(Belleville, Ontario) On est en décembre 2018, dans un banal match de saison de la Ligue junior de l’Ouest entre Everett et Prince George.

Un certain Mike MacLean, un ogre de 6 pi 7 po et 234 lb, échange des coups de bâton derrière le jeu avec un rival. Gianni Fairbrother en a assez et va à la rescousse de son coéquipier ; le défenseur se rue vers MacLean, le plaque, et les gants tombent. Du haut de ses 6 pi et 192 lb, Fairbrother survit au duel. Il lance même quelques droites, avant de renverser son rival.

Six mois plus tard, le Canadien repêche Fairbrother au 3e tour. En point de presse, Trevor Timmins évoquera ce combat lorsqu’il sera questionné sur le défenseur gaucher.

À une certaine époque, ce genre de raisonnement était monnaie courante. Reculons simplement d’une décennie ; en 2009-2010, il y avait au moins une bagarre dans 40 % des matchs de la LNH. La saison dernière, ce chiffre est passé à 17 %. Un match sur six.*

Dans ce contexte, comment se fait-il qu’un joueur puisse encore attirer l’attention des recruteurs avec ses qualités de bagarreur ?

Changement de culture

Samedi, lors du duel entre le Canadien et les Sénateurs d’Ottawa, Parker Kelly se fait bousculer par l’espoir du CH Alexandre Alain. Il finit par en avoir assez et assène un double-échec au visage de Josh Brook, qui a le malheur de passer par là. Kelly est chassé pour rudesse, mais on en reste là. Tout le monde garde ses gants.

Pascal Vincent, qui dirige les espoirs des Jets de Winnipeg, assiste à la scène du haut des gradins, aux côtés de Mike Keane, affecté au développement des joueurs des Jets.

« J’ai demandé à Mike Keane : “t’aurais fait quoi ?” Il me dit : ‟les gants seraient déjà à terre !”, a raconté Vincent, hier matin.

« Il y a un changement de culture. Jamais je ne vais dire à quelqu’un : ‟tu vas te battre, t’aurais dû te battre”. On s’ajuste à nos joueurs. Aujourd’hui, la robustesse est en échec avant, dans les mises en échec, les batailles à un contre un. Ce qui est intimidant maintenant, c’est la vitesse des joueurs. »

Changement de culture, vous dites ? Dans les trois premiers matchs de ce tournoi des recrues, il n’y pas eu un seul combat. Pourtant, vendredi, les Jets se sont fait détruire 8-1. « Il y a cinq ou six ans, on serait encore en train de jouer ! Ça n’aurait jamais fini ! », a lancé Vincent en riant.

À une certaine époque, les tournois des recrues prenaient souvent la forme de galas de boxe. Ces dernières années, on a noté une diminution, mais les bagarres demeuraient présentes. L’an dernier, au premier entracte d’un match contre Toronto, Joël Bouchard a savonné les espoirs du Tricolore pour leur passivité après que Jarret Tyszka eut été blessé grièvement sur une mise en échec. Dès sa première présence en deuxième période, Michael Pezzetta a jeté les gants. Ce même Pezzetta s’était aussi battu au tournoi de 2017.

Mais le hockey change, et le sens que chacun donne à la robustesse aussi. On vous parlait d’Alain et de Kelly plus tôt. À les voir se chamailler à chaque mise en jeu, samedi, on aurait pu croire qu’une prise de bec était imminente. Mais une fois la rondelle déposée, ils ont joué au hockey. La toute première bataille d’Alain attendra, si elle survient un jour.

« Joël est un gars d’émotion. Il veut des gars qui mangent les bandes, a décrit Alain, qui a joué pour Bouchard à Laval l’an dernier et avec l’Armada auparavant. Je ne pense pas que t’aies besoin de te battre pour montrer ce visage-là. »

Tu peux être un gars physique, gagner tes batailles à un contre un, être dur à affronter, sans te battre. Tu vas être aussi bon ou meilleur que le gars qui fait juste se battre.

Alexandre Alain

Alain estime aussi qu’il y a moyen de défendre un coéquipier qui vient de se faire frapper sans pour autant se battre. « Tu vas voir l’autre joueur », explique-t-il. C’est ce que Josh Brook a fait, hier, après que Luke Green, des Jets, eut sorti le genou devant Nick Suzuki. À une autre époque, la querelle se serait réglée différemment.

Cela dit, même un entraîneur moderne comme Vincent ne s’opposera pas si un de ses protégés en vient aux coups.

« Ça a une valeur si c’est fait pour les bonnes raisons, s’il y a un manque de respect envers nos joueurs. Ryan White est capable de le faire [ancien du Canadien, a joué pour le Moose l’an passé]. Et ça apporte certainement un élément à une équipe. Ça fait encore partie des règlements. Tu es puni cinq minutes. La journée où il y aura des suspensions, on s’ajustera. »

La relance aussi

Ce qui ressort, c’est que comme dans la LNH, les hommes forts doivent présenter d’autres qualités.

Les Sénateurs ont invité Jonathan Aspirot au tournoi pour la deuxième année de suite, signe qu’ils voient quelque chose en lui. Le Québécois avait fait parler de lui l’an dernier en servant une mise en échec à Jake Evans, qui avait quitté la Place Bell sur une civière.

