Petit match du jeudi soir au Centre Bell. Le Wild du Minnesota visite le Canadien. Le Wild n’a de Wild que le nom. L’équipe est plutôt straight. Trop straight. En ce début de saison, Minnesota est dans les bas-fonds du classement. Une fiche d’une victoire et de cinq défaites pour un maigre résultat de deux points. Le Tricolore, lui, fait un peu mieux ; deux victoires, deux défaites en temps réglementaire, deux défaites en temps supplémentaire, pour six points. Moyen. Moyen. Bref, peu de chances que ce match rivalise d’intensité avec le classique du 31 décembre 1975 contre les Soviétiques, au Forum.

Ça commence tranquillos. Rien pour écrire à sa mère ni pour appeler Ron Fournier. L’ambiance est prise dans le trafic. Puis, vers la 14e minute de jeu de la première période, le quatrième trio du Canadien est sur la glace. Nate Thompson pousse la rondelle dans le fond de la zone adverse. Le défenseur du Wild tente de la récupérer, mais Nick Cousins est plus rapide, il la lui enlève et la remet devant le filet pour Victor Mete. Il baisse un genou, et tire sur réception de l’enclave. C’est le but ! Et c’est l’euphorie dans l’amphithéâtre. Le 53 a compté ! Aucun doute, le 53 a compté. 

Weber et Armia sont les premiers à venir l’entourer. Ils ont le sourire large comme la Coupe Stanley. Tous les joueurs sur le banc se font des high five comme une équipe de petits culs qui vient de gagner le tournoi peewee de Québec. Ce ne sont pas les manifestations machinales d’autosatisfaction d’usage qui suivent le premier but marqué dans un match. Là, les boys sont plus que contents. Ils sont heureux. Heureux pour leur chum Victor. Et le public dans l’aréna est heureux. Heureux pour le petit Mete. 

Et moi, devant ma télé, je suis heureux, aussi. On a tous la même face. Une face qui dit enfin !

Ça fait trois ans que Victor Mete joue avec le Canadien. C’est son 127e match dans la LNH, ce soir. Il n’avait jamais compté un but, avant. Pas un. Même pas un petit but chanceux. Même pas une déviation sur le patin de l’autre joueur. Et voilà que sans prévenir, il en marque un vrai. Un franc. Un beau. D’un endroit où un défenseur s’aventure rarement. La foule n’en revient pas encore. La foule capote. Comme pour un but de Guy Lafleur. L’ovation ne dérougit pas. Elle est rouge feu. Rouge Canadien. Le moins expressif dans tout ça, c’est Mete, lui-même. Il est sous le choc. Comme lorsqu’on vit une grosse sensation pour la première fois. Un premier tour de bicyclette, un premier french. On se demande ce qui se passe en nous. Il sourit tout simplement. Un sourire bien accroché comme Guy Carbonneau qui s’accrochait à Peter Stastny. Il doit encore l’avoir, ce matin.

Pourquoi tant d’émoi ? Compter son premier but dans la Ligue nationale, à son 127e match, ce n’est pourtant pas un exploit. On pourrait même dire que c’est le contraire. Un non-exploit. Un gros retard. Une faiblesse. La preuve, le jeune Nick Suzuki profite de la même soirée pour compter son premier but, aussi, dans le circuit, à son septième match, seulement. Avec 120 matchs d’avance sur Mete. On était contents pour Suzuki. Très contents. Mais pas autant que pour Mete.

Parce que Mete, jeudi soir, c’était notre Rocky. Et les Rocky, on aime ça. Le jeune homme de Woodbridge, Ontario, est arrivé à Montréal, en 2017, à l’âge de 19 ans. L’année précédente, dans le junior, il avait compté 15 buts, ce qui est très respectable pour un défenseur. On disait même de lui qu’il était un défenseur offensif. Mete n’est pas passé par la Ligue américaine. Tout de suite avec le gros club. Et presque tout de suite, avec le gros joueur du gros club. On l’a rapidement mis en duo avec Shea Weber. Le géant vert avec le pois vert. 

Mete s’est donc retrouvé à jouer contre les meilleurs joueurs des autres équipes. Allô, Crosby ! Allô, Ovechkin ! Allô, McDavid ! Ça va vite. Très vite.

Faut croire qu’il ne se débrouille pas si mal, puisque trois ans plus tard, il est toujours à côté de Weber. C’est sûr que ça veut surtout dire que le Canadien n’a pas la défensive du siècle. Ailleurs, Mete ne jouerait sûrement pas dans la première paire de défenseurs. Peut-être même pas la deuxième. Mais malgré le fait que Mete n’est pas la tour qu’on espérerait, pour compléter Weber et faire le ménage devant Price, on ne peut rien lui reprocher. Parce que Mete fait tout ce qu’il peut. Parce que Mete veut. Parce que Mete se présente tous les soirs, comme ils disent à la télé. Parce que Mete a la bonne attitude. Le public ne l’a jamais pris en grippe. Son zéro but était devenu un running gag. Ou plutôt un skating gag. Personne ne huait Mete. 

Chaque fois qu’il passait près, on se disait : pauvre Mete. On aime Mete comme on aime Charlie Brown. Parce qu’il ne lâche jamais. Jeudi, Charlie Brown a finalement réussi à botter son ballon de football. Jeudi, Rocky a finalement gagné un combat. Et c’est pour ça qu’il méritait la fête qu’on lui a faite. Quand on ne lâche pas, quand on persévère, la réussite est encore plus enivrante.

Et surtout, surtout, quand on a la bonne attitude, même si on n’est pas capable d’en mettre une dedans, on n’est jamais un perdant. Et les gens ne vous traitent pas en perdant. Parce que l’effort est là. Durant ces 127 matchs, l’effort de Mete était là. C’est pour ça qu’on a tous explosé de joie, lors de son premier but, il y avait 127 matchs d’efforts derrière, ce but. C’était un but pesant. Ça valait une tonne d’applaudissements !

À tous ceux qui, en ce moment, forcent très fort, depuis très longtemps, sans que ça arrive, dites-vous que Victor Mete a fini par scorer, alors vous allez finir par scorer, vous aussi. Ce n’est qu’une question de temps. Faut juste pas s’apitoyer. Faut juste pas abandonner. Faut juste pas arrêter de lancer.

Bravo à tous les Victor Mete !