Je fouille dans ma mémoire et je suis incapable de me rappeler deux matchs aussi excitants du Canadien en ouverture de saison. De la vitesse, des chances de marquer, des rebondissements, du suspense du début à la fin : la preuve concrète, comme disait le philosophe Yogi Berra, que ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini.

Si ces deux rencontres étaient une exception dans la Ligue nationale, on pourrait croire à une simple coïncidence. Mais non. Plusieurs autres rencontres ont été palpitantes depuis le début du calendrier la semaine dernière. Les Jets de Winnipeg, par exemple, ont comblé un déficit de 4-0 pour vaincre les Devils du New Jersey 5-4.

Cette tournure des évènements me réjouit. Parce qu’elle signifie qu’un débat est en voie d’être gagné. Celui mené par tous ceux qui, depuis 10, 15, 20 ou 30 ans, dénoncent la violence dans la Ligue nationale. Les défenseurs du statu quo – comme Gary Bettman – disaient que les combats servaient de « thermostat » dans un match, qu’ils faisaient baisser le mercure quand la chaleur devenait trop intense sur la patinoire.

De nombreuses personnes, dirigeants, analystes ou fans, adhéraient à cette théorie. Elles soutenaient que les bagarres étaient une partie essentielle du spectacle, que le jeu deviendrait ennuyant à mourir si quelques durs ne s’échangeaient plus de bonnes taloches pour pimenter l’action. Voyez, disaient-ils, comment les gens se lèvent dans les gradins quand un combat s’annonce, comment l’attrait des tapes sur la gueule est fort, oui, mesdames et messieurs, ça c’est du hockey…

Et puis, tranquillement, des voix se sont élevées avec force pour rappeler que le hockey était un sport merveilleux n’ayant pas besoin de ces artifices pour retenir l’attention : Serge Savard, Ken Dryden, Steve Yzerman, Ray Shero, Jim Rutherford…

Beaucoup de partisans, conscients que la violence provoquait des séquelles graves chez plusieurs athlètes, ont alors compris qu’une réflexion s’imposait. Comment, en effet, ignorer les effets des commotions cérébrales ?

Peu à peu, on a compris que les directs au visage et les coups à la tête, peu importe la manière dont ils sont appliqués, sont inutiles et dangereux.

Des équipes ont donné le ton. Au lieu d’aligner un dur à cuire sur le quatrième trio, elles ont fait appel à un joueur rapide et explosif. Du coup, le rythme des matchs a changé : plus de vitesse, moins de « bûchage ».

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Au fil des années, j’ai beaucoup écrit sur la violence au hockey. Vous dire le nombre de courriels que j’ai reçus de gens en désaccord avec ma position ! Aujourd’hui, je ne les entends guère. Ça ne m’étonne pas. Car même si nous n’étions pas d’accord, je savais qu’ils demeuraient des amateurs passionnés. Et que rien ne les faisait triper comme un match chaudement disputé. Je pense que le hockey de 2019 leur fait plaisir.

Quelqu’un s’est-il ennuyé en regardant les deux premiers matchs du Canadien ? Ils ont été enlevants de bout en bout. Samedi, nous étions sûrement des centaines de milliers de personnes, partout au Canada, à triper sur ce duel. En troisième période, quand le CH a amorcé sa remontée, nous étions sur le bout de nos sièges. Y a-t-il eu une seule bataille ? Un seul coup vicieux ? Un seul homme fort pour brandir ses poings ? Pas du tout ! Que de la vitesse, de la dextérité, de l’imagination, de la créativité, de l’acharnement…

Si la tendance se maintient cette saison – et je pense que ce sera le cas –, la LNH consolidera les acquis d’une transformation majeure. Comme si l’ère des dinosaures était terminée. Bien sûr, il y aura encore des incidents regrettables. Mais on peut croire qu’ils iront toujours en diminuant, comme c’est le cas depuis quelques saisons.

Aujourd’hui, de petits joueurs de talent s’imposent. Et les organisations s’ajustent en conséquence. Ainsi, en juin dernier, le Canadien a choisi au premier tour Cole Caufield, un attaquant de 5 pi 7 po avec un don unique pour marquer des buts.

PHOTO CHRISTOPHER KATSAROV, LA PRESSE CANADIENNE

Le Canadien et les Maple Leafs se sont livré un duel endiablé, samedi soir.

Six ans plus tôt, l’organisation avait plutôt opté pour un centre format géant, Michael McCarron, dans l’espoir de « grossir » sa formation. Un fait anecdotique, vous dites, duquel on ne peut tirer de grandes conclusions ? Pas sûr !

Si le hockey n’avait pas changé au cours des dernières années, si de « petits » joueurs comme Johnny Gaudreau (Flames de Calgary) et Alex de Brincat (Blackhawks de Chicago) n’étaient pas devenus des têtes d’affiche du circuit, le CH n’aurait jamais pris ce risque. Si Caufield remplit ses promesses, plusieurs organisations regretteront de ne pas l’avoir sélectionné… pour les mauvaises raisons. Cela contribuera encore à l’évolution des mentalités.

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La diminution de la violence n’est qu’une partie de l’équation pour expliquer l’amélioration du spectacle dans la LNH. L’autre, tout aussi importante, est le retour en force de l’attaque. N’est-ce pas formidable que Carey Price ait été un héros des siens samedi tout en accordant cinq buts ? Ce n’est pas tout : samedi, au moins huit buts ont été marqués dans cinq matchs différents.

Dans les années 80, lorsque Wayne Gretzky, Mario Lemieux, Denis Savard et Peter Stastny récoltaient des points à la pelletée, la plupart des gardiens de but n’étaient pas des géants. Et l’étude des vidéos, qui permet de déceler les tendances de l’adversaire, était une pratique en développement.

Peu à peu, avec l’aide de la technologie et l’augmentation du nombre d’entraîneurs spécialisés, les plans de match se sont perfectionnés. Et cela a favorisé outrageusement le jeu défensif. D’autant plus que le laxisme dans l’application des règlements permettait à un joueur de deuxième ordre de ralentir illégalement une star.

On assiste maintenant à un retour du balancier. Les équipes entrent en zone adverse avec une énergie remarquable. Des contre-attaques rapides s’en suivent, augmentant d’autant le nombre de chances de marquer. Tout cela donne du jeu haletant.

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Depuis quelques années, le hockey des séries éliminatoires est une affaire de vitesse et d’intensité. Maintenir cette cadence durant tout le calendrier est impossible. Mais en ce début de saison, les équipes appuient à fond sur l’accélérateur. Et c’est tant mieux !

Peut-on enfin parler d’une « nouvelle » Ligue nationale ? Attendons avant de déboucher le champagne, puisque d’inévitables reculs surviendront à l’occasion. Mais avouons que l’avenir augure bien.