« Les entraîneurs veulent encore des défenseurs qui jouent dur, qui nettoient l’enclave, qui bloquent des tirs, estime Troy Mann, qui dirige les espoirs des Sénateurs. Oui, on veut des défenseurs habiles en relance, mais t’as aussi besoin de cette agressivité. Aspirot l’a. Et l’an passé, il faisait bien circuler la rondelle. »

Ce qui nous ramène à Fairbrother. N’allez pas croire que le Tricolore l’a repêché dans l’espoir qu’il devienne un redresseur de torts. La dernière fois que l’équipe a tenté le coup, c’était en 2013 avec Connor Crisp et, dans une moindre mesure, Michael McCarron. Avec les résultats que l’on connaît.

Fairbrother a inscrit 36 points en 64 matchs l’an dernier. Cette année, avant de s’amener au camp des recrues, il comptait déjà quatre passes en trois matchs préparatoires à Everett. Il tentera de profiter de son année de 19 ans pour développer son côté offensif. La magnifique passe par-derrière qu’il a servie à Pezzetta en première période hier était d’ailleurs une jolie démonstration de ses aptitudes avec la rondelle.

« Notre sport va de plus en plus vers la vitesse et les habiletés. Mais il y a de la place pour la robustesse. C’est bon que je sois capable de répondre quand ça arrive, car ce ne sont pas tous les joueurs qui peuvent le faire. J’ai cet aspect à l’ancienne dans mon jeu, mais je dois aussi patiner, réussir des jeux et de bonnes premières passes. Être bon dans ces deux facettes va m’aider. »

*Source : HockeyFights.com

En bref

Les Jets l’emportent

Les espoirs des Jets de Winnipeg ont battu ceux du Tricolore 2-1 hier. Les Montréalais rentrent donc à la maison avec deux défaites en deux matchs. Le premier choix des Jets au dernier repêchage, Ville Heinola, de même que Johnathan Kovacevic ont marqué pour les vainqueurs. Alexandre Alain a assuré la riposte pour les Montréalais. Cayden Primeau a de nouveau joué la totalité du match devant le filet du Canadien. Il a reçu 20 tirs. Le CH rentrait à la maison après le match et affrontera demain une équipe composée de joueurs étoiles universitaires de Concordia, McGill et Trois-Rivières.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Alexandre Alain

Vincent attend la bonne occasion

Mine de rien, Pascal Vincent amorce sa neuvième saison dans l’organisation des Jets, la quatrième à la tête du Moose du Manitoba. Il est plutôt rare qu’un entraîneur connaisse une telle stabilité. Or, le Moose continue à fournir des joueurs au grand club : Kyle Connor, Jack Roslovic, Sami Niku et Mason Appleton ont tous fait un stage avec Vincent. Par ailleurs, le Québécois a trouvé son compte dans une ville qui en laisse plusieurs de glace. « C’est sûr que Winnipeg n’est pas nécessairement une destination soleil. Mais dans ma situation, dans un milieu canadien, pour travailler dans le hockey, c’est extraordinaire », affirme-t-il. Vincent arrive au point où son nom reviendra de plus en plus dans les listes de candidats quand une équipe de la LNH cherchera un entraîneur-chef. Sautera-t-il sur l’occasion ? « La vraie réponse, c’est : à quel prix ? Tu dois réaliser ce qui est important dans ta vie. Ce qu’on bâtit à Winnipeg, ça ne sera pas toujours parfait, mais ça va dans la bonne direction. Si l’occasion se présente, je vais y penser, mais je n’irai pas automatiquement. »

Trois joueurs en hausse

Rafaël Harvey-Pinard : Les attentes sont rarement très élevées pour un choix de septième tour qui en est à un premier tournoi des recrues. Mais le petit attaquant a joué avec fougue toute la fin de semaine et n’a pas volé sa place au sein des deux premiers trios.

Jake Evans : Après une saison recrue encourageante, l’attaquant a montré des signes de progression, particulièrement hier. Même ses rares erreurs étaient bien intentionnées, par exemple sur le deuxième but des Jets ; il a bloqué un tir, mais la rondelle est retournée directement sur la palette du tireur. Un bémol : à 23 ans, il est normal qu’il ressorte dans un tel tournoi.

Cale Fleury : Comme Evans, il montre lui aussi que son développement va bon train. Il a été le défenseur le plus stable de son équipe pendant ces deux matchs et il s’est aussi permis d’appuyer l’attaque.

Trois joueurs en baisse

Allan McShane : Il était très effacé samedi et a été laissé de côté hier. Quand un choix de quatrième tour d’il y a un an est dans les gradins et que Joe Cox, un joueur de 25 ans qui a un contrat de la Ligue américaine, est dans la formation au sein du deuxième trio, c’est mauvais signe.

Josh Brook : Le défenseur de 20 ans a fait des pas de géant l’an dernier en participant au Mondial junior et en disputant sept matchs dans la Ligue américaine. Même s’il a mieux joué hier que samedi, il n’a pas épaté la galerie.

Dylan Plouffe : Le défenseur de 20 ans est présent au tournoi en vertu d’une invitation. On doute que l’essai dure bien longtemps.

— Guillaume Lefrançois, La Presse