nerveux de dire ou faire la mauvaise chose qu’ils ne seront plus eux-mêmes.

« Mais si des choses doivent sortir, il faut que ça sorte, poursuit Gauthier. Je ne veux pas que ça reste sous le couvert de l’anonymat. Je ne veux pas qu’on règle seulement des cas isolés, juste pour faire plaisir à tout le monde. Ce sont peut-être des cas isolés, mais il y en aura d’autres qui ne voudront pas parler et qui ont été victimes de choses dégradantes. Si on balaie sous le tapis, on ne réglera pas le problème à long terme. »